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Samedi 17 janvier 2004
Cette journée est vraiment particulière, certains l'attendent avec impatience depuis très… très longtemps.
En effet, nous allons pouvoir reprendre la désobstruction à l'endroit où nous l'avons stoppée 3 ans plus tôt, c'est-à-dire à la base d'un petit puits vertical entièrement bouché par des blocs de toutes grandeurs. A l'époque, un sérieux problème nous empêchait de poursuivre, il n'y avait plus de place pour entreposer la roche que l'on devait extraire.
Grâce aux aménagements et efforts consentis au cours de l'année 2003, les cailloux peuvent désormais être acheminés sans peine sur une distance de 40 mètres, en passant par 2 rails et 3 tyroliennes. Par ailleurs, le système actuel comporte un élément déterminant qui est la clé de tous nos travaux d'aménagement, celui de nécessiter seulement 6 personnes pour son fonctionnement.

Pourtant, aujourd'hui ce n'est pas la main d'œuvre qui nous manque puisque nous pouvons compter sur Dumeng, Claudal, Jacques, Marc, Michel et Pierre du groupe de Lausanne, ainsi que Bernard, Franklin et Williams du club de Cheseaux. Neuf personnes, c'est bien plus que ce nous sommes habitués ! Serait-ce l'attrait d'une possible découverte ou alors la météo qui est absolument exécrable depuis quelques jours ? Il est vrai qu'à tout moment nous pouvons ouvrir un passage vers l'inconnu, ce qui n'était bien sûr pas le cas au cours des 15 dernières journées de préparation. Quoi qu'il en soit, même si le chantier peut fonctionner avec un effectif réduit, c'est d'autant agréable d'être plus nombreux.

Depuis plusieurs jours, le réchauffement des températures a activé la fonte des neiges, et qui plus est, de grosses averses se sont abattues sur la région. Ces 2 facteurs ont provoqué une montée très importante des eaux, dont le point culminant datait seulement de 3 jours. La rivière de l'Orbe affichait un débit de 129 m3 à la seconde, tandis que la grotte touristique de l'Orbe était en état d'alerte. Dans cette dernière, au lieu dénommé la Salle Noire, l'eau arrivait au niveau de la grande passerelle, il manquait très peu avant que l'eau ne s'engouffre dans le tunnel des touristes. Avec les dégâts provoqués en 1990, la société des grottes pouvait s'attendre au pire. Aux Fées la réaction ne s'est pas fait attendre, la Petite grotte coulait à gros débit.
Donc aujourd'hui les conditions de travail ne sont donc pas des meilleures, de nombreux ruissellements suintent sur les parois de la faille des Lausannois. Pour éviter la douche perpétuelle dans le puits terminal, nous avons même dû installer une sorte de gouttière au plafond, confectionné à l'aide d'une tôle pliée en V.

Malgré ces déconvenues, le travail d'équipe crée une ambiance du tonnerre, ce qui nous permet de déplacer nos seaux tambour battant. Chacun se rend également compte de l'efficacité de toute notre infrastructure matérielle. Les récipients remplis de pierres passent sans trop d'effort d'une installation à l'autre et sont rapidement déversés dans les grandes salles. Sur le front de désobstruction, la sueur coule à souhait et ne fait que renforcer le brouillard de vapeur qui règne dans le secteur. Régulièrement, de gros blocs nous obligent à sortir le matériel de minage afin de les réduire à une taille transportable. Avec cette saturation d'humidité, l'usage de la perforatrice électrique n'est pas vraiment recommandé, mais heureusement nous disposons d'un système de protection coupant immédiatement le courant en cas de court-circuit.

Au milieu de l'après-midi, Michel et Dumeng nous quittent, mais notre ardeur ne faiblit pas pour autant. Il faut dire que cela fait une année nous nous acharnons à préparer le terrain, il est bien clair que maintenant nous sommes motivés à fond, nous grignotons la distance qui nous sépare d'une possible découverte…

Depuis un bon moment, je suis agenouillé au bas du puits, occupé à remplir les seaux. Avec l'eau ruisselant de partout et malgré nos combinaisons PVC, il est difficile de conserver un coin de sec. C'est pareil pour le contenu de nos récipients, qui tient plus de la boue liquide que de la roche. Ces mauvaises conditions font partie du jeu de la désobstruction, même si la plupart des gens qui nous verraient œuvrer de la sorte, et de surcroît pour notre plus grand plaisir, nous traiteraient de fous furieux !...

Avec le râteau, je gratte le sol en suivant la paroi. Une petite ouverture se présente soudain, me laissant entrevoir une sorte de petite niche latérale. Ce genre de situation arrive fréquemment, mais comme chaque fois il s'agit d'un simple creux sans intérêt. C'est donc sans me tourmenter que je poursuis ma besogne. Toutefois, à mesure que j'agrandis ce trou de souris je distingue de mieux en mieux comme une sorte de vide qui se profile en dessous. L'excitation semble me gagner, mais depuis le temps, à force d'essuyer des désillusions je n'ose pas vraiment y croire. C'est pour cette raison que je m'abstiens d'en parler aux copains qui s'activent au-dessus de moi, je ne voudrais pas provoquer une fausse joie. Cette joie, qui remplit le cœur d'un bonheur si exaltant au moment où l'on croit être à la porte de la découverte, c'est aussi elle qui est la source d'une intense déception quand cette même porte se referme brusquement, gâchant ainsi le maigre espoir patiemment accumulé.

Un quart d'heure plus tard, je peux enfin basculer mon corps pour introduire la tête dans ce qui représente maintenant un trou de renard ; je vais enfin savoir ce qui se cache là-dessous.

Un frisson m'envahit… mon cœur se met à palpiter… …

Je n'y crois pas... La lucarne troue en hauteur la paroi de petit méandre parallèle à notre faille. D'un côté, un amoncellement de blocs empêche de continuer, mais de l'autre je vois que le méandre se poursuit. Ce n'est pas spécialement grand, à peine un mètre de haut. Mais le courant d'air s'y engouffrant me laisse enfin croire à l'impossible…

A cet instant, je me redresse et me tourne vers Marc, mon voisin le plus proche qui se tient au sommet du puits :

- Si je te dis un secret, tu sauras le garder ?...

Je le vois hésiter et me regarder bizarrement ; il ne comprend bien sûr pas où je veux en venir.

- Il y a encore un gros caillou à enlever et je crois que ça va passer !

Son visage s'illumine soudain…

- Qu'est-ce que tu racontes, ça va passer ???!!!

Eh oui… tout comme moi il y a quelques instants, il a de la peine à admettre cette vérité peu ordinaire. Pourtant, le fait est là : nous venons de mettre à jour un petit méandre qui semble pénétrable, et celui-ci se dirige vers un horizon inconnu.
La nouvelle se répand comme un éclair, et bientôt toute l'équipe se retrouve compactée comme des sardines au terme de la faille des Lausannois. Chacun parle à tous vents et me bombarde de questions ! Pour résumer, je leur explique qu'il faut encore enlever un gros bloc et après il sera possible de s'engager dans le petit méandre qui s'échappe. C'est visiblement étroit, mais comme il m'est difficile de juger à distance, le mieux est d'attendre encore un peu avant de crier victoire, le temps d'agrandir le passage.

Chacun retourne alors à ses occupations et la danse des seaux reprend gentiment. Pourtant, rien n'est plus comme avant. Une sorte d'aura plane sur l'équipe, une énergie que chacun dégage naturellement, créant une atmosphère de bien-être où tous les maux sont oubliés. Nous vivons des instants extraordinaires, nous pensées s'évadent instinctivement vers de magnifiques découvertes. Dans peu de temps la réalité reprendra le dessus, avec son lot de joies ou de tristesses.

Vingt minutes ont passé, le rocher qui obstruait est dégagé du puits. Le passage est libre, mais un autre bloc, encore plus gros, menace cette fois de basculer sur l'ouverture. C'est frustrant, car pour l'enlever il faudrait ressortir le matériel de minage. Mais finalement, dans l'immédiat je me dis qu'il est très bien où il est ! Alors que je l'assure comme je peux à l'aide de la barre à mine ; le rocher peut bien attendre… moi je n'y arrive plus !!!...

Voilà, cette fois tout est prêt, la voie royale n'attend plus que ses invités !
D'un commun accord, j'ai l'honneur de passer le premier. L'impatience me ronge depuis l'instant où j'ai décelé la petite niche, cette fois c'est parti, je vais enfin savoir si les fées sont disposées à livrer leurs secrets. De toute façon je n'irai pas bien loin, simplement voir si le méandre recoupe quelque chose de plus important.

Je plonge dans l'ouverture. Rapidement, je passe dans une position plus animale, à quatre pattes ! Devant moi, le rétrécissement que je distinguais s'est formé au dépend d'une coulée stalagmitique. L'étroiture est bien marquée, mais la calcite lisse et humide n'offre que peu de résistance. Le méandre s'élargit ensuite pour former une petite galerie d'environ 0,8 x 1,5 mètre. Je passe sous une grosse formation de calcite qui s'est brisée en 3 parties. Les deux premières sont toujours en place tandis que la troisième gît au sol. Comment une masse pareille a-t-elle pût se fendre ? Tout en poursuivant, je pense d'emblée à un tremblement de terre. Après un bref ramping occasionné par le rabaissement du plafond, je débouche dans une galerie transversale…

Une joie indescriptible s'empare de mon esprit, comme une sorte de soulagement. Depuis toutes ces années, après s'être tellement investi à la recherche de ce rêve qui ne sourit que rarement aux personnes qui désobstruent, je me sens extrêmement privilégié. Pour toute notre équipe, c'est la récompense suprême, un fabuleux trésor qui n'a peut-être pas de valeur en soi, mais qui vaut son pesant d'or pour tous les spéléologues en quête du Graal souterrain qui nous attend : "la première".

Je m'empresse de retourner vers mes compagnons pour leur faire part de la trouvaille. L'ambiance est à la folie…
L'étroiture de départ est assez sélective, ce qui ne motive pas autrement l'assistance pour venir voir de plus près ce qui nous attend. L'heure est également tardive, la fatigue et le froid n'arrangent rien non plus. De toute façon, il avait été décidé de ne faire qu'une petite reconnaissance, la mission est donc pleinement remplie. Et puis, depuis le temps que nous oeuvrons par ici, nous pouvons bien patienter quelques jours supplémentaires ! J'effectue toutefois un nouvel aller-retour accompagné de Claudal, histoire de faire quelques photos pour les montrer aux copains.

Ensuite, pendant que la plupart effectuent le repli du matériel, avec Claudal nous désirons encore miner le gros bloc qui menace de s'effondrer sur l'ouverture fraîchement dégagée. Cela va permettre d'une part de sécuriser l'accès, d'autre part cela va reboucher provisoirement le trou que nous venons de dégager. Il faut savoir que la Grande grotte aux Fées est parcourue à l'année par des centaines de visiteurs, souvent équipés de simples lumignons voire même des bougies et autres briquets… Il serait alors peu souhaitable que certains s'aventurent dans la zone inexplorée, avec tous les risques qui en découlent.

Grâce à nos micro charges, le minage en question ne nous prend que peu de temps, et comme prévu le gros bloc n'est plus qu'un souvenir, tout comme l'orifice d'accès à la nouvelle partie qui a repris son aspect d'antan, un simple amoncellement de rochers.
Maintenant que la partie spéléologique de la journée est terminée, une autre occupation attend toute l'équipe : nous allons célébrer dignement cet événement ! La soirée fut donc très animée, certains poussèrent même la fête jusqu'à l'aube, mais cela fait partie d'une autre histoire qui n'a pas vraiment sa place en ces lignes…
De ces réjouissances arrosées et mémorables, j'ai quand même réussi à retenir une phrase sympathique de notre ami Franklin :

- La semaine à venir est le plus beau moment de notre aventure ; nos espérances les plus folles se concrétisent déjà dans notre imagination.

 

 

 

Epilogue des désobstructions
Depuis le début de nos travaux dans la Grande grotte aux Fées, 4 années se sont écoulées pour en venir à bout. Plus de vingt personnes ont participé à ces festivités… où certaines totalisent jusqu'à 26 journées de présence.
La motivation de chacun n'a pas toujours été des meilleures, mais grâce à l'obstination d'une petite minorité, plusieurs dizaines de tonnes de rochers ont pu être déplacées.
En repensant à ce travail titanesque, nous prenons conscience qu'au terme de l'année 2001 nous avons stoppé notre avance au bas du puits, à un seul petit mètre de l'endroit où aujourd'hui nous avons ouvert un passage vers l'inconnu.
Un mètre, qu'est-ce que c'est ?... Ce n'est vraiment pas grand-chose !...
A l'époque, nous n'avions plus de place pour entreposer nos déblais de roche, et c'est pour cette raison que les choses ont failli en rester là. Pourtant, si nous avions su que nous étions si près du but nous nous serions débrouillés n'importe comment pour entasser nos cailloux ! Mais voilà... comme on le dit souvent : avec des si…

En conclusion, la morale de cette désobstruction ne fait que confirmer ce que Jack Ensign Addington disait :

- N'acceptez jamais la défaite, vous êtes peut-être à un pas de la réussite

 

 

Samedi 24 janvier 2004
L'apogée du week-end précédent a chamboulé nos esprits, nous languissons dès lors en pensant à ce que les Fées nous réservent pour la suite des réjouissances. A part Claudal n'ayant pu se libérer pour des raisons professionnelles, l'équipe est presque identique, en ajoutant encore Patrick, un habitué des désobstructions.
Afin d'optimiser notre temps, nous avons prévu un minimum d'organisation. Les relevés topographiques requièrent de rester aussi propres que possible, c'est pourquoi certains n'arriveront que vers midi. Les autres seront présents aux premières heures de la matinée, afin de rouvrir le passage refermé lors de notre dernier minage, mais également pour débarrasser proprement les nombreux blocs qui encombrent toute la zone des travaux. La dernière journée a quelque peu été chambardée par notre formidable découverte, de nombreux rochers ont été abandonnés un peu partout.
L'équipe de minage s'attaque ensuite à l'étroiture de calcite, au départ du méandre fraîchement découvert. Ce passage est relativement sélectif, et notamment pour Williams, alias Napo. Car malheureusement pour lui, il ne possède pas la sveltesse de la plupart des participants, lui donnant ainsi la possibilité de franchir l'étranglement rocheux et savourer la première qui nous attend. Qu'à cela ne tienne, notre ami a contribué à notre réussite durant de nombreux jours, donc il mérite amplement son ticket d'exploration ! Par ailleurs, les raisons écologiques qui pourraient jouer en sa défaveur sont vraiment dérisoires en rapport aux changements que la grotte a déjà subit. Alors un peu plus ou un peu moins, quelle importance !?

Vers 13 heures tout est terminé, nous avalons notre pique-nique en compagnie des derniers arrivants. La chaude ambiance est compréhensible, dans quelques minutes ce sera le début de l'exploration, que certains attendent avec une impatience sans pareille…

Maintenant c'est parti ! En tête, Jacques, Marc et Patrick composent l'équipe topo, suivit du peloton lourdement chargé. En effet, pour l'occasion nous disposons pas moins de 2 équipes vidéo afin d'immortaliser nos découvertes ! Outre les caméras, accus et éclairages, nous emmenons aussi des cordes, amarrages et tout le nécessaire pour le cas où un obstacle se présentera.

L'étroiture que nous avons agrandie ne pose aucun problème à Napo, d'ailleurs c'est en son petit nom que nous décidons d'appeler les lieux : galerie du Napomètre ! Ce conduit débouche dans une galerie transversale, le dernier point connu de la semaine précédente. Maintenant c'est du sérieux, nous sommes au cœur de l'action. L'équipe topo a pris du côté de l'amont, où c'est visiblement plus grand. La galerie est parfaitement propre et comporte de petites flaques ici et là. Ce corridor fait 5 mètres de large, mais la faible hauteur nous oblige à rester à quatre pattes. Heureusement, cela ne dure pas, nous pouvons bientôt nous relever à l'approche d'une petite salle concrétionnée. La suite se prolonge par une fenêtre basse, mais vu le nombre que nous sommes nous préférons rester en attente. Car neuf personnes en même temps cela fait beaucoup de monde ! En tout cas, entre l'excitation et la chaleur des éclairages vidéo, l'ambiance est vraiment surchauffée ! Pendant que nous enregistrons quelques témoignages, l'équipe topo nous communique que la suite s'avère bien concrétionnée. Il n'en fallait pas autant pour inciter le groupe à poursuivre, les premiers se précipitent déjà dans le passage bas !...
Effectivement, bien que nous ne puissions pas nous tenir debout, l'endroit est magnifique. Sur plusieurs mètres carrés, de belles stalagmites de 5 à 10 centimètres de diamètre s'érigent tel une forêt de pierre, tandis qu'un mètre cinquante au dessus le plafond est saturé de fistuleuses d'une douzaine de centimètres de longueur, au bout desquelles des gouttes d'eau ne demandent qu'à tomber. De l'ocre au blanc, les couleurs se marient harmonieusement. Le concrétionnement a toujours représenté l'extase des spéléologues, il faut savoir que nous n'avons pas l'habitude de voir ce genre de formation dans nos régions, à part dans quelques grottes touristiques.

La grotte se poursuit de l'autre côté du champ de stalagmites, et je remarque que certains n'ont pas trouvé mieux que de couper à travers, laissant quelques traces disgracieuses sur le sol immaculé, ce qui est d'autant plus dommage qu'il est possible de contourner le passage en longeant la paroi. Il faudra penser à apporter prochainement du ruban de marquage afin de baliser le chemin à suivre. Le temps de filmer l'endroit sous toutes les coutures, nous quittons ensuite ce lieu en franchissant un petit bassin, où par manque de place il faut jouer de souplesse pour éviter de prendre l'eau dans nos bottes.

Derrière, la galerie prend de l'ampleur, ce qui nous permet de nous redresser. Les proportions sont vraiment agréables puisque la largeur atteint 7 mètres pour une hauteur de 3 à 4 mètres. Ce lieu est baptisé : salle des Moines, car sur une sorte de petit monticule de calcite, 2 belles stalagmites nous font penser à 2 religieux en train de surveiller depuis leur promontoire. En tant qu'explorateur et découvreur, il est d'usage de donner un nom aux endroits que nous découvrons, à la manière des Anciens, qui depuis la nuit des temps, nommaient les étoiles ou constellations qu'ils découvraient. Pour l'anecdote, on peut d'ailleurs dire qu'ils avaient du choix puisque le recensement actuel en compte plus de 15 millions…

Non loin, une autre petite salle nous attend, c'est là que toute l'équipe s'est regroupée. Les retrouvailles sont chaleureuses, les commentaires et impressions sont à la hauteur de nos découvertes. Nous baignons tous dans un océan de plaisir et d'émotion, espérons seulement que cela va durer. L'endroit où nous sommes prend le nom de Salle du Boulet, car dans un recoin à 1,5 mètre du sol, nous pouvons admirer un galet parfaitement poli, coincé entre 2 parois. Celui-ci n'est pas venu se mettre seul à cette hauteur, donc il est probable qu'en des temps très anciens le remplissage de galets était très important, le travail des crues monstrueuses les ont par la suite emportés, ne laissant que ceux qui s'étaient bloqués. Pour la petite histoire, nous en avons trouvé d'autres encore plus gros, immobilisés à plus de 3 mètres du sol !

L'équipe de topographie toujours en tête, nous poursuivons dans ce que nous appelons désormais la galerie des Princes Charmés, ceci pour rester dans l'esprit des contes de fées ; ce qui est bien normal dans une grotte portant ce nom !
Maintenant, le conduit perd à nouveau de la hauteur, ce qui nous oblige à nous baisser. La largeur diminue également pour se fixer à 4 mètres. La nature du sol est toujours aussi propre, composée de sable et de galets. Cela laisse supposer que l'eau emprunte toujours ces lieux lors des crues ? Au stade actuel de nos connaissances c'est encore trop tôt pour l'affirmer. Au sol comme au plafond, des concrétions parsèment le parcours, ce qui apporte une joie supplémentaire à notre bonheur. Le travail des topographes dicte la vitesse de déplacement du convoi de spéléologues, qui peut se résumer à : très lentement ! C'est tout à fait normal et ce n'est pas autrement gênant, pour certains cela laisse le temps de filmer ou photographier, et pour les autres le temps d'apprécier la cavité à sa juste valeur.

Bientôt, Jacques qui dessine et reporte les données topographiques se met à grommeler, comme quoi nous faisons trop de bruit ; selon ses dires, il n'arrive plus à se concentrer à ses occupations... Il est vrai que l'ambiance qui règne en ces lieux est assez euphorique et se rapproche de celle d'un buffet de gare, mais de là à devoir se recueillir en silence pendant que Saint Jacques et ses aumôniers officient la divine topo, c'était quand même beaucoup demander !... Il n'en fallait pas autant pour alimenter le feu de la discussion… et d'ailleurs quelqu'un n'a pas tardé à lancer que cet endroit s'appellera dorénavant : Salle du Topo-Râleur ! Toutefois, la requête a été entendue, et pour la suite de la galerie nous laissons un peu de distance entre les topographes et les… chahuteurs !

Un peu plus loin, la section de la galerie représente un triangle équilatéral de 3 mètres, et nous sommes en attente en file indienne devant un lac qui dépasse la hauteur de nos bottes. Je suis en train de filmer quand une information, transmise d'homme à homme, arrive depuis l'équipe de tête :

Ca queute !...?

Dans le jargon des initiés, cela veut dire clairement que la grotte se termine, mais connaissant l'esprit joueur de certains je pense immédiatement à un canular, histoire de nous faire languir. Après quelques minutes, la nouvelle n'est toujours pas démentie, ce qui commence à m'inquiéter sérieusement. Ce désarroi est renforcé par la triste mine des copains qui m'entourent…

Que nenni ! Je n'arrive pas à admettre une vérité si brutale et j'aimerais en avoir le cœur net. Sans plus attendre, je me dirige vers l'avant, et tant pis pour les pieds qui vont prendre un bain ! Après un rétrécissement au travers de quelques blocs effondrés, je constate effectivement que la galerie se réduit de plus en plus, ce qui n'est pas de bon augure. J'arrive ainsi dans une petite chambre où 3 personnes peuvent s'y tenir péniblement. Là, une petite lucarne de 15 centimètres de diamètre nous laisse entrevoir une suite, qui ne s'annonce pas autrement plus grande, et qui plus est, où le courant d'air est à peine perceptible. Nous avons probablement raté quelque chose, nous ne devons pas être au bon endroit.

Nous ratissons alors le secteur où quelques petits diverticules nous redonnent un peu d'espoir, mais finalement rien d'intéressant. A 30 mètres de là, nous découvrons le lieu où le courant d'air s'échappe. Il s'agit d'une fissure remontante mais impénétrable, avec en prime quelques blocs ne demandant qu'à nous tomber dessus ! Pour chacun, la déception est grande, mais rien n'est encore perdu. Nos n'avons pas ausculté les moindres recoins de l'ensemble que nous venons de parcourir, il reste aussi la galerie en aval délaissée près de notre point de départ.

La fin de la journée approchant, la motivation est cependant toujours là. Pour ma part, je désire miner la lucarne terminale ; la direction générale du courant d'air se dirigeant plutôt dans cette direction, ce qui m'incite à persévérer. Un autre groupe s'est formé afin de poursuivre l'exploration en aval de la galerie des Princes Charmés. Dans celle-ci, malgré 5 à 7 mètres de largeur, la hauteur est bien en reste, ce qui oblige à ramper la plupart du temps ! Heureusement que le concrétionnement est bien présent, sans être fin et délicat. Après 50 mètres, il est possible de se tenir debout, et bientôt un conduit transversal se présente. En prenant d'un côté, l'équipe s'arrête immédiatement sur une fissure verticale se développant au dépend d'une grande faille, avec un courant d'air. Pour l'heure, ils décident d'en rester là et garder la suite pour la prochaine fois.

Pendant ce temps, avec 3 micro charges totalisant moins de 10 grammes d'explosif, nous avons réussi à agrandir la fameuse lucarne. Le passage forme toujours une étroiture, mais cette fois franchissable. Derrière, comme nous le craignions, ce n'est pas franchement grand, et malheureusement une lame de rocher empêche de continuer. De toute façon il est déjà tard, et pour aujourd'hui nous avons eu notre lot d'émotions…

Cette belle journée nous a permis d'explorer et de topographier environ 180 mètres de nouvelles galeries, espérons que ce n'est qu'un début.

          

 

 


Mardi 27 janvier 2004
Après l'exploration du week-end, une équipe s'est rapidement formée pour continuer l'aval de la galerie des Princes Charmés, mais également pour fouiller plus en détail toutes les possibilités de continuation. Par ailleurs, le report du plan des dernières découvertes dans la Grande Grotte, avec celui de la Petite Grotte, nous a révélé une belle surprise : l'exploration de la partie aval de la Galerie des Princes Charmés s'est arrêtée sur une faille… qui n'est autre que la faille transversale de la Petite Grotte, située peu avant la Faille des Genevois. D'après les plans, il y a une différence d'altitude de moins d'une dizaine de mètres, une jonction entre les deux semble tout à fait possible.

Aujourd'hui, c'est à cinq que nous nous retrouvons, à savoir Bernard, Claudal, Jacques, Pierre et Williams.
Malgré les conditions d'enneigement, nous avons réussi à parquer nos véhicules près de la maison de l'ancienne douane, grâce à l'amabilité de 2 hommes de la voirie qui nous ont dégagé un emplacement avec leur fraiseuse. L'accès à la grotte est alors très rapide par le sentier habituel encombré d'une vingtaine de centimètres de neige fraîche.

Dans la grotte, nous décidons de nous rendre directement à l'objectif principal, soit le terminus aval vers la faille transversale où 2 possibilités nous attendent. Pierre et Claudal s'attaquent à la fissure verticale tandis que Jacques Bernard et Williams continuent l'exploration du conduit principal, juste à proximité. Malheureusement pour eux, leur partie se termine après quelques mètres seulement, par une obstruction complète de sédiments, composés d'un genre de conglomérat.
Avec Claudal, nous n'avons pas beaucoup plus de chance que nos camarades, le franchissement d'une étroiture verticale ne permet de gagner que quelques mètres en profondeur. Là, la faille est péniblement parcourue dans sa longueur sur une dizaine de mètres. Le sol est occupé pas des éboulis, et par endroits nous distinguons que la faille se poursuit en profondeur, mais vraiment trop étroite pour passer. Il est probable que la jonction avec la Petite grotte se trouve par ici, mais pour en être sûr, il faudra envoyer une équipe de chaque côté.

D'un seul coup, tous nos espoirs s'estompaient brutalement ! Claudal est d'autant plus déçu, il n'était pas présent lors de la première journée d'exploration. Quand on sait qu'il est l'un des principaux protagonistes des désobstructions avec une participation pendant la quasi-totalité des travaux, il est bien clair qu'on ne peut pas vraiment dire qu'il a eu sa part du gâteau !…
De retour vers 13 heures au carrefour vers la faille des Lausannois, nous faisons le point sur la situation. Jacques décide de nous quitter, c'est donc à quatre que nous nous dirigeons vers l'amont. Là, pendant que Bernard et Williams désobstruent une zone de blocs où l'on devine une belle faille se prolonger en profondeur, Claudal et Pierre se rendent au terminus amont, juste après la lucarne agrandie à l'explosif lors de la dernière sortie.

A l'aide d'une massette, Claudal se bat depuis un bon moment avec une lame de rocher, celle qui nous empêchait justement de continuer il y a quelques jours. Une fois vaincu, il se rend compte qu'au-delà c'est peut-être assez grands pour les souris, mais pas vraiment pour les explorateurs que nous sommes… C'est bien dommage ! Il semblait que cet endroit était l'ultime chance de poursuivre la grotte, nos rêves qui nous hantaient depuis 4 ans n'auront pas spécialement porté de gros fruits, à peine 200 mètres de nouvelles galeries. La réalité est souvent difficile à admettre, après tant d'attente et d'espérance.

Je décide néanmoins de voir la fin de mes propres yeux, et rejoins le terminus de mon coéquipier. Là, la suite est une sorte de grand laminoir encombré de blocs et de gravier, ne laissant effectivement que peu d'espoir. Cependant, pour autant que l'on arrive à creuser le sol et déplacer les gros blocs qui obstruent de toute part, il semble que la hauteur soit suffisante pour ramper. Il n'en fallait pas autant pour me donner le courage de continuer, c'est donc à bouts de bras que je m'active à marteler les pierres, soit pour les casser ou pour les décoller, la plupart se sont cimentées avec les années et le passage de l'eau. J'arrive également à attaquer le sol, composé d'un genre de conglomérat de sédiments durcis.

Après deux heures dans des postures vraiment inconfortables, j'ai réussi à progresser d'une dizaine de mètres. Là, enfin, le plafond se relève gentiment. J'arrive dans une petite chambre où j'ai juste de la place pour me tenir assis. Devant moi, un énorme bouchon de rochers m'empêche de poursuivre. Dans mon dos, la paroi est magnifique, ornée de grandes cupules reluisantes. Sans aucun doute, je suis bel et bien dans l'ancien cours d'une rivière dont l'eau sous pression a façonné les parois. Etant au point bas je présume que la suite se trouve en hauteur, donc au-dessus de cet amoncellement de blocs. D'ailleurs, un léger courant d'air me confirme le chemin à suivre…

Alors que faire !!! ... ...

Il y a quelques années, je m'étais retrouvé dans une bien mauvaise situation face à une trémie, dès lors je m'étais juré de ne plus recommencer !!!... Mais les sages Chinois l'ont compris depuis des millénaires en disant que :

Il est plus facile de déplacer un fleuve que de changer son caractère !!!...

En effet, malgré la crainte, cette sensation lancinante et si désagréable qui nous pince le cœur, il y a en moi quelque chose de bien plus fort qui me pousse à agir. Alors, comment l'expliquer ? De l'inconscience ? Un petit shoot d'adrénaline histoire de prendre sa dose ? Ni l'un ni l'autre ! Je pense plutôt que c'est quelque chose que l'on ressent au fond de nous et qui nous dicte ce qu'il faut faire. La peur est bien sûr omniprésente, mais en la maîtrisant on se sent comme protégé, invulnérable.

Quoi qu'il en soit, je me suis remis à l'ouvrage en déplaçant délicatement les blocs, qui visiblement ne mettaient pas en péril la stabilité de l'édifice. Comme dans la Souricière, le nom donné au boyau que nous venons de franchir, je dois donner quelques coups de massette, les rochers étant scellés les uns aux autres ; il semble que cette zone doit régulièrement se noyer, l'eau chargée de particules de roche a cimenté tout l'ensemble. Cette nouvelle me rassure à peine, le moral n'étant toujours pas des meilleurs... Ne pouvant évacuer les cailloux ailleurs que par la Souricière, je les transmets à Claudal qui les place comme il peut à ses côtés.

Bientôt, je peux me tenir debout entre la paroi et l'amas de rochers. A ce moment, je remarque au-dessus un vide entre les interstices, laissant présager la fin du bouchon. Peut-être une porte sur de nouvelles découvertes merveilleuses et la suite de notre aventure ? Pour le savoir il ne me reste que très peu de choses à enlever, peut-être deux ou trois blocs. Mais cette joie est amère, je suis maintenant ceinturé de cailloux des pieds à la tête. Cet endroit m'oppresse de plus en plus, ma dernière expérience en trémie se rappelle sans cesse à mon bon souvenir. La limite de l'abandon est presque atteinte, bien que je ressente un dénouement proche.

C'est alors qu'une pensée me traverse l'esprit :

Aujourd'hui, par un heureux hasard, c'est le jour de mon anniversaire !!! Ce serait déjà fantastique de découvrir la suite du réseau, cela représenterait de surcroît un merveilleux cadeau d'anniversaire, peut-être même le plus beau que je n'ai jamais reçut ! La spéléologie c'est une partie de ma vie, beaucoup de gens ne comprendront jamais à quel point cette activité me passionne. Dans mon sablier de géant, l'idée du cadeau mettait un peu de baume sur le coeur... mais ce fut surtout le déclic pour me remettre au travail.
Avec quelques coups de marteau, je décolle délicatement les derniers blocs. Heureusement, ils ne sont pas trop lourds, ce qui me permet de les pousser vers le haut et ainsi les dégager hors du passage.

Cette fois le goulet est libre, c'est au ralenti tel un gros crabe que j'émerge de cet amas de rochers. Je vois au-dessus que l'éboulis remonte à 45 degrés, il semble assez stable... D'ici, je peux mieux mesurer l'ampleur de cet éboulement. Je suis dans une petite salle d'effondrement, et tous les cailloux sont venus s'accumuler contre la paroi d'où je suis arrivé.
D'emblée, je pense à nommer l'endroit : "passage de l'Au-delà". C'est bien sûr à double sens, cela résume bien les quelques sensations que j'ai éprouvées.

Claudal me rejoint, et d'un commun accord que nous décidons d'explorer la galerie qui s'offre à nous. N'étant pas présent lors de la première journée d'exploration, c'est donc un juste retour des choses après tout le travail qu'il a fourni.
Nous quittons notre petite salle pour suivre un vestibule encombré de nombreux blocs. Le puissant courant d'air que nous avons perdu avant la Souricière est réapparu par une grande fissure, et nous accompagne maintenant dans notre périple. Notre imagination peut à nouveau vagabonder, tous les indices d'une grande échappée jouent en notre faveur.
Ce n'est pas spécialement grand, juste de quoi nous tenir debout, mais notre joie est intense car nous sommes les premiers à parcourir ces lieux. Emotionnellement, ces moments sont très puissants, le paroxysme suprême pour les spéléologues.

Après une étroiture entre les blocs, la galerie vire sur la droite et prend soudain de l'ampleur. Le sol, parfaitement propre composé de sable et de galets, atteste que l'eau a passé par là. Bientôt, quelques concrétions ici et là font leur apparition, et rapidement nous arrivons en vue d'une fenêtre... noire !!! Ce phénomène est généré par le contraste des parois claires avec une surface noire correspondant à un vide que nos éclairages n'arrivent pas à percer. Tout émus, nous arrivons dans une salle où nous stoppons brusquement notre élan…

Un frisson m'envahit des pieds à la tête. Devant nous, une paroi parfaitement lisse se perd dans les hauteurs. C'est un énorme miroir de faille comme je n'en ai jamais vu. Il doit mesurer une quinzaine de mètres de hauteur et s'étend sur une largeur de près de 30 mètres. La surface est recouverte de calcite claire, tranchant avec le noir de ce vide souterrain. Nous sommes à la base d'une grande salle d'effondrement, formée par le rapprochement de deux failles adjacentes. De nombreuses concrétions colorent les parois, dont les teintes s'harmonisent merveilleusement. Certaines défient même les lois de l'apesanteur, principalement à cause du courant d'air léchant les parois. D'autres se sont brisées sous l'effet d'un mouvement terrestre. Il y a aussi des draperies mesurant près de 5 mètres de longueur. Nous ne savons pas où donner de la tête, tellement il y a de choses à regarder ; nous sommes en plein conte de… fées !...
Bientôt, Claudal se penche le long d'une paroi, il a remarqué quelque chose de particulier. Il s'agit d'ossements imbriqués provenant d'une chauve-souris, ce qui en soi est relativement banal. Mais ce qui l'est moins, c'est que l'un des os traverse une bague numérotée, avec le nom du musée propriétaire. Cette trouvaille ajoutait encore un peu de consistance à un plat d'émotion déjà bien garni ! Toutefois, de même qu'il reste toujours un peu de place pour le dessert... et qu'il nous reste encore du temps devant nous, nous décidons de poursuivre notre aventure si palpitante.

Devant nous, une montagne de blocs se dresse vers le plafond, et c'est maintenant ce qui nous inquiète ; cet effondrement a possiblement obstrué la suite de notre route, ce qui signerait la fin de notre aventure.
En suivant le lit asséché de la rivière qui s'est frayé un chemin sous cet amas, nous longeons la paroi calcifiée sur une dizaine de mètres. Là, en plein effondrement, cela ne passe plus du tout. Nous entrevoyons bien une suite entre les blocs, mais l'espace n'est pas suffisant pour passer. De retour à notre point de départ, nous décidons cette fois d'escalader le gros éboulement. Nous parvenons sans difficulté au sommet, rejoignant presque le plafond. Là encore, tout est obstrué. Nous pouvons observer de magnifiques stalactites, dont certaines serpentent dans toutes les directions, appelées communément excentriques. Nous avons également une vue dominante de la salle, avec son magnifique miroir de faille resplendissant. Cet endroit prendra le nom élogieux de " salle du Miroir des Fées ".

En suivant la paroi concrétionnée, nous entamons la descente de notre monticule pierreux. Une belle fenêtre entre les blocs attire notre attention, nous invitant à y pénétrer. Là, c'est avec surprise que nous découvrons un couloir assez spacieux qui descend rapidement au coeur de l'éboulement. Au point bas, une trouée entre les blocs à 1,5 mètre du sol nous permet d'espérer à nouveau. Nous nous empressons de franchir le goulet, et nous gagnons un joli vestibule toujours encombré de blocs. Ici, nous retrouvons notre lit de rivière asséchée, avec la galerie qui se poursuit, belle et majestueuse ; le rêve peut alors continuer...
Nous sommes contents d'avoir franchi l'énorme éboulement, les fées sont avec nous ! Ces jeux de cache-cache pour trouver les bons passages font partie des joies de l'exploration, bien souvent le cheminement n'emprunte pas le parcours le plus direct.

La galerie où nous sommes fait 4 à 5 mètres de large, le plafond est à plus de 10 mètres. C'est vraiment extraordinaire, le concrétionnement est toujours présent, ce qui apporte une touche de féerie supplémentaire. Etant donné que c'est mon anniversaire, le conduit prend tout naturellement le nom de galerie du Cadeau d'Anniversaire.
Nous sommes visiblement dans le prolongement de la faille dont nous avons pu observer une magnifique paroi lisse dans la salle précédente, car nous suivons la même direction dans une rectitude presque parfaite. Nous apprendrons par la suite que nous évoluons dans une cassure bien connue de la géologie régionale, faisant partie intégrante du "Décrochement de Pontarlier", un élément tectonique majeur qui a tranché le Jura entre le Vallorbe et le Haut-Doubs.

Bientôt, un nouvel effondrement se présente. En observant la paroi, nous remarquons que des stalagmites de 8 à 10 cm de diamètre sont brisées à leur base. Le réflexe nous pousse immédiatement à lever la tête, pour apercevoir qu'une dizaine de mètres au-dessus de nous un pan entier de paroi est décollé, avec la menace qui pèse de s'écrouler. Ce fait s'explique par la présence d'une nouvelle faille qui est venue se greffer sur la principale, nous sommes justement à la réunification des deux. Les concrétions cassées attestent que le dernier effondrement est plus ou moins récent, ce qui provoque en nous la réaction bien normale de quitter rapidement cet endroit…
Les dimensions de notre galerie diminuent, alors que le concrétionnement devient très conséquent. Outre de belles stalagmites et stalactites, il y a aussi des draperies massives disposées les unes à côté des autres, faisant penser à une sorte de grand rideau. La nature du sol n'est pas en reste, vêtu d'un joli manteau de calcite. Nous sommes sans voix, tellement c'est beau et inhabituel. Par ici, un petit bassin est ceinturé de micro gours. Par là, la calcite reluisante est présente du sol au plafond. C'est vraiment magique, nous vivons des instants privilégiés par excellence. Quand on repense à tout le travail que nous nous sommes donné lors des désobstructions, nous pouvons maintenant nous dire que même si nous approchons de la fin de la grotte, nous sommes amplement récompensés de nos efforts.

Après une petite zone d'effondrement où il ne subsiste plus qu'une petite lucarne pour passer, les parois se rapprochent sérieusement. Tandis que la calcite se répand à nouveau de toute part, le courant d'air redouble de puissance, nous confirmant la route à suivre. Par une étroite fissure, nous franchissons une sorte de barrière calcifiée, où il manquait peu avant que le passage se referme irrémédiablement. La raison est que l'eau est bien chargée en carbonate de calcium, et va se déposer partout où elle entre en contact. Cela occasionne un généreux dépôt, grandissant au fil des siècles. Il en résulte finalement que les parois viennent à se rencontrer, ce qui signe l'arrêt de l'exploration. Parfois, d'autres passages permettant de contourner l'obstacle, mais il arrive aussi que les spéléologues doivent briser la calcite afin de pouvoir continuer.
Il faut cependant reconnaître que ce genre d'obstacle est peu ordinaire dans nos régions. Pour l'expliquer succinctement, disons qu'il y a plusieurs facteurs qui rentrent en ligne de compte dans la formation de la calcite. Puisque le calcaire est une roche soluble, l'eau, chargée en dioxyde de carbone (CO2) en raison de son passage dans l'atmosphère, mais surtout dans les sols, devient alors acide (pH 5) et dissout le calcium, le composant principal du calcaire. Ensuite, l'eau chargée en calcium va alors se cristalliser en débouchant dans les vides. En effet, au contact de l'air l'eau va s'évaporer et perdre du CO2, et va ainsi former un dépôt, le long duquel d'autres gouttes d'eau vont perler, et déposer à leur tour leur apport de calcium, agrandissant lentement la structure.

Alors, en sachant qu'il n'y a pas si longtemps nos régions étaient encore recouvertes par les glaces, on comprend que la combinaison du dioxyde de carbone et du carbonate de calcium, a pas eu suffisamment de temps pour former un concrétionnement généreux, à l'instar d'autres régions comme dans le sud de la France, où les glaciers ont disparu depuis bien plus longtemps que chez nous, et où de nos jours il est courant de trouver un concrétionnement extrêmement présent, ainsi que des galeries entièrement obstruées par de la calcite.

Nous arrivons dans une jolie petite salle tout aussi agréablement décorée. Tout comme dans la salle du Miroir des Fées, nous pouvons remarquer que le courant d'air léchant une paroi a déformé la croissance de certaines stalactites, qui ressemblent maintenant à de grandes griffes. Nous aurions pu baptiser l'endroit en rapport à ces concrétions particulières, mais notre préférence s'est porté sur la salle des "Intestins", en rapport à l'apparence du sol à un endroit bien précis, faisant penser aux entrailles du corps humain.

Dans cette salle oblongue, une gigantesque lame de rocher a coupé la largeur en deux, nous obligeant à choisir l'un ou l'autre des itinéraires. En fait, cela importe peu puisque les deux chemins se rejoignent rapidement. C'est justement à la réunification de ces derniers que nous décidons de nous arrêter pour aujourd'hui. Ici, la suite de la galerie quitte perpendiculairement la grande faille, nous pouvons aussi voir que la roche devient lisse, sculptée en régime forcé. Gardons un peu de mystère pour la prochaine fois, nous avons vraiment notre dose aujourd'hui !...

Avec un peu plus de 150 mètres de magnifiques découvertes, entre déception, peur et émerveillement, ce fut une journée bien chargée. Avec le puissant courant d'air qui nous accompagne en ces lieux démesurés, nous sommes maintenant persuadés d'une bonne chose : nous ne sommes pas au bout de notre aventure !

          

 


Samedi 31 janvier 2004
Cela fait à peine 4 jours que nous avons quitté la grotte, nous sommes extrêmement impatients de la retrouver. Cependant, à part pour Franklin faisant partie du club spéléo de Cheseaux, cela tombe assez mal pour les Lausannois, c'est dans l'après-midi que va se dérouler l'assemblée annuelle de leur groupement. Un choix facile pour Claudal et Pierre, mitigé pour Michel qui nous accompagnera qu'une partie de la journée, et difficile pour ceux qui ne viendront pas. C'est donc à quatre que nous entrons dans la grotte, avec des rêves plein la tête…

A la Souricière, Franklin et Michel agrandissent encore le passage à la massette, tandis que Claudal et Pierre commencent le relevé topo des lieux qu'ils ont découverts quelques jours auparavant.

Dans la Salle du Miroir des Fées, c'est vers midi que les 2 équipes se retrouvent pour le repas. Pour Franklin et Michel, la Souricière est maintenant un peu plus humaine… le Passage de l'Au-delà ne les a en revanche pas trop impressionné.
Dans la galerie du Cadeau d'Anniversaire, c'est à trois que nous poursuivons la topographie pendant que Michel effectue quelques photos afin de les montrer aux copains lors de l'assemblée de club, dont l'heure se rapproche inévitablement. Bientôt, le moment est venu pour lui de nous quitter, nous imaginons que ce choix doit lui valoir son pesant de regrets. Il faut dire qu'à l'endroit où nous sommes, le cadre est magnifique. Mardi passé avec Claudal, c'est un peu au pas de course que nous avons parcouru ces galeries, et aujourd'hui, par l'entremise de la topographie, nous pouvons mieux apprécier les détails de notre environnement. Le concrétionnement est important sans vraiment être délicat : stalactites, stalagmites, mini gours, coulées et draperies se fondent à merveille. Un endroit est baptisé : le Grand Rideau, où une multitude de draperies sont disposées côte à côte sur près de cinq mètres. Tout comme nous quelques jours auparavant, Franklin n'en revient pas en ces lieux immaculés ; tout cela n'est pas réel ! Une des concrétions l'interpelle particulièrement, dont le profil ressemble à une tête de chien voire un ours, selon l'esprit ou l'humeur du moment !

Bientôt, après la salle des Intestins nous arrivons à notre ancien terminus, à l'endroit où nous quittons la faille principale orientée au nord. Cette fois, nous partons à l'ouest. Le profil des galeries est bien différent, le concrétionnement s'est effacé au profit de parois lisses et austères. Le sol est composé de sable et de galets arrondis. La topographie se poursuit à mesure que nous explorons. Après un petit ressaut, le plafond s'abaisse brusquement. Il n'est guère plus qu'à un mètre du sol, la largeur en revanche passe à près de 10 mètres ! Des traces de mise en charge prouvent que cette zone doit se noyer. Quelques mètres plus loin, les dimensions reviennent plus humaines et nous arrivons à un carrefour avec 3 possibilités.

Sur notre gauche, un petit méandre de 0,6 x 1,5 mètre se détache, tandis que sur la droite, après l'escalade d'un ressaut de 2 mètres, nous sommes au départ d'une nouvelle galerie descendante relativement argileuse. Nous revenons au carrefour, car il nous semble que le plus intéressant soit devant nous, sur le chemin de l'eau. Nous franchissons un gros bloc effondré, pour nous retrouver dans une petite salle massivement décorée.
Face à nous, un grand bassin marque le départ d'une galerie basse d'environ 1,3 mètre de hauteur. Tout le courant d'air provient de ce conduit, ce qui est très réjouissant. Ce qui l'est moins, c'est que la profondeur de l'eau dépasse... le mètre !
Sur les côtés, des stalactites en forme de poire se reflètent dans le miroir de l'eau, dupliquant à volonté ce verger de pierre. Certaines sont à demi immergées, d'autres à la limite de l'onde, c'est probablement le niveau variable du lac qui est à l'origine de ces formations étonnantes. En regardant au loin, la nappe se prolonge sur une dizaine de mètres, puis la galerie vire vers les mystères de l'inexploré. Sans matériel adéquat, c'est le terme de notre escapade pour aujourd'hui, d'autant que cela fait une dizaine d'heures que nous sommes sous terre. C'est donc l'obstacle arrivant à point nommé, l'excuse proprement dite pour nous dire qu'il faut bien stopper notre élan, même si nos envies nous poussent indubitablement vers l'avant. Avant de quitter les lieux, nous décidons de nommer cet endroit : Lac des Fruits Défendus, c'est sans équivoque !
Avec 230 mètres de topographie dont 55 mètres de découvertes, le développement de la Grande Grotte aux Fées passe à plus de 800 mètres. Avec ce qui nous attend au-delà du bassin ainsi que les galeries latérales que nous avons délaissées, nous savons que les découvertes sont toujours au programme, tout au moins pour un certain temps.

 


Vendredi samedi 6 et 7 février 2004
Les récentes découvertes ont provoqué une immense joie dans l'équipe qui a participé aux travaux de désobstruction, prouvant à chacun que nous sommes face à quelque chose de grande envergure, dont l'exploration ne fait que débuter. Dans ce sens, nous avons également pris conscience que nous avons ouvert un passage vers de nouvelles galeries et salles, comportant des dangers fortement avérés. Il s'agit notamment de risques d'éboulement dans des endroits peu stabilisés, mais également de l'ennoiement de certains lieux par une soudaine crue. Tout en sachant que la Grande Grotte est parcourue à l'année par des hordes de visiteurs non spéléologues, généralement accompagnés d'enfants, la responsabilité de notre groupe est fortement engagée. Après de houleuses discussions internes, nous sommes arrivés à la conclusion que nous devons impérativement empêcher les néophytes d'accéder à cette nouvelle partie. Nous savons d'emblée que cette solution ne va pas plaire à la communauté spéléologique régionale, mais nous n'avons pas vraiment le choix si nous ne voulons pas prendre le moindre risque d'assumer quoi que ce soit. C'est pourquoi nous avons pris la décision de poser une porte à l'endroit même où la nouvelle partie commence, soit le terme de la faille des Lausannois.
Pour ce faire, Bernard, Claudal, Franklin, Jacques, Pascal et Pierre sont présents en ce vendredi soir, afin d'apporter une partie du matériel et commencer les travaux. Mais dans un premier temps, étant donné que nous sommes suffisamment assez, nous nous répartissons en deux équipes pour essayer de jonctionner entre les deux grottes aux Fées, à l'endroit où il y a une dizaine de jours nous avons déjà effectué une première tentative au niveau d'une faille transversale.

Une fois sur place, les participants ne mettent pas longtemps avant de crier victoire, la communication est rapidement établie entre les deux groupes. Dans la Petite Grotte, il sera même possible de s'élever de plusieurs mètres dans la faille en se guidant à l'aide de la voix. Finalement, les 2 équipes se retrouvent distantes de seulement 4 mètres, mais la largeur du vide qui les sépare s'élève à peine à 10 centimètres. Le faisceau des lampes se distingue de part et d'autre, mais sans plus. On peut alors considérer que la jonction entre les deux grottes est effective, même qu'il n'est pas possible de passer physiquement de l'une à l'autre. Donc à partir de maintenant les deux cavités font partie du même système, qui prend dorénavant l'appellation de Réseau des Grottes aux Fées de Vallorbe. Le développement passe ainsi à environ 1200 mètres, pour une dénivellation de 63 m (-36 / +27m).

Nous commençons ensuite l'aménagement de la porte, avec la pose d'éléments métalliques faisant office de cadre. Ces profils sont fixés à l'aide de tiges spécifiques, enfoncées dans des trous percés dans le rocher. Le franchissement de cette porte ne s'effectuera pas horizontalement comme on peut s'y attendre, mais à la verticale du puits qui clôt la faille des Lausannois.

Le lendemain, après une nuit relativement courte, les participants se retrouvent plus ou moins les mêmes.
Tandis que Bernard, Michel, Pierre et Raymond s'occupent de poursuivre l'aménagement de la porte, Jacques, Marc et Pascal se rend au lac des Fruits Défendus pour y amener un gros tuyau. Le franchissement de ce lac n'étant pas au goût de certains, l'idée est venue de le vider.
En se rendant sur place, ce groupe découvre les merveilles fraîchement découvertes, dont la beauté restera à la hauteur de ce qu'ils avaient entendu.
Au lac, malgré plusieurs tentatives, ils n'arrivent pas à amorcer le tuyau. Pour la technique, avec un petit canal il suffit d'aspirer l'eau par l'une des extrémités pour engager le principe des vases communicants. Mais ici, il faut savoir que le diamètre du tuyau est de 45 millimètres, pour une longueur de 15 mètres ! Donc la seule solution puisqu'il n'est pas possible d'aspirer une quantité pareille de liquide par la bouche, c'est de plonger le tout dans le lac, attendre que le flexible se remplisse intégralement, boucher l'une des extrémités pour la déplacer à l'endroit où l'eau va s'évacuer. Evidemment, l'altitude où l'eau se déverse doit être inférieure au niveau d'aspiration ! Plus facile à dire qu'à réaliser, la grande difficulté réside dans la manière de boucher suffisamment le tuyau, car lors de son déplacement la moindre entrée d'air compromet la procédure. De plus, un tuyau rempli d'eau devient très lourd, ce qui n'aide vraiment pas pour le déplacer.

Pendant ce temps à la Faille des Lausannois, c'est le gros chantier pour l'équipe de construction. Raymond, notre ami Valaisan, a préparé une belle trappe en métal, nous sommes donc occupés à percer, découper, meuler et souder les divers éléments métalliques qui vont la supporter. A l'extérieur, un puissant groupe électrogène tourne à plein régime, la soudure sollicite beaucoup d'électricité. Cela n'a l'air de rien, mais cet ouvrage demande une grande infrastructure en matériel, machines et outillage.
Cette ambiance de serrurerie, avec ses projections de lumière et d'étincelles, est assez inhabituelle dans le monde des cavernes… L'exiguïté, les ruissellements et la présence d'argile ne facilitent guère le travail, qui prendra beaucoup plus de temps que ce qui était prévu.
Néanmoins, la structure porteuse ainsi que la trappe est maintenant en place, il reste encore à souder des tôles pour boucher les trous entre les traverses. Cette tâche sera effectuée la prochaine fois, nous ne sommes actuellement pas équipés pour découper les plaques d'acier. Il ne reste qu'à prendre les mesures, le matériel est ensuite remballé pour être remonté aux véhicules.
Ce fut une bonne journée de labeur, il en faudra encore une pour que cette porte soit opérationnelle.

 


Samedi 14 février 2004
6 personnes sont aujourd'hui réunies afin de poursuivre les diverses activités.
Franklin et Raymond s'occupent de la porte, en soudant des plaques d'acier de 3mm d'épaisseur préalablement découpées. Avec la neige qui fond à l'extérieur, il y a beaucoup de ruissellements sur les parois, ce qui perturbe le travail à l'électrode. Ce n'est que vers 20h00, après une longue journée, que leur ouvrage sera enfin terminé. La porte est ainsi effective, on ne passe plus sans une clé. Le dispositif de fermeture est ingénieux, il faut introduire la main dans une petite ouverture pour placer la clé dans la serrure, mais cette opération s'effectue en aveugle. De cette manière, les personnes tentées de forcer le cylindre ne peuvent pas accéder directement avec de gros outils. Mais il est bien clair que ce dispositif ne fera que ralentir des personnes mal intentionnées et mieux outillées. En revanche, ces gens-là devront assumer la responsabilité de leurs actes si des visiteurs se risquent derrière eux. C'est d'ailleurs dans ce sens que nous avons également posé une plaque mettant en garde le public, sur les dangers encourus au-delà de la porte.

Ce jour-là, une autre équipe composée de Bernard, Claudal, Pierre et Williams s'activait également. Dès le début, Williams avait quelques appréhensions quant au passage de la Souricière et de la trémie de l'Au-delà, ce qui est assez compréhensible en raison de son gabarit de catcheur ! Finalement, tout s'est bien déroulé, sur un principe bien connu en spéléologie :

Quand cela passe bien dans la tête, le corps passera également !

Nous arrivons au lac, avec l'idée de goûter, d'une certaine manière, aux "Fruits Défendus" !… C'est tout au moins pour vidanger le lac, et si tout se passe comme prévu, nous allons poursuivre le parcours de la découverte. Le niveau de l'eau est plus haut que la dernière fois, la fonte de la neige doit en être la cause. Pour faciliter les manœuvres avec le tuyau, avec Claudal nous avons enfilé nos combinaisons étanches, sorte de vêtement intégral qui se place sous la combinaison traditionnelle. Cette seconde peau est confectionnée dans un tissu imperméable, mais la minceur de la toile ne protège pas du froid. Les pieds sont intégrés dans un fourreau de caoutchouc, tandis que des collerettes autoserrantes laissent dépasser les mains et la tête. Ce genre de tenue s'utilisait à l'origine pour les activités nautiques, mais les plongeurs et spéléologues ont rapidement décelé des avantages pour les activités souterraines : c'est léger et peu encombrant.

Le week-end passé, l'équipe précédente n'était pas arrivée à amorcer le tuyau, et aujourd'hui, moins de dix minutes ont suffi ! En effet, après avoir immergé le flexible nous avons bouché un des orifices à l'aide d'une petite bouteille en PET, dont la tête conique correspondait parfaitement. Nous avons ensuite déplacé l'extrémité d'une dizaine de mètres, puis retiré le bouchon. Abracadabra… le tour était joué ! Telle une fontaine, le spectacle était inhabituel ; voir cette gerbe d'eau limpide sortir d'un tuyau avec une pression importante.

En attendant, nous décidons d'aller voir le bout du lac, histoire de connaître le volume à vider. En fait, il mesure une vingtaine de mètres de longueur pour une largueur variable de 2,5 à 4 mètres. Le plafond est à 15 centimètres de l'eau sur les 5 premiers mètres, et ensuite cela s'agrandit. La profondeur de l'eau est d'un mètre au départ, passe à 40 centimètres vers le milieu, pour redescendre au mètre. De ce fait, nous savons déjà qu'il sera impossible à vider complètement, ou alors il faudra avancer le tuyau d'aspiration.
Après 2 heures, la première partie du lac est vide, mais comme prévu, nous avons encore de l'eau jusqu'à la taille dans la seconde partie. De plus, l'eau du tuyau s'écoule dans une sorte de grande fosse qui n'arrive pas à absorber rapidement le liquide, ce qui engendre un nouveau bassin dont la profondeur atteint… le mètre !!!#$£|&!???... Nous avons effectivement vidé un lac pour en créer un nouveau… à l'identique ! Le résultat de cette opération est donc franchement nul, au propre comme au figuré !...

Pour l'heure, nous avons bien perdu notre temps, l'exploration pouvait maintenant commencer. Nous avançons à quatre pattes dans une galerie basse, mais large de 3 à 4 mètres. Comme à notre habitude, nous levons la topographie à mesure que nous explorons. Ce travail laborieux est indispensable pour bien comprendre la cavité, et notamment pour avoir une idée précise du chemin parcouru ainsi que son orientation. Outre les données de distance, pente et azimut qu'il faut reporter pour chaque point de visée, il faut également dimensionner la section de la galerie. Il reste encore à dessiner le croquis en plan et coupe du parcours effectué, avec un maximum de détails. Ceux-ci serviront pour l'habillage au moment de la mise au net finale. Les relevés souterrains prennent beaucoup de temps, et bien évidemment la vitesse du déplacement est en rapport. Selon la motivation et la minutie des topographes, on peut considérer une moyenne de cinquante mètres à l'heure…
D'autres spéléologues se vantent de multiplier cette distance pas dix lors d'expéditions à l'autre bout de la planète, mais quand on voit le résultat, on se rend immédiatement compte que la qualité du dessin est inversement proportionnelle. En appréciant le milieu souterrain à sa juste valeur, je pense que l'on se doit d'en rapporter une image aussi proche de la réalité, avec un maximum d'informations. Et puis c'est bien connu, les cartes suisses sont déjà mondialement considérées comme un exemple de précision, alors il faut croire que c'est dans la mentalité des autochtones, mêmes spéléos…

En ce moment, avec le franchissement du lac Bernard et Williams sont tout trempés, et leurs dents commencent à jouer des castagnettes… Avec Claudal, nous leur proposons d'avancer quelques pas, histoire qu'ils se dégourdissent les jambes pour récupérer un peu de cette chaleur qui leur fait défaut. En attendant, nous poursuivons bien sagement nos relevés. Après quelques minutes, personne ne revient. Pour nous deux, nos pensées ne font qu'une :

- Ah les salauds ! Ils ont détalé comme des lapins alors qu'on se farcit le sale boulot... et qui sait jusqu'où ils sont allés ?!!!…

C'est alors que nous abandonnons nos instruments pour partir à la recherche des fauteurs de trouble ! Après avoir contourné un nouveau bassin, nous pouvons nous redresser dans une belle galerie encombrée de blocs. En ce 14 février, et avec de lointains remords... nous avons quand même une petite pensée envers nos chéries, c'est pourquoi nous nommons cet endroit la galerie de la Saint-Valentin ! D'ailleurs, il faudrait à l'avenir qu'elles se méfient ! En effet, la concurrence est rude, nous sommes récemment tombés amoureux d'un autre genre de féminité : les Fées !…

Les dimensions prennent de plus en plus d'ampleur, tandis que le concrétionnement refait son apparition. Le sol est revêtu de sable et galets, on se plairait presque à marcher sur une plage ! Bientôt, après un bref rétrécissement, nous remarquons quelques marmites au plafond. Nous arrivons dans un élargissement formant une petite salle plus ou moins circulaire. C'est ici que nous retrouvons enfin nos deux éclaireurs, plus de 100 mètres après les avoir lâchés !
Après les réprimandes de circonstance, nous saisissons que nos compagnons n'ayant pour ainsi dire jamais fait de première de leur vie, se sont laissés enivrer par le vin savoureux et excitant de l'exploration, sans même se rendre compte qu'ils avançaient à pas de géant. Avec Claudal, nous pouvons bien comprendre la situation, nous étions presque dans le même imprévu 3 semaines auparavant, lorsque nous avons exploré la galerie du Cadeau d'Anniversaire, alors que nous aurions très bien pu attendre quelques jours de plus, la venue des copains. En sachant que le bonheur des uns fait le malheur des autres, cela soulève une grande question liée à l'exploration :

Comment faire pour contenter tout le monde ?...

Nous sommes une dizaine de personnes réparties dans 3 clubs régionaux à avoir participé activement aux travaux de désobstruction. Donc dans un premier temps, il semble déjà normal que la priorité soit donnée à ces gens-là. Mais comme tout un chacun, nous avons tous beaucoup d'occupations, ce qui fait qu'il est difficile, voire impossible, de synchroniser tout le monde, ou alors il faudrait décaler les dates suffisamment dans le temps. Mais dans ce sens, quand on a pris goût à l'exploration et que celle-ci nous accueille à bras ouvert, c'est tout aussi impossible de résister.
Finalement, la solution tel que nous l'appliquons est toute simple. Les gens motivés pour conduire l'exploration et la topographie proposent des dates à leur convenance, les autres décident d'y participer ou pas. Cela veut dire que s'ils ne viennent pas, la raison qui en découle est plus importante à leurs yeux, donc un choix proprement délibéré :

Le chemin de notre destin n'est qu'une question de choix et de priorité.

Après avoir repris nos travaux à l'endroit où nous avons stoppé la topographie, nous rejoignons un peu plus tard le terminus de la reconnaissance. Dans cette salle de 10 mètres par 10, il y a une galerie fossile qui se prolonge au sud, mais le plus intéressant, c'est une sorte de grande doline marquant le départ d'une conduite forcée rectangulaire de 2,5 mètres de large pour 80 centimètres de haut, où souffle la totalité du courant d'air. Le fond de ce creux est encombré de magnifiques galets polis. Les parois comportent de grandes cupules, de même que sur une grande protubérance au milieu de la fosse. Tout cela laisse supposer beaucoup de turbulences lors des crues. Il semble d'ailleurs que plus nous avançons et plus Dame Nature devient exigeante pour livrer ses secrets.

Bernard et Williams étant frigorifiés, il est temps de mettre un terme à notre journée, dans cet endroit que nous baptisons la salle du Chaudron. Malgré les déconvenues de tuyauterie au lac des Fruits Défendus… nous avons quand même effectué 115 mètres de topographie se dirigeant plein sud. Cela étant, notre ami Jacques nous a concocté une petite théorie, qui dit que si nous nous dirigeons sur les grottes touristiques de Vallorbe, il est possible que ces 2 cavités fassent partie du même système. Il est encore trop tôt pour se prononcer, l'avenir nous le dira. Quant au présent, le plus important pour nous, c'est que cela continue de partout ! Le développement du réseau passe maintenant à 1289 mètres.

          

 


Samedi 21 février 2004
Depuis que nous avons découvert le prolongement de la grotte, nous conservons de bonnes habitudes, à savoir au minimum une sortie hebdomadaire. Aujourd'hui, Franklin, Jacques, Michel, Pascal, Patrick, Pierre, Raymond et Williams sont présents. Huit personnes cela fait beaucoup de monde en même temps, mais il faut reconnaître qu'il y a encore de nombreux endroits à explorer, c'est très stimulant.

Peu avant le passage de la Souricière, un boyau étroit d'une dizaine de mètres où le ramping est de rigueur, notre ami Raymond est inquiet. Avec les rumeurs qui circulent déjà au sujet de ce boyau, sa motivation est bien maigre. Patrick, devant lui, est maintenant engagé dans le goulet et se met à grognasser... Raymond le percevra d'un mauvais œil… il n'ira pas plus loin ! Nous tentons d'apaiser les mauvais esprits, mais rien n'y fait ; ce passage fait l'effet d'une barrière psychologique momentanément infranchissable. Pour la personne qui le vit, cette appréhension est rarement contrôlable, à l'instar d'une pression qui écrase toujours plus si l'on persiste à la surmonter. Mais cette situation n'a rien d'exceptionnel, j'ai même souvent côtoyé des cas similaires. Cela touche toutes les classes sociales, de l'ouvrier au cadre d'entreprise. Il faut bien reconnaître que c'est assez paradoxal quand on pense que la spéléologie, par définition, c'est le fait d'évoluer dans un milieu confiné, donc pas vraiment une activité où les personnes sujettes à ce mal qui pourrait s'apparenter à une sorte de claustrophobie, se sentiraient attirées. Mais bon, on dit aussi que ce qui nous fait peur nous attire, alors c'est peut-être une des raisons.
L'origine du problème est probablement liée à une mauvaise expérience vécue, dont on a souvenir ou pas, et qui peut aisément remonter jusqu'à l'enfance. Mais le plus surprenant, c'est que pour certains ce problème ne se posera pas jusqu'au jour où le trouble se manifeste, à la manière de rêves endormis qui feraient brusquement surface. Cette phobie souterraine concerne généralement les passages exigus, mais touche également les gens qui ont peur de l'eau, du vide, voire même du noir (si si… je connais un cas !).

Nous arrivons dans la salle du Chaudron, le terme de la dernière journée d'exploration. Alors que le groupe de topographie emmené par Jacques, poursuit en tête, les autres suivent en retrait en effectuant des photos. Pour commencer, nous franchissons un genre de siphon temporaire aux parois garnies de grandes cupules parfaitement lisses. Au point bas subsiste un petit lac, mais puisque nous sommes bien équipés, aucun souci. Ce passage va évidemment se noyer en cas de crue, donc un obstacle de plus à prendre en compte sur les dangers liés à l'eau.
Derrière, nous avons la surprise de déboucher dans un vaste conduit aux dimensions généreuses. Avec une section rectangulaire de 4 x 5 mètres, il sera dénommé "Le Métro", nom habituellement attribué à ce genre de configuration. Ce n'est effectivement pas très recherché puisqu'on retrouve cette appellation dans presque toutes les grandes cavités, mais il faut reconnaître que c'est souvent la première impression qui nous vient à l'esprit en découvrant ce genre d'endroit caractéristique.
Nous poursuivons notre route. Le sol est composé de sable et galets, quand ce n'est pas de la roche en place. 2 petits ressauts montants coupent la progression, laissant entrevoir au passage quelques petites marmites d'érosion creusées à même la roche lisse.

Bientôt, le plafond s'abaisse sérieusement. Les petits gabarits apprécient encore, tandis que les autres un peu moins... Selon les personnes, d'aucuns avancent penchés en avant et d'autres de côté. Dans tous les cas, ce n'est pas vraiment idéal pour les nuques sensibles ! Le sol est encombré de galets, étrangement soudés les uns aux autres. Sur ce tapis grossier, de nombreuses stalagmites assez massives se sont érigées. Certaines n'ont pas résisté au passage des crues, tandis que d'autres ont perdu leur aplomb ; ressemblants à de petites "Tours de Pise". Tout ce décor est magnifique, c'est Byzance ! Avec une largeur atteignant près de 10 mètres pour une hauteur se limitant à 1,5 mètre, ce conduit s'appellera désormais : Galerie des Petits Lutins.
En chemin, nous découvrons quelques ossements très usés, déposés ici et là par les crues. D'où viennent-ils ? A quels animaux appartiennent-ils ? Dans le groupe, personne ne peut répondre pour le moment. Nous nous proposons alors de les collecter pour confier la détermination à des spécialistes. En attendant, nous rêvons déjà que ce soit de l'ours des cavernes, puisque cette espèce qui s'est éteinte voici 15' 000 ans, représente en quelque sorte le totem des spéléologues…

Le plafond s'abaisse encore, c'est maintenant à quatre pattes nous avançons sur un lit de galets. Heureusement, cela ne dure pas, nous arrivons dans un vestibule où l'équipe de topographie nous attend. C'est les grandes retrouvailles, et l'occasion de faire la pause pour le repas de midi. Chacun partage alors ses impressions sur les dernières découvertes dans ce palais somptueux.
Nous sommes dans une petite salle qui forme la base d'un effondrement. Entre de gros blocs polis par les eaux, s'échappe une petite galerie très ventilée, mais de bien maigres dimensions par rapport à celles qui nous ont conduits jusqu'ici. Il semble donc que quelque chose nous a échappé, c'est pourquoi nous cherchons dans l'éboulement. Malgré plusieurs tentatives pour forcer quelques passages entre les rochers, rien ne passe.
En cherchant, Claudal découvre à nouveau des d'ossements de chauve-souris, et une fois de plus, un des os est cerclé d'une bague. C'est la seconde que nous trouvons, avec celle de la salle du Miroir des Fées. Nous apprendrons par la suite que ces squelettes appartiennent à deux femelles de l'espèce du Grand Murin (Myotis myotis). Ces animaux ont été bagués par le CHIROS (groupe vaudois pour l’étude et la protection des chauves-souris) en septembre 1986, justement dans la Grande grotte aux Fées. Les Grand Murins semblent donc fidèles à leur lieu d’hibernation. L'espérance de vie de ces chiroptères est d'environ 30 ans, mais vu l'état des ossements retrouvés aux Fées, il est probable que leur mort date d'une dizaine d'années. Par ailleurs, il est peu envisageable que les chauves souris soient arrivées jusqu'ici par le même chemin que nous, il doit donc exister un accès plus direct. Toutefois, cela ne nous avance guère en sachant que ces mammifères peuvent se faufiler dans d'étroites fissures grâce à leur sonar. Mais l'hypothèse d'une autre entrée est quand même possible, l'avenir nous le dira.

Ici, nous sommes très heureux de cette nouvelle trouvaille, c'est alors que l'un d'entre nous s'exclame qu'on pourrait appeler l'endroit : Salle du Chirocoptère !...???
Cela provoque un éclat de rire général, les connaisseurs auront rapidement rectifié qu'il s'agisse plutôt de chiroptères, nom plus scientifique donné à ces volatiles noctambules, dont la caractéristique majeure est l'adaptation au vol, ses membres antérieurs étant transformés en ailes. Pour nous, cette appellation erronée ayant bien fait rire l'assemblée, nous décidons de conserver le nom.

Nous reprenons l'exploration en suivant notre fil guide principal, le courant d'air. Celui-ci s'évade par une petite galerie étroite parsemée de bassins. Le concrétionnement est toujours présent, mais se raréfie à mesure que nous avançons. Bientôt, l'ambiance des lieux devient plus pesante. Les parois deviennent lisses, l'absence de sédiments et la présence de cupules ne laissent rien présager de bon ! Il faut dire qu'en surface la neige est peut-être en train de fondre, et sans connaître le régime hydrologique de la cavité nous ne sommes pas vraiment rassurés. Certains le sont plus que d'autres, tout n'est qu'une question d'état d'esprit. Après un petit carrefour que nous laissons de côté, les dimensions se réduisent encore. Quelques petites marmites remplies d'eau égayent notre parcours, il s'effectue maintenant à quatre pattes. Ici, une crue ne laisserait aucune chance aux explorateurs que nous sommes. Ce n'est pas idéal d'y penser, mais la physionomie des conduits ne fait que nous le rappeler sans cesse. En chemin, nous trouvons d'ailleurs un nom correspondant à la situation, ce sera la galerie du Joker. En effet, comme dans certains jeux de cartes, notre présence ici nous procure l'impression de jouer cette fameuse lame, à laquelle d'aucuns souhaiteraient peut-être bien l'échanger en ce moment contre une protection du genre immortelle ! Ce genre d'humour décalé reflète bien l'état d'esprit actuel : pas vraiment des meilleurs malgré la stimulation de la découverte.

Bientôt, nous arrivons sur le premier obstacle vertical, un puits d'un peu moins d'une dizaine de mètres. Les parois brillantes et lisses s'enfoncent dans le noir, en dégageant ce parfum si particulier : un mélange d'attirance et d'appréhension. Ce n'est pas vertical, nous distinguons même suffisamment de prises dans le rocher pour une désescalade peu exposée. Pourtant, poursuivre l'exploration n'est plus au goût de chacun, il semble que la charge psychique exercée par la galerie du Joker fait toujours son effet. En conséquence, la majorité de l'équipe décide de rebrousser chemin tandis qu'un petit groupe se reforme. Je prends le relais de la topographie et attaque la descente du ressaut. Celui-ci accuse une hauteur de 7 mètres, et comme prévu, il ne pose aucune difficulté aux acrobates que nous sommes. J'atterris sur un manteau de galets polis, et devant moi un inquiétant corridor de 2 mètres de large plonge à 45 degrés dans les profondeurs de la nuit.

Pendant que Patrick me rejoint, en scrutant les parois je fais une nouvelle trouvaille ; décidément, au royaume des "Fées" on ne s'ennuie pas ! Il s'agit d'une molaire de bonne taille qui est coincée dans une petite fissure à 1,5 mètre du sol. Il y a une vingtaine d'années, sur les flancs du Mont Tendre le plus grand sommet du Jura vaudois (Suisse), alors que nous topographions une petite grotte insignifiante d'une dizaine de mètres, j'avais découvert 2 crânes d'ours brun, relativement bien conservés ; ils possédaient encore leur dentition. Après détermination par monsieur Louis Chaix, alors conservateur du département d'Archéozoologie du musée d'histoire naturelle de Genève, il s'avérait que ces os n'étaient pas très vieux, à peine 150 ans. J'avais pu les conserver, c'est pourquoi aujourd'hui je peux avancer que la molaire que j'ai dans les mains ressemble fortement à une de celles que je connais. Elle peut aussi appartenir à un ours des cavernes, mais peu importe, les 2 races appartiennent plus ou moins à la même famille. A ce sujet, de récentes découvertes indiquent que les 2 espèces ont cohabité pendant toute leur existence, et que le dernier ancêtre commun aux 2 espèces vivait il y a 1,6 million d'années. Cet ours primitif est également un ancêtre de l'ours polaire. En Suisse, le dernier ours brun a été abattu en 1904, alors que l'ours des cavernes aurait disparu au Pléistocène supérieur, il y a environ 15'000 ans.

Pendant que je dessine, Patrick se tient vers moi et contemple la magnifique pente de galets qui s'enfonce dans le noir. Où nous conduit-elle ? C'est l'éternelle question, celle qui nous passionne, nous anime et nous pousse à aller de l'avant. D'ailleurs, nous allons bientôt en savoir un peu plus, le temps de terminer le croquis de la zone où nous sommes. Par le ressaut que nous venons de franchir, que nous baptisons le puits de l'Ours, il semble que nous allons accéder à un étage inférieur. Cela ne fait qu'augmenter l'appréhension quant aux risques liés à l'eau, nous évoluons dès lors dans une zone pouvant s'inonder.
Soudain, au moment où personne ne désirait l'entendre, Patrick s'exclame :

- De l'eau, j'entends de l'eau, c'est la crue !!!...

Immédiatement, j'imagine qu'il fait de l'humour, mais en voyant son visage angoissé, je commence à en douter...
En fait, avec mes problèmes auditifs il m'est difficile de juger de la situation, car je n'entends pas le bruit incriminé. Patrick explique qu'en arrivant ici il n'y avait aucun bruit, alors que maintenant il y a un important bruit d'eau… fait qui d'ailleurs est confirmé par Michel, qui vient de nous rejoindre.

Il va sans dire que dans les esprits de chacun cet événement crée l'effet d'une tornade, se traduisant par un sentiment d'affolement où chacun veut sauver sa peau !!!
Tandis que Michel et Patrick s'empressent d'escalader le puits, quelques retardataires de l'autre groupe, toujours au sommet de l'obstacle, repartent aussitôt au pas de course. Je tente comme je peux de calmer la situation, mais je dois reconnaître que je n'ai pas d'argument pour contrer la débâcle... En jetant un coup d'œil sur la rampe d'éboulis, je ne vois pas d'eau envahir les lieux. De toute façon, je suis encombré de tout le matériel de topographie, j'aurai du mal à prendre la poudre d'escampette ainsi équipé !

Rapidement, je me retrouve seul. Il est bien clair que mon moral n'est pas des meilleurs, loin de là !... Mais d'un autre côté, j'ai également la conviction que nous avons été victimes d'un mouvement de panique infondée. En effet, concernant les crues subites, j'avais lu quelques articles sur le sujet, et notamment qu'il y a des signes annonciateurs. Tout d'abord, une masse d'eau qui se déplace rapidement va pousser l'air en avant, donc nous devrions détecter un puissant souffle inhabituel. Ensuite, l'eau qui envahit les galeries va compresser l'air emprisonné dans des cloches, et lorsque la pression est trop forte, certaines se libèrent en provoquant une forte détonation, à la manière de coups de canon audibles sur de grandes distances. Ici, ni coup de canon, ni souffle inhabituel. C'est en pensant à ce courant d'air qu'une pensée me vient à l'esprit :
En regardant dans quel sens souffle le courant d'air, je constate que celui-ci se dirige vers la sortie, alors que ce matin je me souviens que c'était dans la direction opposée ?!!! Bon sang, mais c'est bien sûr !... Je venais de trouver une explication plausible à notre affaire, mais surtout une bonne raison de croire que je ne risquais rien.
Les spéléologues savent tous qu'un courant d'air va se créer entre plusieurs entrées lorsqu'il y a une différence de température entre l'air extérieur et l'air de la grotte. Ce flux va se diriger dans un sens ou dans l'autre si la température extérieure est au-dessus ou au-dessous de celle du milieu souterrain. Donc en été une entrée supérieure va aspirer, alors qu'en hiver cette même entrée va souffler. Mais il arrive que ces changements s'opèrent rapidement au cours d'une même journée ; par exemple, quand le matin l'air extérieur est plus froid que la grotte, et que par la suite il se réchauffe avec les rayons du soleil pour devenir plus chaud que la température de la caverne.
En conséquence, il semble que c'est ce qui s'est produit au moment où Patrick était vers moi, l'inversion du flux d'air a permis de transporter le bruit d'une rivière qui doit probablement nous attendre plus en avant. Je suis quelque peu réconforté à cette explication, mais il n'empêche que mon regard se tourne régulièrement sur la galerie qui s'enfonce dans la nuit, à la recherche d'une nappe d'eau montante…
Je pourrai en avoir le cœur net en avançant jusqu'au cours d'eau hypothétique, mais je dois bien avouer qu'en ce moment, seul face à mes démons intérieurs qui me sermonnent indomptablement, je n'ai pas le cran suffisant !
Après avoir rangé tout mon matériel dans le kit, j'entame l'escalade du puits. Au sommet, un inévitable et ultime coup d'œil en contrebas m'informe qu'il n'y a toujours pas d'eau, et c'est tant mieux !

Pendant ce temps, au cours de leur retraite forcée, Michel et Patrick ont eu quelques remords à mon égard, ils ont alors stoppé leur élan dans une petite salle surplombant la galerie du Joker, peu avant son terme. Maintenant, cela fait une dizaine de minutes qu'ils attendent à s'inquiéter sur mon sort, mais c'est peut-être aussi à pester contre le fichu retardataire qui n'en fait qu'à sa tête...
En les rejoignant, je suis surpris de les revoir si vite, je m'attendais plutôt à les retrouver à la sortie ! En reparlant du bruit inopiné, source de tous nos soucis, je leur fais part de ma petite théorie sur les courants d'air. Et puisque les dangers sont à mon avis écartés, je leur propose même d'y retourner de suite, au moins jusqu'à cette fameuse rivière histoire de lever le doute...

Michel est presque... convaincu, en revanche Patrick ne l'est pas du tout ! L'endroit où nous sommes ne lui convient déjà guère, alors retourner au cœur de la tourmente, c'est un peu comme si on lui demandait de sauter d'un pont !...
Finalement, nous sommes arrivés à la conclusion que cela ne vaut pas la peine de continuer le cœur serré, alors que la prochaine fois, avec de meilleures conditions, ce sera du 100% bonheur.

Entre-temps, une partie de la seconde équipe est revenue au carrefour proche du lac des Fruits Défendus, et s'est lancée dans l'exploration d'une nouvelle galerie. Après un début assez spacieux, les dimensions se restreignent rapidement. Un petit lac argileux est franchit, et derrière, après le franchissement d'une fenêtre dans les concrétions, ils accèdent dans une galerie étroite et rectiligne, creusée au dépend d'une nouvelle faille. Les premières dizaines de mètres ne dépassent pas la largeur d'un homme, mais gagnent ensuite en amplitude. Le concrétionnement est important mais sporadique, l'argile est quant à elle omniprésente, ce qui tache... quelque peu le plaisir de la découverte. La caractéristique particulière de ce conduit est qu'il se dirige plein nord, ce qui permet de le baptiser : Galerie Polaire. 80 mètres de topographie seront ainsi ajoutés, le groupe s'arrêtera au sommet d'un petit obstacle vertical. Le courant d'air est également de la partie, la suite de ce secteur s'annonce donc sous les meilleurs cieux.

Avec plus de 400 mètres de lieux explorés et topographiés, cette journée fut très chargée en émotion. Toutefois, avec la rivière que certains ont entendue… on peut déjà imaginer que le meilleur est à venir. Qu'il en soit ainsi...

          

 


Samedi 28 février 2004
Dans la reculée de la Dernier, non loin de Vallorbe, le soleil se lève sur l'entrée de la Grande grotte aux Fées, néanmoins, la température ne dépasse pas les -5 degrés. Le spéléo club de Cheseaux est aujourd'hui à l'honneur, Franklin et Williams vont poursuivre l'exploration de la galerie Polaire.
Il y a quelques jours, il y a eu un tremblement de terre pas loin de chez nous ; l'épicentre se situait en France, plus précisément à Baume-les-Dames dans le département du Doubs. De magnitude 5, correspondant à un séisme modéré, celui-ci a été bien ressentit jusqu'en Suisse romande. Selon l'échelle de Richter, cette amplitude peut causer des dommages majeurs à des édifices mal conçus, ou de légers dommages aux édifices bien construits. Dans le réseau des Fées, on pouvait s'attendre à quelques mauvaises surprises dans les zones délicates, et notamment la trémie de l'Au-delà, voire la zone instable de la galerie du Cadeau d'Anniversaire. Toutefois, en parcourant ces passages, Franklin et Williams n'ont pas remarqué de changement particulier. On peut donc en déduire que ces endroits ne se révèlent pas si inquiétants, ce qui est une bonne chose en soi.
Au terme de leur parcours, ils arrivent à l'obstacle qui les avait arrêtés la dernière fois, une fissure étroite surplombant un ressaut de 4 à 5 mètres. Dans un premier temps, une corde à nœuds est mise en place, mais une fois engagé dans la fissure au-dessus du vide, ils se rendent compte que la sortie de celle-ci n'est pas aussi évidente qu'il n'y paraît. En conséquence, ils déroulent une échelle souple, qu'ils fixent sur un amarrage naturel, ce dernier assuré d'une sangle dans un petit trou rocheux. Le fait de doubler les équipements est une règle de base au niveau de la sécurité, c'est d'autant plus vrai quand il s'agit d'un ancrage naturel.

La descente de l'échelle se termine au départ d'une galerie semi-noyée. Là, avec de l'eau jusqu'à la ceinture, il est surprenant de se rappeler qu'au même endroit la semaine précédente, ils distinguaient nettement qu'il n'y avait pas d'eau. Il est probable que la fonte de la neige doit en être la cause, mais là encore, au stade de nos connaissances sur cettecavité, il est encore difficile de se prononcer.
La galerie mesure 1,5 mètre de large, et dans cette ruelle à peine plus haute que la taille d'un homme, l'onde s'étend à l'horizon. De belles concrétions pendent du plafond, dont certaines vont jusqu'à plonger dans le liquide. Toutes ces formations se reflètent dans le miroir de la nappe, le spectacle est grandiose. L'eau cristalline permet de distinguer de curieuses boules de 30 à 40 centimètres de diamètre, posées à même le sol. Ces formations sont constituées de lait de lune, une variété d'argile très blanche qui se désagrège au simple contact. Il est donc bien clair qu'elles ne subsisteront pas en ces lieux, a fortiori en étant sous l'eau. En effet, le passage des spéléologues va rapidement troubler le bassin, il ne sera bientôt plus possible de savoir où poser les bottes. En exploration, c'est quelquefois le tribut à payer, quand il n'y a pas d'autres possibilités que de détériorer la nature du terrain.

Pour l'heure, nos deux compères ne sont pas vraiment motivés de poursuivre avec toute cette eau, ils décident alors de rebrousser chemin. Dans le lointain, ils perçoivent un grondement très léger… Cascade, rivière ou simplement hallucination due à l'ivresse des profondeurs ?… L'avenir nous rendra réponse à cette question. Il en va de même concernant l'absence de courant d'air aujourd'hui, contrairement à la semaine précédente où au même endroit il était très significatif.
Le chemin du retour s'effectuera sans difficulté, avec juste une brève hésitation au moment de franchir le seuil de l'entrée de la grotte : il neige à gros flocons !

 


Samedi 6 mars 2004
En cette nouvelle journée, il y a de l'affluence au rendez-vous habituel autour d'un petit café. Avec Bernard, Claudal, Florian, Franklin, Jacques, Marc, Michel et Pierre, cela fait 8 personnes.
Avec une météo très mitigée, les avis quant à poursuivre l'exploration le sont d'autant plus... Finalement, tandis que Jacques et Marc décident de poursuivre la prospection en surface, Michel et Florian vont faire de la photo dans la partie connue, pendant que le reste du groupe se rend au bas du Puits de l'Ours, afin de poursuivre l'exploration, et notamment percer le mystère de cette fameuse galerie qui s'enfonce dans les profondeurs de l'inconnu.

Nous sommes maintenant au départ de l'impressionnante pente de galets baptisée : Rampe Jeanne d'Arc, en mémoire d'une grande dame de l'histoire de France, qui selon les rumeurs, entendait des voix ! Pour nous ce nom est bien sûr un petit clin d'oeil à l'anecdote du 21 février dernier, où certains d'entre nous ont également entendu le grondement d'une crue… Evidemment, la plupart d'entre nous rêvent que le bruit en question provienne d'une rivière lointaine qui nous attend au détour d'un virage, peut-être même le collecteur hypothétique qui ressurgit au nord-ouest de la reculée de la Dernier, à seulement quelques centaines de mètres d'ici, la source des Gerlettes. D'ailleurs, nous allons rapidement savoir ce qu'il en est, le secret est maintenant à la portée de nos bottes…

Large de 1,5 mètre, notre galerie s'enfonce à près de 45 degrés. Le sol est composé de galets polis par les crues, que nos bottes font rouler à mesure de la descente. Le plafond s'abaisse brusquement, un passage bas précède un carrefour. Ici, malheureusement pas de collecteur à l'horizon... juste un petit ruisseau qui débouche sur le côté, au niveau d'un bassin. Cet endroit ne s'annonce pas bien grand, mais nous remarquons que le courant d'air s'échappe dans cette direction. Avec la présence de ce ruisseau, nous avons la confirmation du bruit qui a généré tant de mystère, et notamment le mouvement de panique engendré lors de la dernière sortie. Ce jour-là, nous nous sommes rendu compte que lorsque le sentiment de la peur nous gagne brusquement, il se transmet instantanément auprès de tous les participants, et provoque l'affolement général.

Nous décidons de poursuivre la galerie devant nous, où visiblement c'est le plus grand, environ 2 x 1,5 mètre. Un gros os est découvert, nous le mettons de côté pour l'emporter au retour. La topographie reprend, lente et méticuleuse, mais qui a l'avantage de nous laisser le temps d'apprécier la grotte.
Bientôt, le sol remonte, les dimensions se réduisent, l'argile commence sérieusement à se faire sentir... Ce n'est pas bon pour notre moral, mais heureusement, nous avons la surprise de déboucher dans une galerie transversale de plus amples dimensions. Sur notre droite, ce qui semble être l'aval puisque le conduit redescend, les proportions se réduisent à nouveau. Nous préférons nous engager à l'amont, où la section est plus sympathique, 3 x 2 mètres en moyenne. Dans cette galerie tortueuse, nous progressons de 120 mètres au nord-est, en levant la topographie. Le sol est composé de sable et de galets, ainsi qu'un remplissage argileux s'élevant sur les côtés. Avec la présence de traces d'argile liquide jusqu'au niveau du plafond, nous savons pertinemment que tout ce secteur se noie, ce qui occasionne quelques réticences dans le groupe quant au fait de nous arrêter pour le pique-nique de midi !!!...
Sur les parois, nous remarquons aussi la présence de nombreux fossiles, d'où le nom donné à cette galerie, cela dit pour les esprits tordus qui feraient plutôt le rapport avec les explorateurs… plus vraiment dans la fleur de l'âge !
Bientôt, c'est dans un virage à angle droit, avec en prime un joli petit bassin, que nous décidons de stopper notre avance dans ce secteur. Devant nous la galerie continue, fascinante et énigmatique, fuyant au-delà de la portée de nos éclairages.

Revenus au bas de la Rampe Jeanne d'Arc, nous nous engageons du côté du ruisseau, dont le débit est évalué à un demi-litre à la seconde. Après un passage bas au niveau d'un bassin, nous avons l'agréable surprise de déboucher au départ d'un méandre de belle facture. Nous pensions en rester là, mais comme toujours, attirés par l'exaltation de l'exploration, nous décidons de poursuivre encore un petit peu. Avec une largeur moyenne de 80 centimètres et une hauteur de 3 à 4 mètres, nous remontons un méandre plein sud, en suivant le cours d'eau. Le courant d'air froid balayant les lieux nous donne l'idée du nom de rivière Blizzard. Après 70 mètres de topographie, nous nous arrêtons dans le premier coude qui s'offre à nous, dont l'altitude est identique par rapport à l'entrée de la grotte. Au-delà, le méandre continue, avec des proportions similaires à celles qui nous ont conduits jusqu'ici.
Cette excellente journée d'exploration se solde par 223 mètres de découvertes et relevés topographiques, faisant passer le développement du réseau à 1957 mètres.

          

 


Samedi 13 mars 2004
Aujourd'hui, 4 personnes ont répondu à l'appel, à savoir Jacques, Patrick, Pierre et Williams.
Au vu d'une météo à nouveau critique pour une incursion dans le réseau, Jacques décide de poursuivre la prospection en surface, tandis que nous choisissons quand même de nous rendre sous terre. Toutefois, nous n'irons pas dans la zone terminale, plutôt le secteur intermédiaire où quelques boyaux annexes ont volontairement été mis en attente pour ce cas de fortune.
Nous commençons par un méandre qui se détache peu avant le lac des Fruits Défendus. Les choses se présentent bien : dimensions moyennes de 0.4 x 1.6 mètre, parois propres, courant d'air bien sensible. Hélas, 10 mètres plus loin, nous recoupons la galerie principale… #&¦%$£!???

Après avoir enfilé nos combis étanches pour le franchissement du lac, nous poursuivons jusqu'à la Salle du Chaudron, afin de continuer une petite galerie basse qui file au sud. Encombré de quelques blocs, ce gros laminoir est argileux, mais quelques concrétions et mini gours d'argile agrémentent toutefois la progression. Les dimensions sont de 5 x 1 mètre en moyenne, avec un passage record à 8,5 mètres de large, mais la hauteur est d'à peine 60 centimètres. Après 80 mètres dans cette galerie Douze Pattes (bien normal avec 3 gaillards à quatre pattes…), nous débouchons dans une petite salle bien concrétionnée. Depuis un moment, avec la présence généreuse de la boue, nos combinaisons n'arboraient plus leur teinte originale... Eh bien mes amis, ce n'était qu'un avant-goût, car la suite qui se présente s'annonce bien pire ! En effet, Patrick a découvert un passage en hauteur, ce qui nous oblige à effectuer une remontée dont les flancs sont recouverts de "lait de lune", une variété d'argile très blanche, mais horriblement collante et salissante...
Bientôt, nous rejoignons une salle supérieure joliment décorée de stalagmites et stalactites, mais surtout, le plus important actuellement à nos yeux... propre !

Au point bas de la salle, debout sur de gros blocs effondrés, nous pensons en avoir terminé avec l'exploration et les relevés, il semble que l'endroit soit hermétique. Ce n'était sans compter la ténacité de Patrick, qui trouve alors un passage supérieur conduisant dans une troisième chambre, bouclant cette fois le secteur. Il y a néanmoins une lucarne qui nous nargue encore dans les hauteurs, mais vu l'état de notre moral, inversement proportionnel à la couche de boue qui nous recouvre, nous nous proposons de reporter l'exercice à une prochaine occasion... Malgré que nous savons pertinemment que la boue cache le spéléologue, mais ne le tache pas... s'en est trop en si peu de temps ; bien que ces petites salles possèdent quelques recoins magnifiques, avec un concrétionnement fin et abondant.

En cette belle sortie argileuse, nous avons tout de même ajouté 165 mètres au développement, qui passe maintenant à 2122m.

          

 


Samedi 20 mars 2004
Aujourd'hui, nous sommes seulement trois au rendez-vous, à savoir Bernard, Franklin et Pierre.
Avec la neige encore présente sur les monts du Jura, une semaine de beau temps, des températures en hausse et une météo stable à 90%, c'est donc une excellente raison d'aller voir de plus près les différents passages critiques de notre cher réseau des Fées.

Pourtant, proche de l'entrée, cela ne commence pas très bien ! En effet, au niveau de la petite cuvette juste avant la Souricière, 50 centimètres d'eau nous obligent à effectuer une gymnastique pour ne pas nous mouiller.
Plus loin, nous enfilons nos combinaisons étanches dans la Salle des Intestins, le vestiaire de service. Et c'est le bon choix, le passage du lac des Fruits Défendus est aujourd'hui au top niveau... Bernard et Franklin se rendent compte que son franchissement n'est pas si dramatique avec un casque à la main et quelque 20 centimètres d'air !!!

Dans la salle du Chaudron, le passage bas est également occupé par un joli bassin, laissant cette fois un peu plus de marge, 30 à 40 centimètres.
A partir de la salle du Chirocoptère, nous empruntons la galerie du Joker avec une magnifique ruelle semi noyée sur près de 50 mètres, avec par endroits de l'eau jusqu'aux aisselles. Cette quantité d'eau impressionne, mais nous sommes toujours confiants pour la suite du parcours. Par ailleurs, le courant d'air étant toujours présent, bien qu'il soit plus faible qu'à l'accoutumée, cela laisse supposer qu'aucun obstacle ne va nous barrer le chemin.
Nous arrivons bientôt au bas de la Rampe Jeanne d'Arc. Là, une surprise nous attend : un beau siphon tout joli tout propre ! Cet obstacle me surprend, car peu avant je sentais encore le courant d'air. En revenant sur mes pas, je trouve la réponse à l'énigme, en la présence d'un petit boyau démarrant au plafond. Au début de la rivière Blizzard, nous avions déjà remarqué un petit départ qui s'échappait dans notre direction, il semble donc que nous avons à faire à un petit shunt où passe la totalité du courant d'air, quand le siphon est amorcé. Malheureusement pour nous, celui-ci n'est pas pénétrable sur au moins 1,5 mètre. Il serait d'ailleurs judicieux de l'agrandir un jour, pour ainsi disposer d'une issue de secours pour le cas où... Car effectivement on n'est jamais trop prudent, il vaut mieux perdre quelques heures à sécuriser un passage plutôt que devoir patienter quelques jours, coincé derrière un siphon !

Pour l'heure, nous décidons d'explorer la galerie Serpentine, un conduit qui se détache au milieu de la galerie du Joker, en face d'une cheminée qui s'élève sur plus vingtaine de mètres. Une fois engagé, un nouveau tronçon à quatre pattes nous attend ; d'ailleurs, avec cette grotte, on commence à en avoir l'habitude ! Nous débouchons ensuite sur un petit ressaut de 3 mètres où l'on rejoint un nouvel écoulement, dont le débit correspond à un litre à la minute. L'aval se perd immédiatement, tandis que nous pouvons remonter le ruisseau en suivant un méandre de 0,4 x 2,5 mètres en moyenne. Ce dernier est assez argileux, mais possède un concrétionnement intéressant dans la partie supérieure. Un nouveau petit bout d'os est découvert, cette fois il est pris dans la roche à un mètre du sol. Décidément, la théorie d'un ou plusieurs animaux tombés dans le réseau se confirme, les ossements ont par la suite été éparpillés par les crues.
Nous venons de parcourir une trentaine de mètres dans le méandre, puis nous pouvons remonter dans une petite salle baptisée salle de l'Oursin, avec en paroi la présence d'un fossile assez étrange et ressemblant. Cet élargissement marque un terme à cette partie, l'eau provient de 2 petits boyaux impénétrables. En revenant sur nos pas, nous tentons de faire quelques photos, mais le manque de ventilation dans cette zone saturée d'humidité ne nous a pas permis de rapporter de jolis souvenirs.

Le retour à la lumière s'effectue sans problème, sauf peut-être pour Franklin qui a voulu goûter aux Fruits Défendus... il a bien sûr ingurgité une bonne tasse dans le lac ! Plus sérieusement, pour franchir rapidement le passage il a voulu garder le casque avec la tête droite, mal lui en a pris...

Même avec beaucoup d'eau, cette journée nous a permis de constater que la grotte est franchissable sans trop de difficultés. Mais sans se rendre sur place, il sera difficile de prévoir la présence d'un siphon aux endroits critiques, notamment le point bas de la Salle du Chaudron ainsi que la Rampe Jeanne d'Arc. Aujourd'hui, avec 71 mètres de topographie le développement passe à 2193 mètres, c'est toujours ça de gagné... gentiment mais sûrement !

          

 


Samedi 27 mars 2004
Il fait beau et froid, la météo est enfin de notre côté. Mais cela n'explique pas l'affluence record aujourd'hui, juste Claudal et votre serviteur...
Un peu partout, le niveau des lacs a retrouvé son état normal, de même que le siphon n'existe plus au bas de la Rampe Jeanne d'Arc. Le débit de la rivière Blizzard est cependant plus conséquent, environ 1 litre à la seconde. Nous constatons alors que le dernier bassin servant de perte n'absorbe plus, et l'eau poursuit son chemin pour se perdre peu après dans une seconde brèche, au milieu de la galerie du Pont de Glaise, le passage de transition avec la galerie des Fossiles.
Lors de la découverte de la rivière Blizzard, nous supposions que l'eau se perdait en direction de l'éboulis de la Rampe Jeanne d'Arc, nous savons maintenant qu'il n'en est rien. Il semble que lorsque le débit est faible l'eau circule sous l'éboulis au niveau de base de la galerie du Pont de Glaise, et si le débit augmente le surplus circule à la surface des sédiments. D'ailleurs, au moment où nous explorerons l'aval de la Galerie des Fossiles, il y a de fortes chances de retrouver le ruisseau, nos plans indiquent que la seconde perte se trouve parfaitement dans l'axe.

Pour l'heure, nous ne sommes pas trop rassurés dans ce secteur. En effet, après avoir étudié la zone où l'eau se fraye un chemin dans la galerie du Pont de Glaise, nous comprenons que si le bas de la Rampe Jeanne d'Arc siphonne comme c'était le cas le week-end précédent, ce n'est pas un petit siphon qui va se créer, mais un couloir submergé d'une vingtaine de mètres !!!
Etant donné que dehors il fait soleil, cela nous donne matière à réfléchir... En effet, en sachant que si les températures remontent, le débit de la rivière va aussi augmenter ? Et si c'est le cas, quelle quantité d'eau la seconde perte peut-elle absorber avant que le siphon ne s'amorce ? Toutes ces questions sont actuellement sans réponse, et ne font qu'amplifier le désir de ne pas nous attarder dans cette partie. De plus, nous constatons que sur une pente de glaise les traces de notre précédent passage ont été effacées, preuve que l'eau a passée tout récemment...

Somme toute, nous restons assez confiants, la température étant sous le zéro avant d'entrer dans la grotte. En conséquence, nous décidons de nous autoriser une brève incartade du côté du terminus de la galerie des Fossiles !
En chemin, nous arrivons au passage d'un ancien siphon ; la galerie descend brusquement sur quelques mètres pour remonter de plus belle au niveau initial. Le problème, c'est que la dernière fois il n'y avait pas une goutte d'eau, et aujourd'hui un beau lac occupe la zone, ne laissant que quelques centimètres d'air pour continuer. Cette fois s'en est trop d'essayer de calmer nos esprits, notre escapade est terminée...

Nous faisons quelques photos des fossiles ornant cette galerie, et revenons au carrefour vers la Rampe Jeanne d'Arc. Là, nous décidons de poursuivre l'exploration de la rivière, nous pouvons au moins en contrôler le débit et revenir au plus vite à la moindre variation. En ces lieux, la topographie ne nous réjouit pas vraiment, le courant d'air est aujourd'hui monstrueux…

A partir de notre dernier terminus, nous progressons de 70 mètres, toujours au sud. Au fur et à mesure que nous avançons, le méandre devient de plus en plus restreint. Bientôt, Claudal se met à maugréer, victime de fortes crampes au niveau des jambes. Il faut préciser que le rythme de la topographie n'apporte pas vraiment de quoi se réchauffer, de surcroît dans un conduit balayé par un courant d'air glacial, et qui plus est, à plat ventre dans l'eau depuis une vingtaine de mètres, dans un étroit chenal où l'espace est à peine suffisant pour avancer...
Malheureusement, il n'a pas vraiment d'autre choix, juste prendre son mal en patience… un moment laborieux à passer… bientôt plus que des quelques mauvais souvenirs qu'il aura vite oublié !!!...

En tête, je suis maintenant arrêté devant un bloc siégeant étrangement en travers du méandre. Il forme un rétrécissement sévère avec une paroi calcifiée, et malgré 10 minutes de contorsions, cela ne passe toujours pas. Il faudra revenir avec du matériel adapté, ce qui, actuellement, vient au secours de notre martyr de service...

Retour sans histoire, et surtout, pour certain, le plaisir de retrouver le confort chaleureux de la progression ! Avec tout de même 9 heures passées au royaume des Fées, 75 petits mètres viennent seulement s'ajouter à nos découvertes, mais un pas de géant dans la topographie d'un secteur malaisé !

          

 


Samedi 3 avril 2004
Cinq personnes sont présentes aujourd'hui : Franklin, son fils, Franck, Michel et Pierre.
Le soleil est rayonnant, les prévisions météo annoncent même des températures jusqu'à 14 degrés. Nous sommes donc très sceptiques quant à l'objectif de la journée, alors tout comme les sorties précédentes, nous allons improviser en fonction de ce que nous allons rencontrer...
Après avoir quelque peu traînassé au café... il est déjà 11 heures lorsque nous pénétrons dans la grotte.

Dans la galerie du Joker, nous décidons d'aller voir de plus près une étroiture vers le shunt des 2 Mythos. En 2 temps et 3 mouvements, ce passage est franchi. Derrière, nous pouvons réaliser une petite boucle d'une quinzaine de mètres pour jonctionner avec un second petit départ déjà repéré lors de la topographie. Un nouvel élément de notre puzzle osseux est également découvert, cette fois c'est un morceau de vertèbre. Si cela continue, nous allons bientôt pouvoir reconstituer tout l'animal...
Ce qui est étonnant, c'est que cet os se trouvait une dizaine de mètres au-dessus du niveau de la galerie du Joker, où l'eau des crues est sensée passer. Cela doit donc dater de fort longtemps, probablement plusieurs millénaires.

Au bas de la rampe Jeanne d'Arc, la rivière Blizzard recoupe notre chemin avec un débit évalué à 3 litres à la seconde. C'est encore plus conséquent que samedi passé. A vingt mètres de là, la seconde perte joue toujours son rôle, mais pour combien de temps ?...
Devant nous, nous remarquons que le toboggan de glaise montre toujours nos traces datant d'une semaine, l'eau n'a donc pas franchi ce cap, ce qui nous rassure quelque peu.
Après avoir fait le point sur la situation, nous décidons de poursuivre l'exploration de la galerie des Fossiles, en partant du principe qu'une personne reviendra toutes les quinze minutes afin de vérifier le niveau de l'eau. Il faut savoir que notre terminus actuel n'est pas bien loin, à peine quelques minutes d'ici.

Nous empruntons alors la galerie des Fossiles, quand soudain un grondement d'eau inquiétant nous paralyse brusquement. L'un d'entre nous s'exclame " LA CRUE !!! ", ce qui n'aide pas vraiment à arranger nos affaires...
Après brève réflexion, l'idée de la crue ne nous paraît pas vraiment crédible, le bruit de rivière étant trop régulier. Sans trop réfléchir, comme aimantés par ce bruit qui nous interpelle, nous continuons prudemment...
Incroyable... nous rejoignons une rivière de plusieurs litres à la seconde provenant de l'amont de la galerie des Fossiles. Près de nous, l'eau s'engouffre le long de la paroi, dans une petite perte en rive gauche. En remontant la rivière, notre progression s'arrête rapidement sur un siphon, l'endroit précis où nous relevions la présence d'un lac lors de la sortie précédente.

De retour au départ de la galerie des Fossiles, nous faisons à nouveau le point à l'occasion de la pause pique-nique. Avec ces conditions pour le moins humides... il ne reste plus grand-chose à faire aujourd'hui, si ce n'est de poursuivre l'aval de la galerie des Fossiles, à quelques pas d'ici. L'étroitesse et la présence de boue ne nous motivent guère, mais de toute façon il faudra bien faire ce travail un jour ou l'autre, alors autant le faire maintenant. Ce fut un choix très judicieux... mais n'anticipons pas !

Franklin, Michel et Pierre démarrent la topographie ; les 2 plus jeunes restant en retrait au carrefour de départ afin de surveiller le niveau de l'eau. Car nous sommes tous conscients que si la rivière Blizzard et la rivière des Fossiles grossissent, c'est inévitablement sur nous qu'elles vont s'abattre...
Après quelques mètres de reptation dans un environnement argileux, les choses s'arrangent agréablement. La galerie fait maintenant 2 x 1 mètre et devient plus propre. Bientôt, comme nous le supposions, la rivière Blizzard débouche en rive droite. Pour ma part, cette nouvelle me réjouit, je vais pouvoir dessiner plus proprement ! Et ce n'est pas l'eau qui nous manque, car bientôt une seconde rivière débouche en rive gauche, qui n'est autre que celle que nous avons rencontrée précédemment dans galerie des Fossiles.
La suite de la galerie conserve ses dimensions, mais l'ambiance devient assez particulière... à quatre pattes ou à plat ventre dans une rivière de près de 10 litres à la seconde ! Pour la topographie je suis aux anges, mes feuilles n'ont jamais été aussi propres !... Il faut préciser que nous employons des feuilles Syntosil, un papier synthétique insensible à l'eau.

Après un passage supérieur, étroit et désagréable, le conduit prend même de plus amples proportions. Une troisième rivière débouche en rive droite, un peu moins d'un litre à la seconde. Elle provient peut-être de la galerie Serpentine, mais seule une coloration nous le confirmera.
Nous arrivons dans une ruelle à demi inondée de 0,8 x 1,5 mètre. Après une dizaine de mètres, le plafond s'abaisse, bientôt un petit carrefour se présente. A droite, la rivière se perd dans l'amorce d'une petite galerie, défendue rapidement pas un siphon. A gauche, une voûte rasante où il ne subsiste que 20 centimètres d'air, nous invite à poursuivre. Heureusement, le passage est court et nous pouvons enfin nous sortir de cette zone aquatique. Nous avons alors la joie de déboucher dans une sorte de vestibule encombré de gros galets. Ici, une quatrième rivière arrive depuis le haut et nous projette ses embruns de tous côtés. C'est vraiment "la totale", avec Franklin nous sommes très excités par ces dernières trouvailles et ne manquons d'ailleurs pas de le manifester à qui veut l'entendre... Michel est franchement moins démonstratif, il faut dire que cela fait un moment qu'il rouspète pour que l'on fasse demi-tour...

Nous sommes à la base d'une cascade de 2 mètres. Au-delà, la rivière nous conduit immédiatement devant un siphon, qui met un terme à nos émotions !
Revenus au pied de la cascade, nous découvrons encore des petits ossements ressemblant à des phalanges, ainsi qu'une molaire identique à celle trouvée au puits de l'Ours. Bien trempés mais heureux, cette fois c'est terminé pour aujourd'hui, nous pouvons entamer le chemin du retour, au grand bonheur de certain...

Dans la galerie du Joker, nous nous arrêtons au niveau de la cheminée. Cela fait quelque temps qu'elle nous interpelle, elle s'élève au-delà de la portée de nos lampes, plus d'une vingtaine de mètres. Serait-ce un accès à un étage supérieur ? Ou alors nous conduirait-elle vers une nouvelle entrée dissimulée quelque part en forêt ? Toutes les hypothèses sont envisageables. Après m'être élevé de quelques mètres, je me rends compte qu'il n'est plus possible de poursuivre sans assurage adéquat. Donc, il y a matière à s'occuper le jour où la météo sera mauvaise, ce qui ne va sûrement pas tarder de se produire !

Après 8 heures de pérégrinations souterraines, le réseau possède maintenant 4 rivières, et avec nos 93 mètres de topographie le développement passe à 2361 mètres.

          

 


Samedi 10 avril 2004
Le printemps nous amène gentiment sa chaleur bienfaitrice, la neige n'est bientôt plus qu'un souvenir. Pourtant, nous ne sommes que trois aujourd'hui : Florian, Michel et Pierre.
Dans la galerie des Fossiles la rivière ne coule plus, mais le siphon est toujours amorcé. Nous décidons de creuser un petit canal dans les sédiments très mobiles afin de baisser le niveau. Deux heures plus tard, malgré avoir gagné 20 centimètres cela ne suffit toujours pas.

Nous nous rabattons alors sur l'aval, baptisé galerie Amphibie, avec les nombreuses rivières qui la sillonne. Malgré l'absence d'eau dans la galerie des Fossiles, l'affluent provenant de cet endroit est pourtant bien actif dans la galerie Amphibie, ce qui laisse supposer que le ruisseau circule sous les sédiments.

Au point bas du secteur, nous arrivons au carrefour terminal. Ce qui nous intéresse aujourd'hui, c'est une petite galerie qui s'échappe sur le côté, elle absorbe toute l'eau de la rivière. Cet endroit n'a jamais été forcé, il faut dire que les dimensions du conduit n'engagent pas vraiment à poursuivre. En effet, après 3 mètres un rétrécissement de 30 par 60 centimètres ne laisse que 5 centimètres d'air au plafond ! Après quelques hésitations, je m'élance dans l'étroit chenal...

Les pieds en avant, le visage collé sous la voûte, j'avance très lentement ; le courant crée passablement de remous, je ne veux pas encore en rajouter. Je tiens devant moi le casque que j'ai pris soin d'enlever, et j'éclaire contre moi afin de scruter les détails du plafond, car je n'ai pas envie de m'esquinter le visage sur cette râpe naturelle...
J'arrive au point critique où il ne subsiste que quelques centimètres pour respirer. Là, je me rends compte qu'au même endroit mon corps est également immobilisé dans un rétrécissement en largeur. Cela coince sérieusement, j'hésite à nouveau à poursuivre. En gesticulant, j'arrive à changer mon angle de vision, cette fois je distingue que le plafond se relève peu après. Je prends alors une bonne bouffée d'air, je me fais au plus mince, et m'aidant comme je peux aux parois je donne un coup de reins pour me laisser filer dans le courant.

Voilà c'est fait… je suis passé ! Je me retrouve dans un petit élargissement à peine plus grand qu'avant, mais au moins j'ai presque la moitié du corps hors de l'eau. Au-delà, la rivière dévale un petit conduit ovoïde de 50 x 40 centimètres. Il se poursuit à perte de lumière et conserve ses faibles dimensions. Ma curiosité est maintenant satisfaite, ce n'est pas encore aujourd'hui que je déambulerais dans de nouvelles et grandes galeries… Il faudra revenir dans de meilleures conditions, notamment à l'étiage.

Pour le retour, j'appréhende tout de même l'étranglement fatidique. Et c'est d'autant plus vrai, je me rends maintenant compte que les conditions ont changé, pour la simple et bonne raison que je vais évoluer à contre-courant ! C'est le genre de petit détail auquel on ne prend pas garde, mais qui ici apporte une nouvelle tournure à une situation déjà précaire... En effet, dans l'étroiture le corps fait barrage, et bien sûr au niveau du visage face au courant, l'espace déjà minimum s'est encore amoindri.
Alors que faire ? Je ne peux quand même pas passer dans la même position qu'à aller, c'est-à-dire à reculons sans savoir où je vais et comment mon visage va frôler la voûte ?!
Donc à défaut d'autre choix, je vais me lancer face au courant en adoptant la technique employée à l'aller, c'est-à-dire le petit " coup de forcing " pour m'extirper de l'étroiture.

Malheureusement, une fois en place dans le rétrécissement, le petit coup de reins n'a pas suffi à me débloquer et mon corps est toujours coincé. La tête sous l'eau, je reconnais que ce fut l'instant de panique… il est des moments où l'on a plus le temps de réfléchir.

D'un second coup de reins, ma tête est venue chercher l'air du plafond, et en m'agrippant de toutes mes forces j'ai brutalement réussi à m'extirper de ce satané goulet !
Le nez tout griffé, toussant comme un perdu après la bonne tasse que je venais d'ingurgiter… j'étais quitte pour une belle frayeur. Pour Florian à mes côtés, qui a assisté à mes déboires sans pouvoir m'aider, on peut s'imaginer qu'il a eu également sa part d'inquiétude…
Quelqu'un disait un jour que celui qui ne risque rien devient esclave, on peut bien sûr polémiquer longuement sur le sujet. Je pense finalement que tant que chacun a le libre choix d'entreprendre une action, personne ne peut porter un jugement du moment que le geste n'engage que la personne concernée. Nous avons tous des raisons qui nous poussent à entreprendre certaines choses, libre à chacun.


Actuellement, avec les problèmes d'eau il ne reste plus grand-chose à se mettre sous la dent... Nous décidons alors de nous déplacer du côté de la galerie Polaire. Là, nous modifions l'équipement du ressaut de 4 mètres, puis une fois en bas, l'exploration peut continuer. Malheureusement, à cet endroit nous avons déjà de l'eau jusqu'à la taille, ce qui n'est pas bon pour nous !.
Après une quinzaine de mètres la profondeur a encore augmenté, un rideau de stalactites nous arrête. A dix centimètres au-dessus du liquide, cette herse défend avec intérêt la suite de la grotte. Simple formalité pour les spéléologues que nous sommes, une brève immersion a vite raison de la barricade. Au-delà, pas vraiment de quoi pavoiser, à peine de la place pour garder la tête hors de l'eau. Encore quelques mètres et cette fois c'est la fin, l'obstacle glacial et imperturbable, hantise de tous les spéléos : le bien nommé siphon. Ici, nous devinons que la galerie se poursuit sous la nappe, c'est endroit est donc à revoir en période sèche.

Beaucoup de plaisir et d'émotion pendant ces 8 dernières heures, mais de maigres découvertes puisque seulement 19 mètres de topographie viennent s'ajouter au développement. Toutefois, cette sortie nous a permis de mieux comprendre l'hydrologie du réseau, et aussi de quoi occuper nos paléontologues avec les ossements que nous avons récupéré. Pour la suite des travaux, les objectifs deviennent assez maigres tant que la fonte des neiges ne sera pas terminée.

 


Samedi 17 avril 2004
Au vu de la faible participation, Dumeng et Pierre décident de tenter l'escalade artificielle de la grande cheminée de la galerie du Joker. Celle-ci avait été remontée en libre sur 4 à 5 mètres, mais au-delà elle se poursuivait majestueusement, avec des parois bien trop verticales pour continuer sans matériel spécifique. D'après les relevés topographiques, il semble que cette zone est très proche de la surface, il serait donc intéressant de trouver une communication, aussi infime soit-elle. De plus, un petit ruisselet presque permanent provient des hauteurs, ce qui apporte un intérêt supplémentaire.

A deux, nous sommes lourdement chargés. Hormis le matériel personnel pour évoluer sur les cordes, nous emportons également toute une quincaillerie propre au programme de la journée, à savoir cordes, sangles, amarrages, dégaines et mousquetons, ainsi qu'une perceuse à accus pour placer les diverses fixations dans la roche, qui vont nous permettre de nous élever petit à petit.
La remontée en elle-même s'effectue à l'aide d'une barre "Raumer". Cet outil, en vente dans les commerces spécialisés, a été conçu spécifiquement pour l'escalade souterraine. Il s'agit grossièrement d'une barre d'aluminium de 60 centimètres de longueur, avec de multiples trous de gros diamètre permettant d'y introduire des mousquetons. Après avoir placé un ancrage dans la roche, cette barre nous permet de nous décaler à la verticale de ce point d'appui, afin de placer une nouvelle fixation un peu plus haut. Cette méthode, aussi simple qu'efficace, assure la remontée de parois verticales voire déversantes, en mettant des amarrages tous les 80 centimètres. Toutefois, bien que simple d'utilisation, l'efficacité de la technique requiert une certaine maîtrise, notamment pour percer les trous à bouts de bras, afin de placer l'ancrage le plus haut possible. De l'aisance dans les manœuvres de cordes pour passer d'un amarrage à l'autre est également recommandée, surtout avec le vide à nos côtés, qui se fait toujours plus grandissant.

Connaissant bien ces techniques, qui m'ont déjà permis de vaincre d'autres cheminées, dont certaines de plus de cent mètres, je m'élance dans l'ascension. Dumeng, quant à lui, s'occupe de l'assurage. Ce travail, bien que fastidieux, est tout aussi important dans la réussite du projet. Il demande une attention quasi permanente ; d'une part pour être en mesure de laisser un minimum de mou sur la corde pour que le grimpeur puisse s'élever sans retenue, mais également afin de pouvoir réagir très rapidement en cas de chute. Plus le réflexe sera rapide et moins la chute sera grande, ce qui sous-entend quelques facteurs que l'on met du bon côté de la balance des risques, occasionnés par ce genre d'exercice...

Après une quinzaine de mètres, j'atteins un petit palier intermédiaire. Au-dessus, la section générale diminue légèrement, mais la cheminée continue toujours avec des parois lisses et verticales. Ce palier comporte également un regard sur un autre puits surmonté d'une cheminée, un peu plus étroite que celle que nous remontons, mais creusée au dépend de la même faille. Je m'empresse de descendre le puits qui se présente pour m'assurer qu'il n'y a pas d'autres possibilités, ce qui m'est confirmé quelques instants plus tard.
Nous décidons alors de poursuivre l'escalade de la cheminée principale. Notre corde d'assurance arrivant à ses limites de longueur, Dumeng me rejoint sur le palier pour m'assurer dans la suite de l'ascension. Le travail de haute voltige reprend, toujours plus haut, toujours plus beau...

Après 6 heures de progression artificielle, j'arrive à proximité du sommet de cette cheminée accusant une hauteur de 28 mètres. Là, un palier déversant et encombré de cailloux m'invite à redoubler de prudence. Le plafond se referme peu au-dessus, mais au même niveau sur le côté, un étroit méandre se détache. D'ici il m'est difficile de dire s'il est pénétrable, c'est pourquoi, toujours assuré depuis le palier intermédiaire, je décide de m'en approcher. Après un déplacement latéral sur un semblant de vire, je suis maintenant à l'aplomb du méandre, mais encore 2 mètres en dessous. La barre Raumer reprend alors du service, et rapidement j'arrive au départ de l'objet convoité.
Malheureusement, malgré le ruisselet qui en sort ainsi qu'un faible courant d'air, le méandre est absolument impénétrable. C'est dommage, nous ne devons pas être très loin de la surface, et un accès par ici aurait été bien agréable pour la suite des explorations.

Nous laissons une corde en place afin de revenir pour la topographie, et à peine moins chargés que le matin, nous ressortons après plus de 9 heures au pays des Fées.

 


Samedi 24 avril 2004
Aujourd'hui, Claudal et Pierre se dirigent du côté de la galerie des Fossiles afin de continuer l'exploration de ce secteur. Le choix est judicieux, en chemin le siphon temporaire proche du terminus de l'exploration, est parfaitement vide. Ce lieu porte désormais le nom de Siphon M16, en rapprochement d'un magnifique fossile en forme de boulon, ornant le plafond du passage.
Ici, pour commencer nous plaçons une corde dans le passage. Tout comme le point bas de la salle du Chaudron, nous savons que l'endroit siphonne, donc une corde pourrait nous être utile pour le cas d'une retraite forcée, sait-on jamais...
Après quoi, nous nous rendons au terminus, l'exploration peut maintenant commencer. Large de 2 à 3 mètres pour 2 mètres de haut, la galerie très sinueuse poursuit tranquillement son cours. Le sol comporte toujours des sédiments assez mobiles, un mélange de gravier, d'eau et d'argile. Le plafond et les parois n'ont également pas changé, toujours des petits dépôts argileux, indiquant que la zone se noie entièrement.
Après 61 mètres de progression en levant simultanément la topographie, nous arrivons dans un élargissement circulaire où siège un grand bassin. Malheureusement, celui-ci marque le départ d'un siphon. Toutefois, une petite lucane au-dessus de l'eau nous invite à poursuivre, mais le boyau retombe rapidement sur un plan d'eau, simple regard avancé sur le conduit inférieur noyé.
Il semble donc que c'est ici la fin de l'exploration des spéléologues, et peut-être le début de celle des futurs plongeurs. Mais pour être certain que ce n'est pas un nouveau siphon temporaire comme le précédent, le mieux est encore d'attendre la fin du printemps.

Pour l'heure, il nous reste passablement de temps devant nous, nous décidons alors de nous consacrer un peu plus sérieusement aux photos, tout en ressortant de la cavité.
Finalement, nous avons passé presque 10 heures sous terre, ce qui nous a permis d'améliorer quelque peu le développement des galeries, mais aussi de rapporter une centaine de photos de concrétions excentriques, fistuleuses et autres formations un peu particulières.

          

 


Samedi 15 mai 2004
Bernard, Franklin, Jacques et Pierre se rendent aujourd'hui dans la galerie des Fossiles, avec l'espoir de poursuivre quelques prolongements délaissés lors de l'exploration du cheminement principal. Il ne faut jamais sous-estimer un orifice latéral, aussi insignifiant soit-il, il s'avère parfois que c'est l'unique accès à de grandioses découvertes.
Nous portons d'abord notre intérêt sur un conduit remontant en rive droite, juste avant le siphon terminal. Peut-être un moyen de court-circuiter le verrou liquide, nous allons bientôt le savoir. Une remontée verticale de 2 mètres est rendue glissante par la présence d'argile, suivi d'une seconde de 3 mètres légèrement plus propre. Au sommet, une petite chambre hermétique ne laisse plus aucun doute sur nos chances de poursuivre par ici, et c'est bien dommage !

Nous nous rabattons alors un autre départ en rive gauche, qui se présente sous la forme d'un petit méandre d'où provient un ruisseau. Malheureusement, les dimensions se rétrécissent rapidement, et c'est même péniblement que les 3 derniers mètres seront parcourus. Le conduit se poursuit au-delà d'un petit coude, mais seul un homme "fil de fer" pourra un jour espérer poursuivre.

Revenus dans la galerie des Fossiles, nous tentons la remontée d'une dernière petite cheminée au centre de la galerie. Mais là encore, aucune perspective de découverte. Le résultat de la journée n'est pas vraiment glorifiant, mais nous ne pouvons pas être gagnants à tous les coups. Il faudra donc nous consoler des 43 mètres que nous ajoutons au développement du réseau, passant ainsi à 2484m.

 


Samedi 29 mai 2004
Une semaine auparavant, une sortie interclubs avec11 participants, dont quelques VIP... (Verry Important Président !), a permis de visiter nos dernières découvertes. Ce jour-là, en arrivant au terme de la galerie des Fossiles, quelle ne fut pas notre surprise de voir que le siphon était... désamorcé !
Sur le moment, une partie des participants désiraient promptement s'improviser en explorateur... mais grâce à notre pugnacité nous avons réussi à les en dissuader ! Les négociations n'ont certes pas été commodes... mais nous avons tenu bon !!! En effet, à défaut de matériel de topographie nous n'allions tout de même pas déroger à la devise des Fées : exploration = topographie !
Pour l'anecdote, nous avons toutefois toléré de nous octroyer un maximum de 10 pas en terrain vierge, que finalement, d'aucuns ne considéraient plus comme des pas de spéléologues... mais
des pas de géants ; il est vrai que cela n'avait pas été précisé...
Cette situation s'est bien évidemment déroulée dans la bonne humeur, l'équipe du GEF (Groupe d'Exploration aux Fées) était cependant qualifiée "d'extrémiste" ! Ce fut donc l'occasion de donner un nom au siphon temporaire que nous venions de franchir, qui dès lors est devenu le siphon des Extrémistes !

Aujourd'hui, nous allons enfin savoir ce qui se cache au-delà, nous disposons cette fois du matériel topo ! Franklin, Jacques, Michel et Pierre sont présents, nous sommes parés pour l'aventure ! Malheureusement, elle fut de courte durée puisque 25 mètres plus loin, et seulement 10 mètres après le point atteint lors de la dernière incartade... nous sommes arrêtés par un nouveau siphon ! Telle est la loi de l'exploration, où chaque détour de galerie peut être synonyme de fin. Ici, c'est en revanche moins dramatique, nous sommes peut-être en présence d'un énième siphon temporaire. Et même si ce n'est pas le cas, un plongeur aura de quoi trouver son bonheur. Laissons un peu de temps au temps, le réseau recèle encore de nombreux endroits qui ne demandent qu'à nous accueillir...
Avant de quitter les lieux, nous décidons de nommer le nouvel obstacle : siphon des Présidents. C'est bien sûr en l'honneur des précédents explorateurs qui ont dû s'arrêter involontairement... à même pas 10 mètres du siphon !

Au retour, nous nous arrêtons dans la galerie des Petits Lutins afin de topographier un petit diverticule sans intérêt de quelques dizaines de mètres. C'est typiquement le genre d'endroit où personne ne mettra plus les bottes avant bien longtemps ; la progression s'effectue principalement à plat ventre, et de surcroît, c'est argileux de part en part !
Avec 60 mètres de topographie pour cette petite journée, le développement du réseau passe à 2544 mètres.

 

 


Samedi 5 juin 2004
Franklin et Pierre se rendent au siphon des Présidents, pour voir si le passage est toujours amorcé. Peu avant, les choses se présentent assez mal puisque le siphon temporaire M16 est déjà plein ! Désirant voir ce qui se passe au-delà, nous le franchissons en apnée, ce qui ne pose aucune difficulté pour cette immersion de 3 à 4 mètres, où une corde fixe facilite le passage. Plus loin, c'est au tour du siphon des Extrémistes de nous arrêter. Il fallait bien entendu s'y attendre, cependant, nous sommes surpris de constater qu'une rivière de 2 litres/seconde s'en échappe, pour aller se perdre 35 mètres plus loin dans un coude de la galerie.
Les possibilités du secteur étant compromises, nous nous rabattons alors sur la grande cheminée de 25 mètres de la galerie du Joker, pour en lever la topographie. Nous en ferons de même pour le diverticule supérieur des 2 Mythos, situé à quelques enjambées de là.
Malgré un bilan zéro d'exploration... nous avons quand même effectué 93 mètres de topo, ce qui n'est pas négligeable. Petit à petit, le développement prend de l'ampleur, avec plus de 2,6 kilomètres. Bien sûr, nous ne sommes encore pas prêts de dépasser sa voisine la grotte de l'Orbe, qui avec ses 6 kilomètres, est la plus grande du canton de Vaud. Mais qui sait, si les Fées sont toujours disposées à nous livrer encore quelques petits secrets... peut-être qu'un jour nous y arriverons !

Par ailleurs, beaucoup de gens s'imaginent que les grottes de l'Orbe et les grottes aux Fées, pourtant distantes d'à peine 350 mètres, ont une relation interne. En fait, nous savons qu'elles sont totalement indépendantes au niveau de la reculée de la Dernier, leur point d'émergence en aval. En revanche, depuis la découverte des prolongements aux Fées, prouvant l'existence d'un écheveau de galeries, de nombreuses théories circulent au sujet de la direction que prendra la cavité. L'une d'elles, émise par notre ami Bertrand, suppose que si le réseau des Fées se dirige vers la Vallée de Joux ou le Risoux, rien n'empêche qu'il puisse exister une quelconque relation avec l'amont du réseau de l'Orbe. En effet, en sachant que seulement 1/3 de l'eau qui sort à la Source de l'Orbe provient des lacs de Joux, d'où provient le reste ? Probablement des flancs sud-est du Petit Risoux, donc à la portée de cet amont hypothétique des Fées !
Bien sûr tout cela n'est que supposition, et au stade actuel des découvertes il est difficile de se prononcer précisément. Il y a des chances que l'avenir nous révèle des surprises, et comme c'est souvent le cas, ce sera sûrement celles que l'on attendra le moins !

 


Samedi 19 juin 2004
Depuis une quinzaine de jours le temps s'est stabilisé sur le beau, ce qui nous incite à rejoindre le siphon des Présidents, dans l'espoir de le voir vidé, ou tout au moins amoindri. Sur place, nous pouvons que constater que la situation n'a guère évolué. A l'aide d'un masque de plongée, j'effectue une brève immersion. Le siphon est spacieux : 2 à 3 mètres de large pour une hauteur de moins d'un mètre. J'ai l'impression que la galerie vire sur la gauche après une dizaine de mètres, en revanche je ne vois aucune surface. Il s'avère donc plus étendu que ses voisins temporaires, peut-être même qu'il ne se désamorcera jamais, même avec un étiage prononcé.
Il semble qu'une rivière permanente doit circuler à la base de la galerie, actuellement encombrée d'un remplissage argilo-sablo-caillouteux, sur au moins un tiers de sa hauteur. Plus à l'aval, il doit également exister quelques pertes en rive gauche, qui correspondent probablement avec le premier affluent qui débouche au début de la galerie Amphibie. Avec une moyenne de 20 à 30 litres/minute, ce débit s'avère constant, ce qui confirmerait l'hypothèse que le siphon des Présidents ne pourra pas se désamorcer, ou alors en cas d'une sécheresse vraiment extrême.

L'objectif de la journée étant... tombé à l'eau (!), nous faisons le point sur les objectifs restants. Le débit très faible de la rivière Blizzard nous incite à revoir le terminus de cette zone, mais comme ce matin les prévisions météo annonçaient de gros risques d'orage dans l'après-midi, nous préférons renoncer. Nous décidons alors de revoir le terminus de la galerie Polaire, où 4 mois plus tôt un siphon arrêtait les explorateurs.

Peu avant destination, nous arrivons au Puits Canon, un obstacle vertical de 4 mètres. Le rétrécissement de départ pose quelques difficultés à Franklin. Pourtant, rien de particulier pour franchir ce passage, si ce n'est qu'il faut rester bien au plafond, le temps d'aller chercher les barreaux d'une échelle souple accrochée sur la paroi d'en face. Mon coéquipier n'est peut-être pas trop habitué à ce genre de configuration, il faut un début à tout. Au bas du puits, et contrairement à la dernière fois, il n'y a pas une brique d'eau ! C'est fort réjouissant, d'autant que le courant d'air est extrêmement fort. De quoi réveiller notre excitation, nous poursuivons sans perdre de temps.

L'eau fait bientôt son apparition, mais rien d'inquiétant. L'emplacement de l'ancien siphon qui terminait la zone est dépassé, nous poursuivons ; l'excitation atteint cette fois son paroxysme ! Rapidement nous n'avons plus notre fond, et nous avançons avec de l'eau jusqu'au cou, accrochés aux parois en plantant les coudes dans la glaise. Après une dizaine de mètres, le sol se relève et nous pouvons sortir de l'eau. Nous sommes au pied d'un ressaut de 2 mètres. Au-dessus, quelques stalactites nous invitent à poursuivre, la suite s'annonce même spacieuse, et de surcroît, le courant d'air est tout bonnement incroyable. Ce n'est en revanche pas très propre, je dirais même plus : C'EST FRANCHEMENT SALE !!! Mais en fait peu importe puisque nos combinaisons étanches nous protègent non seulement de l'eau, mais aussi de l'argile. La suite de notre aventure s'annonce donc sous meilleurs cieux, et pourtant, nous décidons de renoncer pour aujourd'hui...
En effet, ne disposant que d'un appareil électronique pour mesurer les distances, nous n'osons pas l'utiliser avec toute cette eau. Donc, sans lever la topographie ce ne serait pas correct de continuer. Par ailleurs, les risques d'orages qui planent dans nos esprits ne sont pas non plus pour aider, en conséquence, nous reviendrons avec de meilleures conditions et du matériel adéquat.

Au retour, Franklin bataillera à nouveau au sommet du puits Canon. Finalement, à l'aide d'un gros galet, il arrondira les angles récalcitrants ! Le passage est maintenant à sa convenance, plus de quoi chipoter...

Malgré seulement 20 mètres de première aujourd'hui, le bilan est très positif puisque nous disposons d'un nouveau secteur à explorer, un nouveau terrain de jeux ! Le courant d'air est vraiment surprenant, il est aussi fort que celui que nous suivons en direction du Puits de l'Ours. De quoi éveiller notre imagination en pensant à ce que les Fées nous réservent...

 

 

Samedi 3 juillet 2004
Les dernières découvertes dans la galerie Polaire nous incitent à poursuivre dans cette direction. Aujourd'hui, Franklin, Jacques, Marc et Pierre sont présents. Nous rejoignons sans encombre le précédent terminus. Dans les derniers mètres, le lac qui nous obligeait à progresser en s'agrippant aux parois n'existe plus ; il ne subsiste qu'une grande laisse avec de l'eau jusqu'aux genoux. C'est une bonne chose, cela veut dire que malgré la présence de toute cette glaise, l'eau du secteur arrive néanmoins à s'échapper.
L'escalade du ressaut de 2 mètres nous pose quelques difficultés, l'argile en grande quantité en est la raison. La manière employée se négocie en force, il s'agit de se bloquer tant bien que mal en s'élevant. Mais c'est surtout le problème de l'homme de tête, les suivants s'aidant à tour de rôle. Nous levons également la topographie, ce qui n'est pas ce que l'on peut rêver de mieux avec l'argile omniprésente, qui s'explique par le fait que la zone est noyée la plupart du temps.

Après l'escalade d'un monticule de calcite, nous arrivons dans un élargissement notoire où le plafond se dresse également. Cette petite salle est plaisante, de jolies stalactites et draperies rehaussent quelque peu l'intérêt, après l'épreuve argileuse...

A nos pieds, un revêtement de calcite déroule son noble tapis en direction d'un lac allongé, invitant à une baignade... forcée ! Au-delà, nous distinguons que les parois se referment gentiment. Un bruit sourd nous interpelle. Après réflexion, il doit s'agir du courant d'air qui s'engage dans l'espace restreint au-dessus de l'eau, dont la puissance est telle qu'il entraîne un clapotis à la surface de l'onde. C'est la première fois que je constate ce phénomène, impressionnant ! Ce qui l'est moins, c'est que cela ne laisser rien présager de bon pour la suite de l'exploration ! Sans perdre une seconde, je m'engage dans l'eau. Les parois se rapprochent et j'ai de l'eau jusqu'aux aisselles. Le passage est moins étroit qu'il n'y paraît, je poursuis la tête hors de l'eau entre des parois de calcite distantes de 50 centimètres. De nombreuses stalactites tombent du plafond, je remarque que certaines sont brisées, le courant d'une crue en est peut-être la raison. Bientôt, le plafond remonte, mais c'est au détriment des parois qui elles se referment pour ne laisser qu'une vingtaine de centimètres de largeur. Au niveau de l'eau cela ne passe plus, mais c'est un peu plus large au-dessus. Au-delà, je vois que c'est beaucoup plus vaste, il faut donc trouver un moyen de franchir ce pincement. La difficulté réside alors dans le fait de s'élever entre 2 parois lisses, car imbibé comme une éponge, ce n'est pas facile de se hisser. Heureusement, un moignon de stalagmite bien placé me sert de prise. Ce petit tour de force me fait passer au cran supérieur, où le corps passe aisément. Ce passage me fait immédiatement penser à une écluse, le nom de l'endroit est alors tout trouvé !
Derrière, je me retrouve dans une rue d'eau large de 1,5 mètre, dont le plafond repart dans les hauteurs. J'ai de l'eau jusqu'à la taille, mais aucun souci puisque le bassin se termine à quelques mètres de là, au pied d'un ressaut remontant d'environ 3 mètres.

Revenu à l'Ecluse, j'ai beau essayer de motiver les copains, rien à faire ! Seul Franklin effectuera quelques tentatives, mais en vain. Je franchis alors l'obstacle pour retrouver mes camarades dans la petite Salle appelée Débarcadère. N'arrivant toujours pas à les décider, je repars à l'assaut de l'Ecluse, cette fois en levant la topographie, avec l'aide de Franklin. Le temps de faire encore quelques photos, notamment une étonnante stalactite dont l'extrémité se termine en forme de pomme, me voilà revenu près de mes amis qui m'attendent bien sagement... Leurs dents jouent les castagnettes depuis un moment, ils sont complètement transits à force de patienter en plein courant d'air !

Avec 65 mètres de topographie, la galerie Polaire justifie toujours son nom puisqu'elle se dirige plein nord. Le profil général de la galerie, en forme de méandre, nous indique qu'elle s'est creusée au dépend d'une faille, la même d'ailleurs que l'on suit depuis un bon moment. Malgré la présence quasi constante de la boue, cette galerie intrigue de par son courant d'air, qui s'enfonce à travers la montagne sans vouloir s'apaiser. C'est bon signe, espérons seulement que nos chères Fées seront plus exigeantes avec la propreté de leur logis...

Par ailleurs, concernant les ossements que nous avons récupérés dernièrement, éparpillés à divers endroits du réseau, nous venons de recevoir la détermination du spécialiste. C'est sensationnel, il s'agit bel et bien de l'ours des cavernes (Ursus Spelaeus).
D'après Michel Blant, il s'agit de plusieurs individus, d'âge et de sexe différent. Certains os de grandes tailles sont attribuables à un mâle adulte, d'autres, plus petits, et notamment un tibia, à un ourson. Néanmoins, comme les pièces sont polies par l'eau, on ne peut être sans conteste dans la détermination. Une datation s'avérerait intéressante, mais l'opération est passablement onéreuse. Alors qui sait, peut-être qu'un jour nous trouverons les crédits nécessaires.

L'ours des cavernes est un ancêtre de l'ours brun, dont le poids était trois fois supérieur, entre 400 et 600 kilos. Cette espèce est appelée ainsi, car pratiquement tous les restes que l'on connaît ont été découverts dans les cavernes, où ils passaient une bonne partie de l'année à hiberner. Cependant, la découverte d'ossements d'oursons à côté d'ours adultes démontre que les cavernes étaient aussi un lieu de résidence.
Apparu en Europe et au Proche-Orient il y a environ 300'000 ans, il s'est éteint voici 15'000 ans. Pas très loin de chez nous et plus précisément dans la Balme à Colon, une cavité des Alpes françaises (Savoie), des spéléologues ont mis à jour un important gisement d'ossements d'ours des cavernes, avec plus de 1000 individus. Les spécialistes s'accordent à penser que ces animaux sont morts pendant leur hibernation ; végétariens, ils n'arrivaient pas chaque année à constituer des réserves suffisantes pour survivre tout au long d'hivers trop rigoureux. D'autres théories circulent également, la plus sympathique rejoint le principe des cimetières à éléphants, un endroit où, selon certaines croyances, les animaux s'y rendaient d'eux-mêmes pour mourir. Quoi qu'il en soit, il n'y a pas de précédent en terres vaudoises pour ce genre de découverte, c'est donc une grande première et nous en sommes fiers...

La présence de ces ossements confirme qu'à une certaine époque il devait exister une autre entrée par laquelle les ours pénétraient. Quand on sait que cet animal pouvait mesurer jusqu'à 3, 5 mètres le corps dressé, donc environ 1,5 mètre au garrot, l'ouverture de la grotte devait même être assez importante. Par la suite, cette entrée s'est peut-être bouchée ou effondrée, les faibles indices qui prouvaient son existence se sont effacés au fil du temps. Sous terre, étant donné que les os ont été déplacés par les crues, cela laisse supposer que le sanctuaire doit être proche du passage de l'eau. Si celui-ci existe encore, nous pouvons déjà imaginer de belles perspectives, notamment de poursuivre le chemin inverse que les ours empruntaient, pour découvrir par où ils sont entrés. Avec un soupçon d'imagination, nous pouvons même prédire que si le bouchon n'est pas trop important, il sera possible de rétablir une communication directe avec l'extérieur, avec à la clé un accès plus favorable pour la suite de l'exploration.

          

 


Samedi 10 juillet 2004
Les derniers participants n'étant guère intéressés à déguster l'argile de la galerie Polaire... j'ai réussi à recruter de nouveaux accompagnateurs, et notamment Etienne du groupe de Lausanne ainsi que Hervé et Raymond du groupe Rhodanien.
Malgré une semaine de pluie, les niveaux des lacs n'ont pas bougé d'un millimètre, ce qui est étonnant et surtout rassurant pour la suite de l'exploration.

Aujourd'hui, notre chargement n'est pas habituel, nous transportons 2 échelles métalliques ! La première est installée dans l'escalade glissante de 2 mètres avant la Salle du Débarcadère, tandis que la seconde est placée à l'Ecluse, afin de faciliter le changement de niveau. Ces aménagements sont profitables et permettront à un plus grand nombre de gens, de venir dans ce secteur d'exploration. Néanmoins, ce n'est pas encore au goût de chacun, car Raymond, aujourd'hui, ne dépassera pas l'Ecluse.
Tandis qu'il repart gentiment, nous continuons l'exploration à partir du ressaut Guillaume Tell, une remontée de 3 mètres ainsi baptisée à cause d'une concrétion inhabituelle ! C'est une stalactite d'une vingtaine de centimètres se terminant à la surface du lac, que le niveau variable a engendré une sorte de protubérance sphérique, un peu comme une pomme. Pour ce qui est de la fragilité, pas d'inquiétude quand celle-ci est hors de l'eau, en revanche si elle est en contact comme c'est le cas aujourd'hui, une vague provoquée par un passage énergique pourrait lui être fatal. Il faut donc être vigilant, le milieu souterrain est extrêmement fragile, nous ne le répéterons jamais assez !

La remontée du ressaut est glissante, la glaise a généreusement repris son aisance... Au sommet, afin d'accrocher une échelle souple, je pose un spit. Du nom de son fabricant, l'amarrage en question date des années 1960. Il s'agit d'une petite cheville métallique autoforeuse, qui va creuser son propre trou à l'aide de coups de marteau sur ce que l'on appelle un tamponnoir, servant de support. Dès que le trou est creusé, un petit cône placé au fond va écarter les mâchoires de la cheville, au moment où celle-ci est chassée dans le trou. A l'époque, c'était l'ancrage high-tech qui remplaça avantageusement le piton. Depuis quelques années, le spit s'est gentiment effacé au profit de goujons, tiges et autres broches, qui se mettent en place après avoir foré un trou à l'aide d'une perceuse. Mais le spit a encore de beaux jours devant lui, il est notamment utilisé dans les lieux éloignés où le poids de la perceuse est un handicap, ou alors comme pour nous aujourd'hui, dans une zone humide et boueuse à souhait, où l'utilisation d'appareil délicat n'est pas recommandée.

Au-delà du ressaut, le sol redescend et les parois se resserrent. Après une vingtaine de mètres, nous arrivons au bas d'une fissure que l'on voit se poursuivre, mais pour nous cela ne passe plus. Le courant d'air n'a pas l'air inquiété, il continue gentiment sa route dans le prolongement de la faille ! Nous sommes vraiment déçus, d'autant que si un jour nous désirons agrandir ce terminus, les conditions seront vraiment effroyables avec la présence de toute cette boue.

Mais pour l'heure tout n'est pas joué, peu avant nous remarquons une trouée au plafond, qui peut-être nous offrira une alternative à la fin brutale. Malgré une épaisse couche de glaise qui recouvre les parois, je réussis péniblement à m'élever de quelques mètres. Là, à ma grande joie, une petite galerie me redonne de nouveaux espoirs, renforcés par un courant d'air sensiblement présent. Pendant que je pose un nouveau spit, l'échelle que nous avons placée dans le ressaut précédent, est récupérée. Elle sera bien plus utile ici, dans cette remontée étroite appelée Spiderglaise ! Cet obstacle n'étant plus au goût d'Etienne, cette fois c'est lui qui n'ira pas plus loin. Nous ne sommes plus que deux, c'est donc avec Hervé que je poursuis, tout en levant la topographie.
Bientôt, la galerie remonte fortement pour se transformer en une fissure étroite. Les parois sont redevenues propres, il y a même quelques gours et concrétions. Le méandre se franchit de justesse, et derrière, nous arrivons à un carrefour avec de multiples départs de galeries. Bingo ! Nous venons de décrocher le gros lot, c'est d'ailleurs à cet effet que nous décidons de nommer cette petite galerie : Shunt Jackpot !
Où nous sommes, en dehors d'une petite salle supérieure, les nombreuses possibilités ne sont pas spécialement grandes, mais chaque spéléologue sait très bien qu'un départ de galerie, aussi infime soit-il, n'est jamais négligeable. Donc, en ce moment, nous sommes vraiment ravis, surtout quand l'on pense qu'il y a peu nous pensions être au terme des réjouissances...

Pour la suite des opérations, nous attaquons par un départ vertical qui démarre à nos pieds. La descente s'effectue en désescalade, et c'est franchement la limite de ce qu'il est possible de faire sans trop prendre de risque. Nous atteignons le fond 6 à 7 mètres plus bas. Là, nous prenons conscience que nous avons retrouvé la faille principale et sa comparse la boue... Ici, en direction de l'amont la faille ne va pas plus loin, il ne nous reste que la possibilité de la suivre en direction de la sortie. Comme nous le pressentions, nous arrivons bientôt de l'autre côté du passage trop étroit qui nous avait arrêtés précédemment, avant de franchir la remontée Spiderglaise. Seul un mètre est infranchissable, mais il semble possible de creuser le sol pour passer éventuellement par-dessous. Mais de toute manière cela n'en vaut pas la peine, le parcours par l'échelle est quand même plus simple pour la suite de l'exploration.

Recouverts de boue jusqu'aux oreilles, nous décidons d'arrêter. Nous avons exploré et topopraphié seulement 48 mètres de neuf, et il faut bien l'avouer que ce n'était pas spécialement grand, et de plus avec de l'argile presque partout. Toutefois, avec toutes les galeries démarrant au dernier carrefour, nous savons que nous avons encore de quoi nous occuper, et pour sûr, nous ne mettrons pas longtemps avant de revenir par ici...

          

 


Samedi 17 juillet 2004
Aujourd'hui, belle affluence au royaume des Fées, seuls Franklin et Pierre sont présents pour aller braver la boue de la galerie Polaire...
Arrivé à l'Ecluse, Franklin a quelques appréhensions ; il y a une quinzaine, il n'avait pas réussi à franchir ce passage. Cette fois l'échelle fixe facilite la manœuvre, néanmoins, ce n'est qu'après la troisième tentative qu'il crie victoire !
Nous posons une corde à nœuds dans le ressaut Guillaume Tel, l'échelle éphémère de ce passage ayant trouvé meilleure place dans la remontée Spiderglaise. Le franchissement de cette dernière ne posera aucun problème à Franklin, malgré les quelques doutes que j'avais pronostiqué à son égard en le voyant se dépêtrer dans ses exercices répétés de l'Ecluse...

Nous arrivons au fameux carrefour, avec les nombreuses galeries qui s'échappent de partout. La dernière fois, nous avions remarqué 4 départs en plus de celui par lequel nous sommes arrivés, Franklin m'en signale un cinquième qui était caché derrière notre dos ; et pas des moindres puisqu'il mesure 0,7 x 1,5 mètre ! Vu l'importance de cet endroit stratégique où convergent 6 conduits, nous décidons d'appeler ce lieu : l'Hexagal.

Pour commencer, nous décidons d'explorer le plus évident : une petite salle supérieure encombrée d'éboulis (salle Dubloc), suivie d'une galerie. Pendant que j'équipe l'accès à la salle, qui consiste à poser un spit pour fixer une échelle souple de 3 mètres, Franklin va jeter un coup œil au départ qu'il vient de découvrir. Après quelques mètres, il s'arrête devant une conduite forcée avec courant d'air...

Après la salle "Dubloc", nous suivons au nord une petite galerie sympathique de 1 mètre de large pour 2 de haut, pour arriver dans un élargissement notoire que nous nommons : salle Dupuits. Comme son nom l'indique, un orifice de 2,5 x 4 mètres occupe presque toute la largeur de la galerie, mais nous le laissons de côté pour l'instant,afin de nous concentrer sur la suite qui se poursuit en face. Rapidement, le conduit s'abaisse et nous oblige à franchir quelques blocs à quatre pattes, puis à plat ventre. Le courant d'air froid est toujours présent et ne donne pas envie de traînasser. Il est à relever que depuis l'Hexagal, c'est un réel plaisir de parcourir des lieux redevenus enfin propres... les "boues de l'enfer" ne sont dès lors qu'un mauvais souvenir !

Bientôt, nous débouchons dans une nouvelle chambre. Il y a de gros blocs instables et nous devons redoubler de prudence. Soudain, une grande trouée en main gauche laisse présager une belle découverte... Ne pouvant résister plus longtemps, nous abandonnons notre matériel topographique pour aller voir de plus près ce qu'il en ressort !
Incroyable... époustouflant... dingue... Les mots ne suffisent plus à décrire notre joie, que nous marquons par une grande poignée de mains chaleureuses. Nous sommes à la base d'une énorme cheminée d'environ 8 à 10 mètres de diamètre. Nos lampes éclairent à plus de 45 mètres, c'est incroyable. A 10 mètres du sol, nous apercevons un grand méandre de 1 à 2 mètres de large qui part à l'ouest. Nous sommes à l'extrême nord de la galerie Polaire et décidons de baptiser cet endroit "cheminée Peary", en l'honneur de Robert Peary, explorateur américain qui, en 1909, fut le premier à atteindre le Pôle Nord.

Le bas de la cheminée comporte de gros blocs où nous trouvons un passage conduisant sous la salle précédente. Hélas, cela devient rapidement impénétrable au pied d'un petit ressaut. Là, c'est en voulant atteindre le bas de l'obstacle que je l'ai rejoins plus rapidement que prévu... une prise de pied ayant lâché inopinément. Rien de grave au demeurant, juste un bon coup de sang pour me rappeler à l'ordre et ne pas oublier une des règles de base en exploration : se méfier de chaque rocher, aussi accueillant soit-il !
Revenus à nos instruments, nous faisons le tour de la petite salle, car précédemment, comme aimanté par le vide, c'est en coup de vent que nous avons passé. Là, nous découvrons un endroit magnifique, que nous baptisons immédiatement avec un nom évocateur : Salle Cristal. Sur 2 mètres carrés, le plafond comporte une multitude de fistuleuses translucides. Au premier coup d'oeil, on dirait de la glace, mais il n'en est rien. Par transparence nous voyons l'eau s'écouler à l'intérieur du tube, et sur certains nous remarquons même quelques bulles d'air. C'est vraiment peu ordinaire et sommes d'autant plus heureux après la trouvaille de la cheminée. Au nord de la salle un éboulement empêche de continuer, mais d'après Franklin, qui a eu le temps d'inspecter minutieusement l'endroit pendant que je procédais au dessin, il est possible, un jour ou l'autre, de tenter une désobstruction.

Un peu plus tard, revenus à la salle Dupuits, nous décidons d'explorer la suite en profondeur. Une désescalade de 4 mètres nous amène au bas d'un pan de rocher incliné, suivi d'un court tronçon horizontal à l'emplacement d'un ancien lac. Nous remontons ensuite dans une faille. Ici, nous arrêtons la topo sur une belle conduite forcée qui file à l'horizontale. Décidément, c'est la troisième du même genre que nous laissons de côté, de surcroît avec un courant d'air nous soufflant en pleine figure !
Ce qui est intéressant, c'est que ces galeries partent toutes vers l'est, nous pouvons supposer qu'elles viennent du même endroit... qui s'avère être peut-être le lieu mythique tant espéré... source de multiples théories... hantant les rêves de certains explorateurs... et que j'ai déjà nommé en prévision : la rivière enchantée... ou plus communément appelée : le collecteur des Gerlettes !!!...???...
Bon d'accord, j'extrapole quelque peu, mais c'est toujours plaisant de se laisser aller... mais surtout de rêver et imaginer ce que pourrait être une découverte de cette envergure.

Et pour ceux qui ne connaissent pas les Gerlettes, voici quelques précisions. Tout le monde connaît les sources de l'Orbe dans la reculée de la Dernier, à quelques pas du village de Vallorbe. Mais combien connaissent l'existence de sa voisine la source des Gerlettes ? La raison provient probablement que cette source ne possède pas qu'un seul exutoire, mais de multiples disséminés ça et là dans l'éboulis de la moraine. Le principal, qui porte le nom de "source de la Gerlette", n'est même plus visible depuis l'année 1929 ; l'eau ayant été captée pour alimenter une turbine "Francis" permettant de fournir de l'électricité (37KW/h), puis redistribuée pour alimenter le village en eau potable. Le débit moyen de cette résurgence est d'environ 700 litres/seconde, mais lors des crues il passe volontiers la barre des 5 m3/s. Si l'on ajoute à cela le débit conséquent de toutes ses voisines de palier... nous arrivons à un débit monstrueux, atteignant généralement son pic maximum en l'espace d'une journée, pour reprendre son débit normal après 2 à 3 jours seulement.
D'après le géologue J.Perrin (GSL), " de telles variations de débit et des réponses si rapides indiquent un réseau karstique bien développé, avec peu de stockage d'eaux souterraines, donc une quasi-absence d'effet tampon ". Le message est donc assez clair, nous pouvons supposer l'existence d'un gros collecteur.
En revanche, d'après les géologues qui ont étudié la région, la provenance de l'eau des Gerlettes est très floue. D'aucuns voient une alimentation depuis une nappe phréatique située loin en dessous, d'autres disent que l'eau provient du Mont d'Or, certains encore pensent qu'elle vient depuis la France en passant par le secteur de la Combe Dupuits.
Finalement, pour nous autres les spéléologues peu importe d'où l'eau arrive. Nous sommes assez persuadés de l'existence de ce collecteur, celui qui alimente nos fantasmes spéléologiques...
Et si nous le trouvons un jour ce serait la plus haute marche du podium, car en quelque sorte l'ultime consécration des explorations aux Fées.
Lors de cette journée, nous avons bien travaillé, et avec un peu plus de 10 heures passées sous terre (TPST), nous ajoutons 170 mètres au développement de la cavité, soit 2920 mètres.

          

 


Samedi 24 juillet 2004
Aujourd'hui, on reprend la même paire que la dernière fois à savoir Franklin et Pierre, et l'on recommence... C'est bien sûr du côté de la galerie Polaire que nous nous dirigeons, il y a encore bien de quoi assouvir nos pulsions exploratrices...
Malgré les pluies abondantes de ces derniers jours, les niveaux des lacs sont au plus bas, notamment le lac des Fruits défendus où il subsiste à peine 20 centimètres d'eau dans la première partie.
Depuis l'Hexagal, hormis un petit méandre propre de 0,4 x 1 mètre qui redonne au fond de la faille principale, il reste encore 2 conduites forcées à explorer. Le courant d'air est aussi présent, tout s'annonce pour le mieux ! Rapidement, nos 2 galeries se rejoignent pour parvenir dans un labyrinthe de petits conduits argileux, dont la section moyenne est de 1,5 x 0,8 mètre. La progression à quatre pattes est donc de rigueur, nous décidons d'appeler cet endroit : le labyrinthe des Gnomes. Avec une quinzaine de carrefours et près de 200 mètres de développement, il va sans dire qu'il faut bien repérer son chemin ! La topographie de cet endroit ne fut d'ailleurs pas un cadeau, c'est même ce que l'on peut attendre de pire dans ce genre d'activité ! Cela permet en revanche d'avoir une bonne vue d'ensemble de cet enchevêtrement pour emprunter le chemin le plus court, mais il faut reconnaître que c'est une bien maigre consolation...

De cette zone compliquée, 2 galeries opposées s'en échappent, baptisées Clé Nord et Clé Sud. Dans les 2 cas, le courant d'air nous sert de guide ; le parcours étant assez tortueux. Du côté méridional, Franklin s'arrête au passage d'une lame qui coupe le chemin. Il est vrai que ne c'est pas bien grand, mais le courant d'air nous incite fortement à persévérer. Tout comme le passage de l'Ecluse, je commence à croire que mon coéquipier n'est pas un grand fan des passages exigus ! C'est peut-être une affaire d'habitude, quoi qu'il en soit je poursuis mon chemin. Je n'irai pas bien loin, à peine une dizaine de mètres. Là, j'ai la grande surprise, la joie et l'appréhension de déboucher dans quelque chose d'inhabituel...
Je viens brusquement d'entrer au coeur d'un éboulement dont les proportions me sont étrangères, certains blocs sont gros comme des maisons !!!
Je suis arrivé en lucarne au milieu d'une paroi, et je ne vois pas bien loin ! Mais quelque chose me dit que c'est particulièrement grand, même très grand. Entre les rochers, dessus et dessous, je distingue du vide. Cela me donne l'impression d'avoir pris pied sur une plateforme suspendue au milieu d'un éboulement monstrueux. Seul et ne connaissant pas la stabilité de l'édifice, je préfère m'abstenir pour aujourd'hui.

Je m'empresse de revenir vers Franklin pour lui donner tous les détails de ma découverte, mais cela ne suffit pas à le décider à forcer l'étroiture. Nous nous rabattons alors sur la Clé Nord, où après un parcours en dents de scie nous débouchons à nouveau dans ce qui me semble être une copie de ce que j'ai découvert il y a peu : un gros effondrement. C'est toutefois plus petit que précédemment, et a priori cela n'a pas l'air de continuer. Mais tout cela est bien relatif, car dans un cas comme dans l'autre personne n'a été se frotter de plus près à ces blocs !

De retour à l'Hexagal, nous effectuons encore un petit saut de puce à la cheminée Peary, afin de mesurer précisément la hauteur puisque nous disposons d'un lasermètre. L'appareil indique 43,5 mètres, ce qui est tout à fait honorable pour une cheminée au diamètre si imposant.

Avec un TPST record de 12 heures, nous avons effectué 265 mètres de topo, ce qui fait que le réseau dépasse maintenant la barre des 3 kilomètres, exactement 3185 mètres. C'est fort réjouissant, espérons que cela ne va pas s'arrêter en si bon chemin !

          

 


Samedi 31 juillet 2004
A défaut de Franklin, un petit air de famille m'accompagne tout de même puisque c'est son frère Bernard qui le remplace aujourd'hui. Nos récentes découvertes n'ont pas l'air de motiver d'autres personnes à rejoindre l'équipe d'exploration, il semble que certains passages étroits ainsi que la boue ont eu raison de leur motivation ! C'est dommage, car quand bien même si ce n'est pas spécialement grand et propre, de nouvelles surprises viennent outrepasser chaque fois les quelques aspects négatifs.

Aujourd'hui, nous allons poursuivre la conduite forcée qui démarre sur le chemin de la cheminée Peary, peu après la salle Dupuits. Avec le courant d'air et le fait qu'elle se dirige au nord-est, c'est doublement intéressant, car la direction est la même que celle qui nous a permis de déboucher par deux fois dans un grand éboulement. Cette fois, c'est peut-être un accès facile à notre hypothétique rivière Enchantée... en tout cas, c'est sur elle que nous portons toutes nos espérances d'éternels rêveurs... C'est d'ailleurs pour cette raison que la galerie que nous allons parcourir porte déjà un nom approprié, il s'agit bien sûr de la galerie Espoir.

Les premiers mètres s'effectuent à quatre pattes dans une petite galerie appelée ordinairement "conduite forcée". A une époque très ancienne, les quantités d'eau étaient telles que les galeries étaient entièrement noyées, donc c'est le courant chargé de particules de roche qui érodait progressivement les parois. C'est donc mécaniquement par frottement que l'eau arrachait le calcaire qui le compose. Le résultat de ce travail est visible sur les parois, avec la présence généralisée de cupules de quelques centimètres de diamètre. Celles-ci étant asymétriques, la cursivité la moins prononcée va même nous indiquer le sens dans lequel l'eau se dirigeait. Dans certaines grottes que j'ai eu l'occasion de visiter, et notamment la grotte St.-Marcel en Ardèche, le même principe de creusement est visible dans des galeries de plusieurs dizaines de mètres de diamètre. A la différence que les cupules font plusieurs mètres carrés, ce qui donne une vague idée de la quantité d'eau qui devait circuler en ces lieux... totalement ahurissant !

Le sol devient temporairement argileux, et nous pouvons nous relever dans une petite salle où la suite repart vers le haut. Quelques concrétions marquent la remontée, notamment une belle paire de stalagmites faisant penser à un buste féminin, qui d'ailleurs donnera le nom argotique de l'endroit : salle des Miches ! Au passage d'une grande coulée répandant généreusement sa calcite depuis le plafond, la galerie se met à redescendre gentiment. Ce n'est pas spécialement grand, pas assez pour se tenir debout. Néanmoins, c'est assez plaisant, les parois lisses de certains passages nous laissent découvrir de magnifiques profils.

Brusquement, le sol est troué par une fissure verticale coupant perpendiculaire notre chemin. Passage obligé puisque la galerie se terminant juste devant, nous n'avons pas d'autre choix que de nous enfiler dans la lézarde, où une descente de 3 mètres nous attend. La roche propre ainsi que quelques prises facilitent la désescalade. Au bas, nous poursuivons par un conduit assez large mais bas, et bientôt nous arrivons à un carrefour au dépend d'une faille coupant perpendiculairement notre route. A gauche, du côté nord, un court méandre étroit nous amène au-dessus d'un puits étroit. Evalué à 5 à 6 mètres, ce serait imprudent de descendre sans matériel ; pas au niveau de la descente puisqu'il suffirait de se laisser glisser, mais bien sûr pour remonter en raison des parois relativement lisses. Un courant d'air est perceptible, donc il faudra revenir une fois ou l'autre avec un bout d'échelle.

Au sud, la faille se laisse suivre agréablement, le courant d'air nous tenant toujours compagnie. Les choses iraient pour le mieux dans le meilleur des mondes, pourtant, après une vingtaine de mètres nous déchantons petit à petit... En effet, les dimensions se réduisent et nous constatons que de partout le rocher est cisaillé, comme broyé. Bientôt, il faut même déplacer quelques blocs pour avancer. Par endroits, quelques petites fenêtres latérales laissent deviner un éventuel prolongement, mais la présence de blocs effondrés empêche de s'y engager. L'endroit est tellement haché que nous avons l'impression que le conduit a été serré dans un étau ! Après le franchissement d'une étroiture au-dessous de blocs plus ou moins stables, notre moral est bien bas... Encore quelques mètres, un nouveau bouchon m'arrête. Je devine que cela continue au-delà, mais cette fois s'en est trop, j'en ai soupé de cet environnement qui me pèse sur le coeur ! Bernard n'apprécie pas plus que moi, nous terminons alors la topographie de cette zone, avant de la quitter sans aucun regret. ! Nous sommes déçus, les espoirs de poursuivre dans ce secteur ont du plomb dans l'aile ! Malgré cela, avec 155 mètres de conduits explorés et topographiés, le réseau a quand même livré quelques secrets supplémentaires. Il en reste encore de nombreux à découvrir, nous savons que les Fées aiment nous les livrer avec parcimonie...

          

 


Samedi 2 octobre 2004
Les pluies persistantes du mois d'août ont amorcé le siphon de la galerie Polaire, il faudra encore attendre tout le mois de septembre afin que le niveau baisse lentement. Pendant ces 2 mois, avec Franklin nous nous sommes déplacés à 3 reprises pour constater chaque fois que cela ne passait pas. Ce secteur étant actuellement la zone principale d'exploration, c'est assez frustrant de devoir ressortir sans ne rien pouvoir faire, car en tenant compte du temps pour se rendre sur place, on peut considérer que la journée est pour ainsi dire gâchée. Pour éviter ce genre de désagrément, nous prévoyons de mettre en place un système qui va nous permettra de vérifier à distance si le siphon est amorcé.

Aujourd'hui, Bernard, Franklin et Pierre se décident une nouvelle fois de tenter le coup du siphon ! Arrivé dans la salle des Intestins, Bernard ne se sent pas très bien et préfère ressortir. On dit souvent qu'un malheur ne vient jamais seul, nous nous attendons donc à trouver l'habituel siphon au début de la galerie Polaire. Eh bien tout faux... cette fois le passage est libre.

Dans le Labyrinthe des Gnomes, nous terminons quelques boucles de topo manquantes, pour finalement emprunter la Clé Sud. Arrivés à l'étroiture que Franklin n'avait pas franchie, quelques coups de marteau ont suffi pour rectifier les angles rebelles ! Nous débouchons ensuite dans le gros éboulement où je m'étais arrêté la dernière fois, baptisé le Cataclysme.
Là, il a fallu un certain temps pour nous décider à poursuivre à travers ce dédale de blocs effondrés. Finalement, la tentation étant trop grande... c'est Franklin qui lance l'assaut ! Je sais qu'il n'est pas autrement à l'aise dans les passages étroits, et de mon côté, à la suite de quelques mauvaises expériences c'est plutôt les trémies. Enfin, chacun son truc... mais pour l'un comme pour l'autre l'endroit est malsain.
A première vue, nous sommes dans la partie inférieure d'une salle, le long d'une paroi où la roche est parfaitement saine. Il y a des énormes blocs un peu partout, nous nous sommes d'ailleurs amusés à mesurer l'un d'eux. Il fait 7 x 5 x 3 mètres, soit un poids approximatif de 280 tonnes ! C'est assez inquiétant, d'autant que toutes ces masses ne possèdent aucun dépôt de quelque nature que ce soit, donnant ainsi l'impression qu'elles sont fraîchement tombées...
Vers le nord, nous avons suivi la paroi sur une trentaine de mètres, où par endroits il faut se faufiler entre les blocs. Là, nous voyons nettement qu'un prolongement généreux se profile vers le haut, mais pour l'atteindre il faudrait grimper sur certains blocs qui a priori ont l'air de tenir par habitude...

Au sud, nous nous sommes déplacés d'une dizaine de mètres toujours en suivant la même paroi, mais ici c'était plus compliqué. En effet, en cherchant un peu, nous avons trouvé un chemin partant pourtant dans la direction opposée, avant de revenir par un niveau inférieur. Bref ce n'était pas évident, et dans un cas comme dans l'autre, toujours cette même impression qui pèse en permanence et qui se résume clairement à : peur que tout nous tombe dessus !...
En plus du stress inhérent au secteur, il fallait également faire attention à ne pas perdre son chemin. En effet, dans ce chaos il est difficile de prendre des repères visuels ; un peu tous les blocs se ressemblent...

Nous reviendrons un jour ou l'autre traîner nos bottes par ici, afin de pousser les recherches plus en détail. Car avec un courant d'air aussi puissant, il est évident que de grandes découvertes nous attendent. Mais ce jour-là, à l'instant où notre hardiesse aura porté ses fruits, cela voudra également dire que nous avons vaincu un obstacle de taille face aux rochers provocateurs : nos craintes intérieures.

Avec un TPST de 11 heures, nous avons rajouté 86 mètres au développement, il passe maintenant à 3426 m.

          

 


Samedi 23 octobre 2004
Aujourd'hui, Patrick, Pierre et Serge retrouvent les Fées. Pas d'exploration au programme de cette journée, mais une tâche non moins utile pour la suite des travaux : la mise en place d'une ligne électrique, à l'instar de celle utilisée par l'armée pour les téléphones de campagne. Le câblage va démarrer au niveau de la porte et se terminera au siphon de la galerie Polaire. Avec nos allées et venues de la fin de l'été pour constater maintes fois que le passage était inondé, nous avons trouvé une solution afin de vérifier à distance si le siphon est désamorcé. Pour ce faire, nous allons placer dans l'eau un genre de flotteur prévu initialement pour les pompes automatiques de refoulement. Il s'agit en fait d'un contacteur étanche qui va créer un pont électrique si le flotteur est en haut, ou alors se couper s'il est en bas. Ainsi, depuis la porte il suffira de brancher un ohmmètre, appareil qui va envoyer un peu de tension pour indiquer si la boucle électrique est activée ou pas.
La mise en place des 600 mètres de ligne n'est pas chose facile, il faut placer le fil en dehors du chemin habituel que nous empruntons. Ce n'est pas toujours évident, notamment dans les passages étroits où les possibilités sont restreintes. En revanche aucun souci dans les grands volumes, le fil est simplement placé le plus haut possible.

Au siphon, la mise en place du flotteur nous posera encore quelques difficultés, simplement par le fait qu'il est encore amorcé. Il faut préciser qu'avec 4 degrés, la température de l'eau ne permet pas vraiment de se réchauffer...

Notre système est opérationnel, nous sommes parés pour affronter les caprices de la météo et ne plus perdre notre temps dans des déplacements inutiles. Car le secteur de la galerie Polaire n'a sûrement pas livré tous ces secrets, je pense notamment à la galerie supérieure dans la cheminée Peary, le puits terminal de la galerie Espoir ainsi que l'ensemble du Cataclysme.

 

 


Samedi 30 octobre 2004
Une fois de plus, c'est Franklin qui va m'accompagner au royaume des Fées. Il est devenu un habitué de la cavité, on peut même avancer que depuis quelques mois il n'a jamais autant pratiqué de spéléologie ! Cette soudaine motivation laisse à penser que c'est l'attrait de la découverte, telle une drogue qui devient difficile de s'en passer, mais la réalité diffère quelque peu. En effet, victime d'une thrombose en début d'année, c'est une maladie qui touche le réseau veineux des membres inférieurs. Il était donc hors service pour de longs mois, et notamment pour des efforts importants tels que s'entraîner et courir les marathons, sa passion favorite qu'il pratique depuis longtemps. La spéléo en revanche étant une activité plus calme... euh quoique !
C'est alors que les découvertes aux Fées arrivèrent à point nommé.

Aujourd'hui, pour changer un peu de la boue de la galerie Polaire, nous avons décidé d'aller faire un peu de minage du côté de la salle du Chirocoptère. Là, lors d'une sortie de visite en compagnie de Gérald Favre, hydrogéologue et cinéaste bien connu, ce dernier avait relevé que le drain principal semi-fossile disparaît brusquement au niveau de la salle en question. D'après lui, une suite doit exister derrière un important éboulis en direction du sud. Les énormes blocs entassés à la verticale semblent provenir d'un vide supérieur (salle ou faille ?) qui pourrait également être l'endroit recherché. Il y avait suffisamment de quoi éveiller notre intérêt, et puisque l'éboulis au sud est infranchissable, l'idée est d'attaquer les blocs du plafond.

Une fois sous terre, en parcourant la galerie des Princes Charmés, quelle ne fut pas notre surprise de découvrir qu'une rivière avait passé fraîchement par là, peut-être un voire deux jours plus tôt... En effet, par deux fois nos rubans de rubalise ont été déchirés et emportés. Nous les avions placés aux endroits délicats afin de détourner le chemin des visiteurs.

Ce qui nous étonne, c'est que la grande faille verticale vers la salle du Boulet, celle qui correspond en théorie avec la faille des Genevois dans la Petite grotte aux Fées, n'a pas réussi à absorber la totalité de l'eau ; celle-ci a poursuivi son chemin par la galerie des Princes Charmés.
Et ce n'est pas tout ! A l'endroit appelé "shunt à Pierre", c'est-à-dire lorsque la galerie des Princes Charmés commence à descendre, nous avons remarqué de la mousse de crue à 2 mètres du sol. Cela confirme que l'eau est montée très haut, créant un siphon jusqu'à la sortie de la trémie de l'Au-delà. Ce niveau d'ennoiement indique également que dans le secteur, seul le haut des salles du Boulet, des Moines et du Topo-Râleur était hors de l'eau.

Une fois arrivé à la trémie de l'Au-delà, une autre surprise nous attend : un gros bloc venu d'on ne sait où s'est mis en travers du passage, empêchant de sortir de l'éboulement. Avec le poids important de cette masse rocheuse, une première tentative s'est révélée infructueuse, tandis que la seconde, à la limite de nos forces, nous a finalement donné raison. Cependant, les dangers n'étaient pas pour autant écartés. En effet, en enlevant ce bloc ainsi que d'autres qui menaçaient de choir, nous avons déstabilisé toute la partie supérieure de la trémie. Celle-ci nous inquiète maintenant au plus haut point, elle ne supportera pas de nombreux passages, et encore moins une nouvelle crue. L'affaire est donc urgente, il faudra trouver une solution rapide à notre problème.

Nous poursuivons notre chemin. Rien de particulier à relever en parcourant la galerie du cadeau d'Anniversaire, mais en arrivant dans la salle des Intestins nous sommes à nouveau consternés...
L'eau est montée 3 mètres plus haut que le replat qui nous sert de vestiaire ! Nous avons pour preuve une bouteille de thé froid que nous avons retrouvé après le petit col formant une étroiture dans les concrétions, en direction de la sortie. Donc il est bien clair que si cette bouteille a franchi le col, c'est qu'elle flottait !
Au lac des Fruits Défendus, plus moyen de trouver nos 2 brosses accrochées 3 mètres au-dessus de l'eau, servant à nettoyer nos combinaisons au retour des galeries boueuses de la Polaire ! A noter que cette dernière siphonne déjà à une trentaine de mètres du départ.

Ces nouvelles ne sont guère réjouissantes, elles laissent supposer qu'à l'amont de la salle des Intestins, tout ce qui se développe au-dessous de ce niveau est entièrement noyé. D'après les altitudes, il semble que seuls le plafond de la salle du Chaudron, la salle du Chirocoptère et la cheminée dans la galerie du Joker soient hors de l'eau. La galerie Polaire est également noyée sur les 2/3 du parcours. Ces hypothèses sont confirmées par le fait que l'on trouve de la boue dans toutes les galeries annexes (Polaire, Douze pattes, Serpentine, etc.) qui ne sont pas sur le cours principal emprunté par les crues.

Ecoeurés, nous n'avons pas voulu pousser plus avant nos investigations. Il y a de fortes chances que le point bas de la salle du Chaudron siphonne, alors autant en rester là pour aujourd'hui !

Une fois hors de la grotte, nous sommes allés voir l'entrée de la Petite grotte aux Fées. A la sortie, à en juger la quantité de feuilles mortes encore présentes en bordure du parcours de l'eau, nous avons la confirmation qu'elle a effectivement coulé, mais en revanche il devait s'agir d'une petite crue ! C'est vraiment bizarre, avec ce que nous avons constaté dans le réseau cela n'a pas l'air d'avoir été le cas. Nous pouvons alors avancer que l'eau qui parcourt le réseau ne ressort pas entièrement par la Petite grotte, il doit exister quelque part un endroit absorbant une partie de l'eau, rejoignant directement la résurgence du Gaucher ou alors les sources des Gerlettes.

Cette journée nous a permis de prendre un peu plus conscience que cette cavité, au demeurant facile avec son parcours horizontal, peut se révéler meurtrière si un jour quelqu'un se trouvait au mauvais moment... au mauvais endroit...

 

 


Samedi 6 novembre 2004
Depuis une semaine, nous avons pris la décision de consolider la trémie de l'Au-delà. Ce passage consiste à franchir verticalement un éboulement, que la dernière crue a durement déstabilisé. Il en va de notre sécurité, mieux vaut perdre un peu de temps de notre vivant, plutôt que de risquer de le perdre à jamais...

Pour cette première journée, je peux compter sur la présence de Bernard et Franklin, ainsi B.Joss. Lourdement chargés, nous emportons une belle quantité de matériaux, à savoir ciment, treillis, fers à béton, tamis, seau, bidon, ainsi que quelques outils. Le déplacement est harassant, heureusement nous n'allons pas très loin.
Ce qui est sympathique, c'est qu'excepté le ciment, la matière première est pour ainsi dire sur place ! En effet, le sable et l'eau se trouvent en quantité suffisante, cela va nous permettre de préparer le mortier, indispensable pour un travail durable et de qualité. D'ailleurs, on pourrait presque à proprement parler de construction écologique puisque tous les composants sont naturels...

Le travail est très éprouvant, c'est notamment le fait que nous oeuvrons dans un environnement relativement étroit, où les déplacements avec les charges sont rendus d'autant plus difficiles. Il n'y a pas non plus de machines pour nous faciliter la tâche, c'est la bonne vieille méthode : " MADE TOUT A LA MAIN " !

Après 8 heures de maçonnerie, nous sommes épuisés. Cependant, nous ne sommes pas encore au bout de nos peines, car pour Franklin et votre serviteur, il faudra encore deux autres journées pour venir à bout de ce bétonnage. Il faut dire que nous avons fait les choses dans les règles de l'art, le béton est armé sur une épaisseur d'au moins 10 centimètres, plus rien ne bouge !

 

Epilogue de l'année 2004
Avec 2,8 kilomètres de découvertes, le bilan annuel est vraiment exceptionnel. Pour s'en convaincre, il suffit de voir le nombre de sorties effectuées pendant ces 11 derniers mois, dont certains totalisent à eux seuls jusqu'à 40 journées de présence…
Nous sommes tous incroyablement perturbés, personne ne s'attendait à découvrir quelque chose de si important, que cela soit en intérêt spéléologique ou scientifique.
Il existe encore de nombreuses possibilités d'exploration, la géologie régionale s'y prête avantageusement. Reste à savoir si la réalité sera à la hauteur de nos espérances, une question que seul l'avenir pourra nous rendre une réponse.

 

 





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