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Samedi
17 janvier 2004
Cette journée est vraiment particulière,
certains l'attendent avec impatience depuis très
très
longtemps.
En effet, nous allons pouvoir reprendre la désobstruction à
l'endroit où nous l'avons stoppée 3 ans plus tôt,
c'est-à-dire à la base d'un petit puits vertical entièrement
bouché par des blocs de toutes grandeurs. A l'époque,
un sérieux problème nous empêchait de poursuivre,
il n'y avait plus de place pour entreposer la roche que l'on devait
extraire.
Grâce aux aménagements et efforts consentis au cours de
l'année 2003, les cailloux peuvent désormais être
acheminés sans peine sur une distance de 40 mètres, en
passant par 2 rails et 3 tyroliennes. Par ailleurs, le système
actuel comporte un élément déterminant qui est
la clé de tous nos travaux d'aménagement, celui de nécessiter
seulement 6 personnes pour son fonctionnement.
Pourtant, aujourd'hui ce n'est pas la main d'uvre qui nous manque
puisque nous pouvons compter sur Dumeng, Claudal, Jacques, Marc, Michel
et Pierre du groupe de Lausanne, ainsi que Bernard, Franklin et Williams
du club de Cheseaux. Neuf personnes, c'est bien plus que ce nous sommes
habitués ! Serait-ce l'attrait d'une possible découverte
ou alors la météo qui est absolument exécrable
depuis quelques jours ? Il est vrai qu'à tout moment nous pouvons
ouvrir un passage vers l'inconnu, ce qui n'était bien sûr
pas le cas au cours des 15 dernières journées de préparation.
Quoi qu'il en soit, même si le chantier peut fonctionner avec
un effectif réduit, c'est d'autant agréable d'être
plus nombreux.
Depuis plusieurs jours, le réchauffement des températures
a activé la fonte des neiges, et qui plus est, de grosses averses
se sont abattues sur la région. Ces 2 facteurs ont provoqué
une montée très importante des eaux, dont le point culminant
datait seulement de 3 jours. La rivière de l'Orbe affichait un
débit de 129 m3 à la seconde, tandis que la grotte touristique
de l'Orbe était en état d'alerte. Dans cette dernière,
au lieu dénommé la Salle Noire, l'eau arrivait au niveau
de la grande passerelle, il manquait très peu avant que l'eau
ne s'engouffre dans le tunnel des touristes. Avec les dégâts
provoqués en 1990, la société des grottes pouvait
s'attendre au pire. Aux Fées la réaction ne s'est pas
fait attendre, la Petite grotte coulait à gros débit.
Donc aujourd'hui les conditions de travail ne sont donc pas des meilleures,
de nombreux ruissellements suintent sur les parois de la faille des
Lausannois. Pour éviter la douche perpétuelle dans le
puits terminal, nous avons même dû installer une sorte de
gouttière au plafond, confectionné à l'aide d'une
tôle pliée en V.
Malgré ces déconvenues, le travail d'équipe crée
une ambiance du tonnerre, ce qui nous permet de déplacer nos
seaux tambour battant. Chacun se rend également compte de l'efficacité
de toute notre infrastructure matérielle. Les récipients
remplis de pierres passent sans trop d'effort d'une installation à
l'autre et sont rapidement déversés dans les grandes salles.
Sur le front de désobstruction, la sueur coule à souhait
et ne fait que renforcer le brouillard de vapeur qui règne dans
le secteur. Régulièrement, de gros blocs nous obligent
à sortir le matériel de minage afin de les réduire
à une taille transportable. Avec cette saturation d'humidité,
l'usage de la perforatrice électrique n'est pas vraiment recommandé,
mais heureusement nous disposons d'un système de protection coupant
immédiatement le courant en cas de court-circuit.
Au milieu de l'après-midi, Michel et Dumeng nous quittent, mais
notre ardeur ne faiblit pas pour autant. Il faut dire que cela fait
une année nous nous acharnons à préparer le terrain,
il est bien clair que maintenant nous sommes motivés à
fond, nous grignotons la distance qui nous sépare d'une possible
découverte
Depuis un bon moment, je suis agenouillé au bas du puits, occupé
à remplir les seaux. Avec l'eau ruisselant de partout et malgré
nos combinaisons PVC, il est difficile de conserver un coin de sec.
C'est pareil pour le contenu de nos récipients, qui tient plus
de la boue liquide que de la roche. Ces mauvaises conditions font partie
du jeu de la désobstruction, même si la plupart des gens
qui nous verraient uvrer de la sorte, et de surcroît pour
notre plus grand plaisir, nous traiteraient de fous furieux !...
Avec le râteau, je gratte le sol en suivant la paroi. Une petite
ouverture se présente soudain, me laissant entrevoir une sorte
de petite niche latérale. Ce genre de situation arrive fréquemment,
mais comme chaque fois il s'agit d'un simple creux sans intérêt.
C'est donc sans me tourmenter que je poursuis ma besogne. Toutefois,
à mesure que j'agrandis ce trou de souris je distingue de mieux
en mieux comme une sorte de vide qui se profile en dessous. L'excitation
semble me gagner, mais depuis le temps, à force d'essuyer des
désillusions je n'ose pas vraiment y croire. C'est pour cette
raison que je m'abstiens d'en parler aux copains qui s'activent au-dessus
de moi, je ne voudrais pas provoquer une fausse joie. Cette joie, qui
remplit le cur d'un bonheur si exaltant au moment où l'on
croit être à la porte de la découverte, c'est aussi
elle qui est la source d'une intense déception quand cette même
porte se referme brusquement, gâchant ainsi le maigre espoir patiemment
accumulé.
Un quart d'heure plus tard, je peux enfin basculer mon corps pour introduire
la tête dans ce qui représente maintenant un trou de renard
; je vais enfin savoir ce qui se cache là-dessous.
Un frisson m'envahit
mon cur se met à palpiter
Je n'y crois pas... La lucarne troue en hauteur la paroi de petit méandre
parallèle à notre faille. D'un côté, un amoncellement
de blocs empêche de continuer, mais de l'autre je vois que le
méandre se poursuit. Ce n'est pas spécialement grand,
à peine un mètre de haut. Mais le courant d'air s'y engouffrant
me laisse enfin croire à l'impossible
A cet instant, je me redresse et me tourne vers Marc, mon voisin le
plus proche qui se tient au sommet du puits :
-
Si je te dis un secret, tu sauras le garder ?...
Je le vois hésiter et me regarder bizarrement ; il ne comprend
bien sûr pas où je veux en venir.
-
Il y a encore un gros caillou à enlever et je crois que ça
va passer !
Son visage s'illumine soudain
-
Qu'est-ce que tu racontes, ça va passer ???!!!
Eh oui
tout comme moi il y a quelques instants, il a de la peine
à admettre cette vérité peu ordinaire. Pourtant,
le fait est là : nous venons de mettre à jour un petit
méandre qui semble pénétrable, et celui-ci se dirige
vers un horizon inconnu.
La nouvelle se répand comme un éclair, et bientôt
toute l'équipe se retrouve compactée comme des sardines
au terme de la faille des Lausannois. Chacun parle à tous vents
et me bombarde de questions ! Pour résumer, je leur explique
qu'il faut encore enlever un gros bloc et après il sera possible
de s'engager dans le petit méandre qui s'échappe. C'est
visiblement étroit, mais comme il m'est difficile de juger à
distance, le mieux est d'attendre encore un peu avant de crier victoire,
le temps d'agrandir le passage.
Chacun retourne alors à ses occupations et la danse des seaux
reprend gentiment. Pourtant, rien n'est plus comme avant. Une sorte
d'aura plane sur l'équipe, une énergie que chacun dégage
naturellement, créant une atmosphère de bien-être
où tous les maux sont oubliés. Nous vivons des instants
extraordinaires, nous pensées s'évadent instinctivement
vers de magnifiques découvertes. Dans peu de temps la réalité
reprendra le dessus, avec son lot de joies ou de tristesses.
Vingt minutes ont passé, le rocher qui obstruait est dégagé
du puits. Le passage est libre, mais un autre bloc, encore plus gros,
menace cette fois de basculer sur l'ouverture. C'est frustrant, car
pour l'enlever il faudrait ressortir le matériel de minage. Mais
finalement, dans l'immédiat je me dis qu'il est très bien
où il est ! Alors que je l'assure comme je peux à l'aide
de la barre à mine ; le rocher peut bien attendre
moi je
n'y arrive plus !!!...
Voilà, cette fois tout est prêt, la voie royale n'attend
plus que ses invités !
D'un commun accord, j'ai l'honneur de passer le premier. L'impatience
me ronge depuis l'instant où j'ai décelé la petite
niche, cette fois c'est parti, je vais enfin savoir si les fées
sont disposées à livrer leurs secrets. De toute façon
je n'irai pas bien loin, simplement voir si le méandre recoupe
quelque chose de plus important.
Je plonge dans l'ouverture. Rapidement, je passe dans une position plus
animale, à quatre pattes ! Devant moi, le rétrécissement
que je distinguais s'est formé au dépend d'une coulée
stalagmitique. L'étroiture est bien marquée, mais la calcite
lisse et humide n'offre que peu de résistance. Le méandre
s'élargit ensuite pour former une petite galerie d'environ 0,8
x 1,5 mètre. Je passe sous une grosse formation de calcite qui
s'est brisée en 3 parties. Les deux premières sont toujours
en place tandis que la troisième gît au sol. Comment une
masse pareille a-t-elle pût se fendre ?
Tout en poursuivant, je pense d'emblée à un tremblement
de terre. Après un bref ramping occasionné par le rabaissement
du plafond, je débouche dans une galerie transversale
Une joie indescriptible s'empare de mon esprit, comme une sorte de soulagement.
Depuis toutes ces années, après s'être tellement
investi à la recherche de ce rêve qui ne sourit que rarement
aux personnes qui désobstruent, je me sens extrêmement
privilégié. Pour toute notre équipe, c'est la récompense
suprême, un fabuleux trésor qui n'a peut-être pas
de valeur en soi, mais qui vaut son pesant d'or pour tous les spéléologues
en quête du Graal souterrain qui nous attend : "la première".
Je m'empresse de retourner vers mes compagnons pour leur faire part
de la trouvaille. L'ambiance est à la folie
L'étroiture de départ est assez sélective, ce qui
ne motive pas autrement l'assistance pour venir voir de plus près
ce qui nous attend. L'heure est également tardive, la fatigue
et le froid n'arrangent rien non plus. De toute façon, il avait
été décidé de ne faire qu'une petite reconnaissance,
la mission est donc pleinement remplie. Et puis, depuis le temps que
nous oeuvrons par ici, nous pouvons bien patienter quelques jours supplémentaires
! J'effectue toutefois un nouvel aller-retour accompagné de Claudal,
histoire de faire quelques photos pour les montrer aux copains.
Ensuite, pendant que la plupart effectuent le repli du matériel,
avec Claudal nous désirons encore miner le gros bloc qui menace
de s'effondrer sur l'ouverture fraîchement dégagée.
Cela va permettre d'une part de sécuriser l'accès, d'autre
part cela va reboucher provisoirement le trou que nous venons de dégager.
Il faut savoir que la Grande grotte aux Fées est parcourue à
l'année par des centaines de visiteurs, souvent équipés
de simples lumignons voire même des bougies et autres briquets
Il serait alors peu souhaitable que certains s'aventurent dans la zone
inexplorée, avec tous les risques qui en découlent.
Grâce à nos micro charges, le minage en question ne nous
prend que peu de temps, et comme prévu le gros bloc n'est plus
qu'un souvenir, tout comme l'orifice d'accès à la nouvelle
partie qui a repris son aspect d'antan, un simple amoncellement de rochers.
Maintenant que la partie spéléologique de la journée
est terminée, une autre occupation attend toute l'équipe
: nous allons célébrer dignement cet événement
! La soirée fut donc très animée, certains poussèrent
même la fête jusqu'à l'aube, mais cela fait partie
d'une autre histoire qui n'a pas vraiment sa place en ces lignes
De ces réjouissances arrosées et mémorables, j'ai
quand même réussi à retenir une phrase sympathique
de notre ami Franklin :
-
La semaine à venir est le plus beau moment de notre aventure
; nos espérances les plus folles se concrétisent déjà
dans notre imagination.
Epilogue
des désobstructions
Depuis le début de nos travaux dans la Grande grotte aux Fées,
4 années se sont écoulées pour en venir à
bout. Plus de vingt personnes ont participé à ces festivités
où certaines totalisent jusqu'à 26 journées de
présence.
La motivation de chacun n'a pas toujours été des meilleures,
mais grâce à l'obstination d'une petite minorité,
plusieurs dizaines de tonnes de rochers ont pu être déplacées.
En repensant à ce travail titanesque, nous prenons conscience
qu'au terme de l'année 2001 nous avons stoppé notre avance
au bas du puits, à un seul petit mètre de l'endroit où
aujourd'hui nous avons ouvert un passage vers l'inconnu.
Un mètre, qu'est-ce que c'est ?... Ce n'est vraiment pas grand-chose
!...
A
l'époque, nous n'avions plus de place pour entreposer nos déblais
de roche, et c'est pour cette raison que les choses ont failli en rester
là. Pourtant, si nous avions su que nous étions si près
du but nous nous serions débrouillés n'importe comment
pour entasser nos cailloux ! Mais voilà... comme on le dit souvent
: avec des si
En
conclusion, la morale de cette désobstruction ne fait que confirmer
ce que Jack Ensign Addington disait :
-
N'acceptez jamais la défaite, vous êtes peut-être
à un pas de la réussite
Samedi
24 janvier 2004
L'apogée
du week-end précédent a chamboulé nos esprits,
nous languissons dès lors en pensant à ce que les Fées
nous réservent pour la suite des réjouissances. A part
Claudal n'ayant pu se libérer pour des raisons professionnelles,
l'équipe est presque identique, en ajoutant encore Patrick, un
habitué des désobstructions.
Afin d'optimiser notre temps, nous avons prévu un minimum d'organisation.
Les relevés topographiques requièrent de rester aussi
propres que possible, c'est pourquoi certains n'arriveront que vers
midi. Les autres seront présents aux premières heures
de la matinée, afin de rouvrir le passage refermé lors
de notre dernier minage, mais également pour débarrasser
proprement les nombreux blocs qui encombrent toute la zone des travaux.
La dernière journée a quelque peu été chambardée
par notre formidable découverte, de nombreux rochers ont été
abandonnés un peu partout.
L'équipe de minage s'attaque ensuite à l'étroiture
de calcite, au départ du méandre fraîchement découvert.
Ce passage est relativement sélectif, et notamment pour Williams,
alias Napo. Car malheureusement pour lui, il ne possède pas la
sveltesse de la plupart des participants, lui donnant ainsi la possibilité
de franchir l'étranglement rocheux et savourer la première
qui nous attend. Qu'à cela ne tienne, notre ami a contribué
à notre réussite durant de nombreux jours, donc il mérite
amplement son ticket d'exploration ! Par ailleurs, les raisons écologiques
qui pourraient jouer en sa défaveur sont vraiment dérisoires
en rapport aux changements que la grotte a déjà subit.
Alors un peu plus ou un peu moins, quelle importance !?
Vers 13 heures tout est terminé, nous avalons notre pique-nique
en compagnie des derniers arrivants. La chaude ambiance est compréhensible,
dans quelques minutes ce sera le début de l'exploration, que
certains attendent avec une impatience sans pareille
Maintenant c'est parti ! En tête, Jacques, Marc et Patrick composent
l'équipe topo, suivit du peloton lourdement chargé. En
effet, pour l'occasion nous disposons pas moins de 2 équipes
vidéo afin d'immortaliser nos découvertes ! Outre les
caméras, accus et éclairages, nous emmenons aussi des
cordes, amarrages et tout le nécessaire pour le cas où
un obstacle se présentera.
L'étroiture
que nous avons agrandie ne pose aucun problème à Napo,
d'ailleurs c'est en son petit nom que nous décidons d'appeler
les lieux : galerie du Napomètre ! Ce conduit débouche
dans une galerie transversale, le dernier point connu de la semaine
précédente. Maintenant c'est du sérieux, nous sommes
au cur de l'action. L'équipe topo a pris du côté
de l'amont, où c'est visiblement plus grand. La galerie est parfaitement
propre et comporte de petites flaques ici et là. Ce corridor
fait 5 mètres de large, mais la faible hauteur nous oblige à
rester à quatre pattes. Heureusement, cela ne dure pas, nous
pouvons bientôt nous relever à l'approche d'une petite
salle concrétionnée. La suite se prolonge par une fenêtre
basse, mais vu le nombre que nous sommes nous préférons
rester en attente. Car neuf personnes en même temps cela fait
beaucoup de monde ! En tout cas, entre l'excitation et la chaleur des
éclairages vidéo, l'ambiance est vraiment surchauffée
! Pendant que nous enregistrons quelques témoignages, l'équipe
topo nous communique que la suite s'avère bien concrétionnée.
Il n'en fallait pas autant pour inciter le groupe à poursuivre,
les premiers se précipitent déjà dans le passage
bas !...
Effectivement, bien que nous ne puissions pas nous tenir debout, l'endroit
est magnifique. Sur plusieurs mètres carrés, de belles
stalagmites de 5 à 10 centimètres de diamètre s'érigent
tel une forêt de pierre, tandis qu'un mètre cinquante au
dessus le plafond est saturé de fistuleuses d'une douzaine de
centimètres de longueur, au bout desquelles des gouttes d'eau
ne demandent qu'à tomber. De l'ocre au blanc, les couleurs se
marient harmonieusement. Le concrétionnement a toujours représenté
l'extase des spéléologues, il faut savoir que nous n'avons
pas l'habitude de voir ce genre de formation dans nos régions,
à part dans quelques grottes touristiques.
La grotte se poursuit de l'autre côté du champ de stalagmites,
et je remarque que certains n'ont pas trouvé mieux que de couper
à travers, laissant quelques traces disgracieuses sur le sol
immaculé, ce qui est d'autant plus dommage qu'il est possible
de contourner le passage en longeant la paroi. Il faudra penser à
apporter prochainement du ruban de marquage afin de baliser le chemin
à suivre. Le temps de filmer l'endroit sous toutes les coutures,
nous quittons ensuite ce lieu en franchissant un petit bassin, où
par manque de place il faut jouer de souplesse pour éviter de
prendre l'eau dans nos bottes.
Derrière,
la galerie prend de l'ampleur, ce qui nous permet de nous redresser.
Les proportions sont vraiment agréables puisque la largeur atteint
7 mètres pour une hauteur de 3 à 4 mètres. Ce lieu
est baptisé : salle des Moines, car sur une sorte de petit monticule
de calcite, 2 belles stalagmites nous font penser à 2 religieux
en train de surveiller depuis leur promontoire. En tant qu'explorateur
et découvreur, il est d'usage de donner un nom aux endroits que
nous découvrons, à la manière des Anciens, qui
depuis la nuit des temps, nommaient les étoiles ou constellations
qu'ils découvraient. Pour l'anecdote, on peut d'ailleurs dire
qu'ils avaient du choix puisque le recensement actuel en compte plus
de 15 millions
Non loin, une autre petite salle nous attend, c'est là que toute
l'équipe s'est regroupée. Les retrouvailles sont chaleureuses,
les commentaires et impressions sont à la hauteur de nos découvertes.
Nous baignons tous dans un océan de plaisir et d'émotion,
espérons seulement que cela va durer. L'endroit où nous
sommes prend le nom de Salle du Boulet, car
dans un recoin à 1,5 mètre du sol, nous pouvons admirer
un galet parfaitement poli, coincé entre 2 parois. Celui-ci n'est
pas venu se mettre seul à cette hauteur, donc il est probable
qu'en des temps très anciens le remplissage de galets était
très important, le travail des crues monstrueuses les ont par
la suite emportés, ne laissant que ceux qui s'étaient
bloqués. Pour la petite histoire, nous en avons trouvé
d'autres encore plus gros, immobilisés à plus de 3 mètres
du sol !
L'équipe de topographie toujours en tête, nous poursuivons
dans ce que nous appelons désormais la galerie des Princes Charmés,
ceci pour rester dans l'esprit des contes de fées ; ce qui est
bien normal dans une grotte portant ce nom !
Maintenant, le conduit perd à nouveau de la hauteur, ce qui nous
oblige à nous baisser. La largeur diminue également pour
se fixer à 4 mètres. La nature du sol est toujours aussi
propre, composée de sable et de galets. Cela laisse supposer
que l'eau emprunte toujours ces lieux lors des crues ? Au stade actuel
de nos connaissances c'est encore trop tôt pour l'affirmer. Au
sol comme au plafond, des concrétions parsèment le parcours,
ce qui apporte une joie supplémentaire à notre bonheur.
Le travail des topographes dicte la vitesse de déplacement du
convoi de spéléologues, qui peut se résumer à
: très lentement ! C'est tout à fait normal et ce n'est
pas autrement gênant, pour certains cela laisse le temps de filmer
ou photographier, et pour les autres le temps d'apprécier la
cavité à sa juste valeur.
Bientôt,
Jacques qui dessine et reporte les données topographiques se
met à grommeler, comme quoi nous faisons trop de bruit ; selon
ses dires, il n'arrive plus à se concentrer à ses occupations...
Il est vrai que l'ambiance qui règne en ces lieux est assez euphorique
et se rapproche de celle d'un buffet de gare, mais de là à
devoir se recueillir en silence pendant que Saint Jacques et ses aumôniers
officient la divine topo, c'était quand même beaucoup demander
!... Il n'en fallait pas autant pour alimenter le feu de la discussion
et d'ailleurs quelqu'un n'a pas tardé à lancer que cet
endroit s'appellera dorénavant : Salle du Topo-Râleur !
Toutefois, la requête a été entendue, et pour la
suite de la galerie nous laissons un peu de distance entre les topographes
et les
chahuteurs !
Un peu plus loin, la section de la galerie représente un triangle
équilatéral de 3 mètres, et nous sommes en attente
en file indienne devant un lac qui dépasse la hauteur de nos
bottes. Je suis en train de filmer quand une information, transmise
d'homme à homme, arrive depuis l'équipe de tête
:
Ca
queute !...?
Dans le jargon des initiés, cela veut dire clairement que la
grotte se termine, mais connaissant l'esprit joueur de certains je pense
immédiatement à un canular, histoire de nous faire languir.
Après quelques minutes, la nouvelle n'est toujours pas démentie,
ce qui commence à m'inquiéter sérieusement. Ce
désarroi est renforcé par la triste mine des copains qui
m'entourent
Que nenni ! Je n'arrive pas à admettre une vérité
si brutale et j'aimerais en avoir le cur net. Sans plus attendre,
je me dirige vers l'avant, et tant pis pour les pieds qui vont prendre
un bain ! Après un rétrécissement au travers de
quelques blocs effondrés, je constate effectivement que la galerie
se réduit de plus en plus, ce qui n'est pas de bon augure. J'arrive
ainsi dans une petite chambre où 3 personnes peuvent s'y tenir
péniblement. Là, une petite lucarne de 15 centimètres
de diamètre nous laisse entrevoir une suite, qui ne s'annonce
pas autrement plus grande, et qui plus est, où le courant d'air
est à peine perceptible. Nous avons probablement raté
quelque chose, nous ne devons pas être au bon endroit.
Nous ratissons alors le secteur où quelques petits diverticules
nous redonnent un peu d'espoir, mais finalement rien d'intéressant.
A 30 mètres de là, nous découvrons le lieu où
le courant d'air s'échappe. Il s'agit d'une fissure remontante
mais impénétrable, avec en prime quelques blocs ne demandant
qu'à nous tomber dessus ! Pour chacun, la déception est
grande, mais rien n'est encore perdu. Nos n'avons pas ausculté
les moindres recoins de l'ensemble que nous venons de parcourir, il
reste aussi la galerie en aval délaissée près de
notre point de départ.
La fin de la journée approchant, la motivation
est cependant toujours là. Pour ma part, je désire miner
la lucarne terminale ; la direction générale du courant
d'air se dirigeant plutôt dans cette direction, ce qui m'incite
à persévérer. Un autre groupe s'est formé
afin de poursuivre l'exploration en aval de la galerie des Princes Charmés.
Dans celle-ci, malgré 5 à 7 mètres de largeur,
la hauteur est bien en reste, ce qui oblige à ramper la plupart
du temps ! Heureusement que le concrétionnement est bien présent,
sans être fin et délicat. Après 50 mètres,
il est possible de se tenir debout, et bientôt un conduit transversal
se présente. En prenant d'un côté, l'équipe
s'arrête immédiatement sur une fissure verticale se développant
au dépend d'une grande faille, avec un courant d'air. Pour l'heure,
ils décident d'en rester là et garder la suite pour la
prochaine fois.
Pendant
ce temps, avec 3 micro charges totalisant moins de 10 grammes d'explosif,
nous avons réussi à agrandir la fameuse lucarne. Le passage
forme toujours une étroiture, mais cette fois franchissable.
Derrière, comme nous le craignions, ce n'est pas franchement
grand, et malheureusement une lame de rocher empêche de continuer.
De toute façon il est déjà tard, et pour aujourd'hui
nous avons eu notre lot d'émotions
Cette
belle journée nous a permis d'explorer et de topographier environ
180 mètres de nouvelles galeries, espérons que ce n'est
qu'un début.
Mardi
27 janvier 2004
Après l'exploration du week-end, une équipe
s'est rapidement formée pour continuer l'aval de la galerie des
Princes Charmés, mais également pour fouiller plus en
détail toutes les possibilités de continuation. Par ailleurs,
le report du plan des dernières découvertes dans la Grande
Grotte, avec celui de la Petite Grotte, nous a révélé
une belle surprise : l'exploration de la partie aval de la Galerie des
Princes Charmés s'est arrêtée sur une faille
qui n'est autre que la faille transversale de la Petite Grotte, située
peu avant la Faille des Genevois. D'après les plans, il y a une
différence d'altitude de moins d'une dizaine de mètres,
une jonction entre les deux semble tout à fait possible.
Aujourd'hui, c'est à cinq que nous nous retrouvons, à
savoir Bernard, Claudal, Jacques, Pierre et Williams.
Malgré les conditions d'enneigement, nous avons réussi
à parquer nos véhicules près de la maison de l'ancienne
douane, grâce à l'amabilité de 2 hommes de la voirie
qui nous ont dégagé un emplacement avec leur fraiseuse.
L'accès à la grotte est alors très rapide par le
sentier habituel encombré d'une vingtaine de centimètres
de neige fraîche.
Dans la grotte, nous décidons de nous rendre directement à
l'objectif principal, soit le terminus aval vers la faille transversale
où 2 possibilités nous attendent. Pierre et Claudal s'attaquent
à la fissure verticale tandis que Jacques Bernard et Williams
continuent l'exploration du conduit principal, juste à proximité.
Malheureusement pour eux, leur partie se termine après quelques
mètres seulement, par une obstruction complète de sédiments,
composés d'un genre de conglomérat.
Avec Claudal, nous n'avons pas beaucoup plus de chance que nos camarades,
le franchissement d'une étroiture verticale ne permet de gagner
que quelques mètres en profondeur. Là, la faille est péniblement
parcourue dans sa longueur sur une dizaine de mètres. Le sol
est occupé pas des éboulis, et par endroits nous distinguons
que la faille se poursuit en profondeur, mais vraiment trop étroite
pour passer. Il est probable que la jonction avec la Petite grotte se
trouve par ici, mais pour en être sûr, il faudra envoyer
une équipe de chaque côté.
D'un seul coup, tous nos espoirs s'estompaient brutalement ! Claudal
est d'autant plus déçu, il n'était pas présent
lors de la première journée d'exploration. Quand on sait
qu'il est l'un des principaux protagonistes des désobstructions
avec une participation pendant la quasi-totalité des travaux,
il est bien clair qu'on ne peut pas vraiment dire qu'il a eu sa part
du gâteau !
De
retour vers 13 heures au carrefour vers la faille des Lausannois, nous
faisons le point sur la situation. Jacques décide de nous quitter,
c'est donc à quatre que nous nous dirigeons vers l'amont. Là,
pendant que Bernard et Williams désobstruent une zone de blocs
où l'on devine une belle faille se prolonger en profondeur, Claudal
et Pierre se rendent au terminus amont, juste après la lucarne
agrandie à l'explosif lors de la dernière sortie.
A l'aide d'une massette, Claudal se bat depuis un bon moment avec une
lame de rocher, celle qui nous empêchait justement de continuer
il y a quelques jours. Une fois vaincu, il se rend compte qu'au-delà
c'est peut-être assez grands pour les souris, mais pas vraiment
pour les explorateurs que nous sommes
C'est bien dommage ! Il
semblait que cet endroit était l'ultime chance de poursuivre
la grotte, nos rêves qui nous hantaient depuis 4 ans n'auront
pas spécialement porté de gros fruits, à peine
200 mètres de nouvelles galeries. La réalité est
souvent difficile à admettre, après tant d'attente et
d'espérance.
Je décide néanmoins de voir la fin de mes propres yeux,
et rejoins le terminus de mon coéquipier. Là, la suite
est une sorte de grand laminoir encombré de blocs et de gravier,
ne laissant effectivement que peu d'espoir. Cependant, pour autant que
l'on arrive à creuser le sol et déplacer les gros blocs
qui obstruent de toute part, il semble que la hauteur soit suffisante
pour ramper. Il n'en fallait pas autant pour me donner le courage de
continuer, c'est donc à bouts de bras que je m'active à
marteler les pierres, soit pour les casser ou pour les décoller,
la plupart se sont cimentées avec les années et le passage
de l'eau. J'arrive également à attaquer le sol, composé
d'un genre de conglomérat de sédiments durcis.
Après deux heures dans des postures vraiment inconfortables,
j'ai réussi à progresser d'une dizaine de mètres.
Là, enfin, le plafond se relève gentiment. J'arrive dans
une petite chambre où j'ai juste de la place pour me tenir assis.
Devant moi, un énorme bouchon de rochers m'empêche de poursuivre.
Dans mon dos, la paroi est magnifique, ornée de grandes cupules
reluisantes. Sans aucun doute, je suis bel et bien dans l'ancien cours
d'une rivière dont l'eau sous pression a façonné
les parois. Etant au point bas je présume que la suite se trouve
en hauteur, donc au-dessus de cet amoncellement de blocs. D'ailleurs,
un léger courant d'air me confirme le chemin à suivre
Alors
que faire !!! ... ...
Il y a quelques années, je m'étais retrouvé dans
une bien mauvaise situation face à une trémie, dès
lors je m'étais juré de ne plus recommencer !!!... Mais
les sages Chinois l'ont compris depuis des millénaires en disant
que :
Il
est plus facile de déplacer un fleuve que de changer son caractère
!!!...
En
effet, malgré la crainte, cette sensation lancinante et si désagréable
qui nous pince le cur, il y a en moi quelque chose de bien plus
fort qui me pousse à agir. Alors, comment l'expliquer ? De l'inconscience
? Un petit shoot d'adrénaline histoire de prendre sa dose ? Ni
l'un ni l'autre ! Je pense plutôt que c'est quelque chose que
l'on ressent au fond de nous et qui nous dicte ce qu'il faut faire.
La peur est bien sûr omniprésente, mais en la maîtrisant
on se sent comme protégé, invulnérable.
Quoi qu'il en soit, je me suis remis à l'ouvrage en déplaçant
délicatement les blocs, qui visiblement ne mettaient pas en péril
la stabilité de l'édifice. Comme dans la Souricière,
le nom donné au boyau que nous venons de franchir, je dois donner
quelques coups de massette, les rochers étant scellés
les uns aux autres ; il semble que cette zone doit régulièrement
se noyer, l'eau chargée de particules de roche a cimenté
tout l'ensemble. Cette nouvelle me rassure à peine, le moral
n'étant toujours pas des meilleurs... Ne pouvant évacuer
les cailloux ailleurs que par la Souricière, je les transmets
à Claudal qui les place comme il peut à ses côtés.
Bientôt, je peux me tenir debout entre la paroi et l'amas de rochers.
A ce moment, je remarque au-dessus un vide entre les interstices, laissant
présager la fin du bouchon. Peut-être une porte sur de
nouvelles découvertes merveilleuses et la suite de notre aventure
? Pour le savoir il ne me reste que très peu de choses à
enlever, peut-être deux ou trois blocs. Mais cette joie est amère,
je suis maintenant ceinturé de cailloux des pieds à la
tête. Cet endroit m'oppresse de plus en plus, ma dernière
expérience en trémie se rappelle sans cesse à mon
bon souvenir. La limite de l'abandon est presque atteinte, bien que
je ressente un dénouement proche.
C'est
alors qu'une pensée me traverse l'esprit :
Aujourd'hui, par un heureux hasard, c'est le jour de mon anniversaire
!!! Ce serait déjà fantastique de découvrir la
suite du réseau, cela représenterait de surcroît
un merveilleux cadeau d'anniversaire, peut-être même le
plus beau que je n'ai jamais reçut ! La spéléologie
c'est une partie de ma vie, beaucoup de gens ne comprendront jamais
à quel point cette activité me passionne. Dans mon sablier
de géant, l'idée du cadeau mettait un peu de baume sur
le coeur... mais ce fut surtout le déclic pour me remettre au
travail.
Avec quelques coups de marteau, je décolle délicatement
les derniers blocs. Heureusement, ils ne sont pas trop lourds, ce qui
me permet de les pousser vers le haut et ainsi les dégager hors
du passage.
Cette fois le goulet est libre, c'est au ralenti tel un gros crabe que
j'émerge de cet amas de rochers. Je vois au-dessus que l'éboulis
remonte à 45 degrés, il semble assez stable... D'ici,
je peux mieux mesurer l'ampleur de cet éboulement. Je suis dans
une petite salle d'effondrement, et tous les cailloux sont venus s'accumuler
contre la paroi d'où je suis arrivé.
D'emblée, je pense à nommer l'endroit : "passage
de l'Au-delà". C'est bien sûr à double sens,
cela résume bien les quelques sensations que j'ai éprouvées.
Claudal me rejoint, et d'un commun accord que nous décidons d'explorer
la galerie qui s'offre à nous. N'étant pas présent
lors de la première journée d'exploration, c'est donc
un juste retour des choses après tout le travail qu'il a fourni.
Nous quittons notre petite salle pour suivre un vestibule encombré
de nombreux blocs. Le puissant courant d'air que nous avons perdu avant
la Souricière est réapparu par une grande fissure, et
nous accompagne maintenant dans notre périple. Notre imagination
peut à nouveau vagabonder, tous les indices d'une grande échappée
jouent en notre faveur.
Ce n'est pas spécialement grand, juste de quoi nous tenir debout,
mais notre joie est intense car nous sommes les premiers à parcourir
ces lieux. Emotionnellement, ces moments sont très puissants,
le paroxysme suprême pour les spéléologues.
Après
une étroiture entre les blocs, la galerie vire sur la droite
et prend soudain de l'ampleur. Le sol, parfaitement propre composé
de sable et de galets, atteste que l'eau a passé par là.
Bientôt, quelques concrétions ici et là font leur
apparition, et rapidement nous arrivons en vue d'une fenêtre...
noire !!! Ce phénomène est généré
par le contraste des parois claires avec une surface noire correspondant
à un vide que nos éclairages n'arrivent pas à percer.
Tout émus, nous arrivons dans une salle où nous stoppons
brusquement notre élan
Un frisson m'envahit des pieds à la tête. Devant nous,
une paroi parfaitement lisse se perd dans les hauteurs. C'est un énorme
miroir de faille comme je n'en ai jamais vu. Il
doit mesurer une quinzaine de mètres de hauteur et s'étend
sur une largeur de près de 30 mètres. La surface est recouverte
de calcite claire, tranchant avec le noir de ce vide souterrain. Nous
sommes à la base d'une grande salle d'effondrement, formée
par le rapprochement de deux failles adjacentes. De nombreuses concrétions
colorent les parois, dont les teintes s'harmonisent merveilleusement.
Certaines défient même les lois de l'apesanteur, principalement
à cause du courant d'air léchant les parois. D'autres
se sont brisées sous l'effet d'un mouvement terrestre. Il y a
aussi des draperies mesurant près de 5 mètres de longueur.
Nous ne savons pas où donner de la tête, tellement il y
a de choses à regarder ; nous sommes en plein conte de
fées !...
Bientôt, Claudal se penche le long d'une paroi, il a remarqué
quelque chose de particulier. Il s'agit d'ossements imbriqués
provenant d'une chauve-souris, ce qui en soi est relativement banal.
Mais ce qui l'est moins, c'est que l'un des os traverse une bague numérotée,
avec le nom du musée propriétaire.
Cette trouvaille ajoutait encore un peu de consistance à un plat
d'émotion déjà bien garni ! Toutefois, de même
qu'il reste toujours un peu de place pour le dessert... et qu'il nous
reste encore du temps devant nous, nous décidons de poursuivre
notre aventure si palpitante.
Devant nous, une montagne de blocs se dresse vers le plafond, et c'est
maintenant ce qui nous inquiète ; cet effondrement a possiblement
obstrué la suite de notre route, ce qui signerait la fin de notre
aventure.
En suivant le lit asséché de la rivière qui s'est
frayé un chemin sous cet amas, nous longeons la paroi calcifiée
sur une dizaine de mètres. Là, en plein effondrement,
cela ne passe plus du tout. Nous entrevoyons bien une suite entre les
blocs, mais l'espace n'est pas suffisant pour passer. De retour à
notre point de départ, nous décidons cette fois d'escalader
le gros éboulement. Nous parvenons sans difficulté au
sommet, rejoignant presque le plafond. Là encore, tout est obstrué.
Nous pouvons observer de magnifiques stalactites, dont certaines serpentent
dans toutes les directions, appelées communément excentriques.
Nous avons également une vue dominante de la salle, avec son
magnifique miroir de faille resplendissant. Cet endroit prendra le nom
élogieux de " salle du Miroir des Fées ".
En suivant la paroi concrétionnée, nous entamons la descente
de notre monticule pierreux. Une belle fenêtre entre les blocs
attire notre attention, nous invitant à y pénétrer.
Là, c'est avec surprise que nous découvrons un couloir
assez spacieux qui descend rapidement au coeur de l'éboulement.
Au point bas, une trouée entre les blocs à 1,5 mètre
du sol nous permet d'espérer à nouveau. Nous
nous empressons de franchir le goulet, et nous gagnons un joli vestibule
toujours encombré de blocs. Ici, nous retrouvons notre lit de
rivière asséchée, avec la galerie qui se poursuit,
belle et majestueuse ; le rêve peut alors continuer...
Nous sommes contents d'avoir franchi l'énorme éboulement,
les fées sont avec nous ! Ces jeux de cache-cache pour trouver
les bons passages font partie des joies de l'exploration, bien souvent
le cheminement n'emprunte pas le parcours le plus direct.
La galerie où nous sommes fait 4 à 5 mètres de
large, le plafond est à plus de 10 mètres. C'est vraiment
extraordinaire, le concrétionnement est toujours présent,
ce qui apporte une touche de féerie supplémentaire. Etant
donné que c'est mon anniversaire, le conduit prend tout naturellement
le nom de galerie du Cadeau d'Anniversaire.
Nous sommes visiblement dans le prolongement de la faille dont nous
avons pu observer une magnifique paroi lisse dans la salle précédente,
car nous suivons la même direction dans une rectitude presque
parfaite. Nous apprendrons par la suite que nous évoluons dans
une cassure bien connue de la géologie régionale, faisant
partie intégrante du "Décrochement de Pontarlier",
un élément tectonique majeur qui a tranché le Jura
entre le Vallorbe et le Haut-Doubs.
Bientôt, un nouvel effondrement se présente. En observant
la paroi, nous remarquons que des stalagmites de 8 à 10 cm de
diamètre sont brisées à leur base. Le réflexe
nous pousse immédiatement à lever la tête, pour
apercevoir qu'une dizaine de mètres au-dessus de nous un pan
entier de paroi est décollé, avec la menace qui pèse
de s'écrouler. Ce fait s'explique par la présence d'une
nouvelle faille qui est venue se greffer sur la principale, nous sommes
justement à la réunification des deux. Les concrétions
cassées attestent que le dernier effondrement est plus ou moins
récent, ce qui provoque en nous la réaction bien normale
de quitter rapidement cet endroit
Les dimensions de notre galerie diminuent, alors que le concrétionnement
devient très conséquent. Outre de belles stalagmites et
stalactites, il y a aussi des draperies massives disposées les
unes à côté des autres, faisant penser à
une sorte de grand rideau. La
nature du sol n'est pas en reste, vêtu d'un joli manteau de calcite.
Nous sommes sans voix, tellement c'est beau et inhabituel. Par ici,
un petit bassin est ceinturé de micro gours. Par là, la
calcite reluisante est présente du sol au plafond. C'est vraiment
magique, nous vivons des instants privilégiés par excellence.
Quand on repense à tout le travail que nous nous sommes donné
lors des désobstructions, nous pouvons maintenant nous dire que
même si nous approchons de la fin de la grotte, nous sommes amplement
récompensés de nos efforts.
Après une petite zone d'effondrement où il ne subsiste
plus qu'une petite lucarne pour passer, les parois se rapprochent sérieusement.
Tandis que la calcite se répand à nouveau de toute part,
le courant d'air redouble de puissance, nous confirmant la route à
suivre. Par une étroite fissure, nous
franchissons une sorte de barrière calcifiée, où
il manquait peu avant que le passage se referme irrémédiablement.
La raison est que l'eau est bien chargée en carbonate de calcium,
et va se déposer partout où elle entre en contact. Cela
occasionne un généreux dépôt, grandissant
au fil des siècles. Il en résulte finalement que les parois
viennent à se rencontrer, ce qui signe l'arrêt de l'exploration.
Parfois, d'autres passages permettant de contourner l'obstacle, mais
il arrive aussi que les spéléologues doivent briser la
calcite afin de pouvoir continuer.
Il faut cependant reconnaître que ce genre d'obstacle est peu
ordinaire dans nos régions. Pour l'expliquer succinctement, disons
qu'il y a plusieurs facteurs qui rentrent en ligne de compte dans la
formation de la calcite. Puisque le calcaire est une roche soluble,
l'eau, chargée en dioxyde de carbone (CO2) en raison de son passage
dans l'atmosphère, mais surtout dans les sols, devient alors
acide (pH 5) et dissout le calcium, le composant principal du calcaire.
Ensuite, l'eau chargée en calcium va alors se cristalliser en
débouchant dans les vides. En effet, au contact de l'air l'eau
va s'évaporer et perdre du CO2, et va ainsi former un dépôt,
le long duquel d'autres gouttes d'eau vont perler, et déposer
à leur tour leur apport de calcium, agrandissant lentement la
structure.
Alors, en sachant qu'il n'y a pas si longtemps nos régions étaient
encore recouvertes par les glaces, on comprend que la combinaison du
dioxyde de carbone et du carbonate de calcium, a pas eu suffisamment
de temps pour former un concrétionnement généreux,
à l'instar d'autres régions comme dans le sud de la France,
où les glaciers ont disparu depuis bien plus longtemps que chez
nous, et où de nos jours il est courant de trouver un concrétionnement
extrêmement présent, ainsi que des galeries entièrement
obstruées par de la calcite.
Nous arrivons dans une jolie petite salle tout aussi agréablement
décorée. Tout comme dans la salle du Miroir des Fées,
nous pouvons remarquer que le courant d'air léchant une paroi
a déformé la croissance de certaines stalactites, qui
ressemblent maintenant à de grandes griffes. Nous aurions pu
baptiser l'endroit en rapport à ces concrétions particulières,
mais notre préférence s'est porté sur la salle
des "Intestins", en rapport à l'apparence du sol à
un endroit bien précis, faisant penser aux entrailles du corps
humain.
Dans
cette salle oblongue, une gigantesque lame de rocher a coupé
la largeur en deux, nous obligeant à choisir l'un ou l'autre
des itinéraires. En fait, cela importe peu puisque les deux chemins
se rejoignent rapidement. C'est justement à la réunification
de ces derniers que nous décidons de nous arrêter pour
aujourd'hui. Ici, la suite de la galerie quitte perpendiculairement
la grande faille, nous pouvons aussi voir que la roche devient lisse,
sculptée en régime forcé. Gardons un peu de mystère
pour la prochaine fois, nous avons vraiment notre dose aujourd'hui !...
Avec un peu plus de 150 mètres de magnifiques découvertes,
entre déception, peur et émerveillement, ce fut une journée
bien chargée. Avec le puissant courant d'air qui nous accompagne
en ces lieux démesurés, nous sommes maintenant persuadés
d'une bonne chose : nous ne sommes pas au bout de notre aventure !
Samedi
31 janvier 2004
Cela fait à peine 4 jours que nous avons quitté
la grotte, nous sommes extrêmement impatients de la retrouver.
Cependant, à part pour Franklin faisant partie du club spéléo
de Cheseaux, cela tombe assez mal pour les Lausannois, c'est dans l'après-midi
que va se dérouler l'assemblée annuelle de leur groupement.
Un choix facile pour Claudal et Pierre, mitigé pour Michel qui
nous accompagnera qu'une partie de la journée, et difficile pour
ceux qui ne viendront pas. C'est donc à quatre que nous entrons
dans la grotte, avec des rêves plein la tête
A
la Souricière, Franklin et Michel agrandissent encore le passage
à la massette, tandis que Claudal et Pierre commencent le relevé
topo des lieux qu'ils ont découverts quelques jours auparavant.
Dans
la Salle du Miroir des Fées, c'est vers midi que les 2 équipes
se retrouvent pour le repas. Pour Franklin et Michel, la Souricière
est maintenant un peu plus humaine
le Passage de l'Au-delà
ne les a en revanche pas trop impressionné.
Dans la galerie du Cadeau d'Anniversaire, c'est à trois que nous
poursuivons la topographie pendant que Michel effectue quelques photos
afin de les montrer aux copains lors de l'assemblée de club,
dont l'heure se rapproche inévitablement. Bientôt, le moment
est venu pour lui de nous quitter, nous imaginons que ce choix doit
lui valoir son pesant de regrets. Il faut dire qu'à l'endroit
où nous sommes, le cadre est magnifique. Mardi passé avec
Claudal, c'est un peu au pas de course que nous avons parcouru ces galeries,
et aujourd'hui, par l'entremise de la topographie, nous pouvons mieux
apprécier les détails de notre environnement. Le concrétionnement
est important sans vraiment être délicat : stalactites,
stalagmites, mini gours, coulées et draperies se fondent à
merveille. Un endroit est baptisé : le Grand Rideau, où
une multitude de draperies sont disposées côte à
côte sur près de cinq mètres. Tout comme nous quelques
jours auparavant, Franklin
n'en revient pas en ces lieux immaculés ; tout cela n'est pas
réel ! Une des concrétions l'interpelle particulièrement,
dont le profil ressemble à une tête de chien voire un ours,
selon l'esprit ou l'humeur du moment !
Bientôt,
après la salle des Intestins nous arrivons à notre ancien
terminus, à l'endroit où nous quittons la faille principale
orientée au nord. Cette fois, nous partons à l'ouest.
Le profil des galeries est bien différent, le concrétionnement
s'est effacé au profit de parois lisses et austères. Le
sol est composé de sable et de galets arrondis. La topographie
se poursuit à mesure que nous explorons. Après un petit
ressaut, le plafond s'abaisse brusquement. Il n'est guère plus
qu'à un mètre du sol, la largeur en revanche passe à
près de 10 mètres ! Des traces de mise en charge prouvent
que cette zone doit se noyer. Quelques mètres plus loin, les
dimensions reviennent plus humaines et nous arrivons à un carrefour
avec 3 possibilités.
Sur
notre gauche, un petit méandre de 0,6 x 1,5 mètre se détache,
tandis que sur la droite, après l'escalade d'un ressaut de 2
mètres, nous sommes au départ d'une nouvelle galerie descendante
relativement argileuse. Nous revenons au carrefour, car il nous semble
que le plus intéressant soit devant nous, sur le chemin de l'eau.
Nous franchissons un gros bloc effondré, pour nous retrouver
dans une petite salle massivement décorée.
Face à nous, un grand bassin marque le départ d'une galerie
basse d'environ 1,3 mètre de hauteur. Tout le courant d'air provient
de ce conduit, ce qui est très réjouissant. Ce qui l'est
moins, c'est que la profondeur de l'eau dépasse... le mètre
!
Sur les côtés, des stalactites en forme de poire se reflètent
dans le miroir de l'eau, dupliquant à volonté ce verger
de pierre. Certaines sont à demi immergées, d'autres à
la limite de l'onde, c'est probablement le niveau variable du lac qui
est à l'origine de ces formations étonnantes.
En regardant au loin, la nappe se prolonge sur une dizaine de mètres,
puis la galerie vire vers les mystères de l'inexploré.
Sans matériel adéquat, c'est le terme de notre escapade
pour aujourd'hui, d'autant que cela fait une dizaine d'heures que nous
sommes sous terre. C'est donc l'obstacle arrivant à point nommé,
l'excuse proprement dite pour nous dire qu'il faut bien stopper notre
élan, même si nos envies nous poussent indubitablement
vers l'avant. Avant de quitter les lieux, nous décidons de nommer
cet endroit : Lac des Fruits Défendus, c'est sans équivoque
!
Avec 230 mètres de topographie dont 55 mètres de découvertes,
le développement de la Grande Grotte aux Fées passe à
plus de 800 mètres. Avec ce qui nous attend au-delà du
bassin ainsi que les galeries latérales que nous avons délaissées,
nous savons que les découvertes sont toujours au programme, tout
au moins pour un certain temps.
Vendredi
samedi 6 et 7 février 2004
Les récentes découvertes ont provoqué
une immense joie dans l'équipe qui a participé aux travaux
de désobstruction, prouvant à chacun que nous sommes face
à quelque chose de grande envergure, dont l'exploration ne fait
que débuter. Dans ce sens, nous avons également pris conscience
que nous avons ouvert un passage vers de nouvelles galeries et salles,
comportant des dangers fortement avérés. Il s'agit notamment
de risques d'éboulement dans des endroits peu stabilisés,
mais également de l'ennoiement de certains lieux par une soudaine
crue. Tout en sachant que la Grande Grotte est parcourue à l'année
par des hordes de visiteurs non spéléologues, généralement
accompagnés d'enfants, la responsabilité de notre groupe
est fortement engagée. Après de houleuses discussions
internes, nous sommes arrivés à la conclusion que nous
devons impérativement empêcher les néophytes d'accéder
à cette nouvelle partie. Nous savons d'emblée que cette
solution ne va pas plaire à la communauté spéléologique
régionale, mais nous n'avons pas vraiment le choix si nous ne
voulons pas prendre le moindre risque d'assumer quoi que ce soit. C'est
pourquoi nous avons pris la décision de poser une porte à
l'endroit même où la nouvelle partie commence, soit le
terme de la faille des Lausannois.
Pour ce faire, Bernard, Claudal, Franklin, Jacques, Pascal et Pierre
sont présents en ce vendredi soir, afin d'apporter une partie
du matériel et commencer les travaux. Mais dans un premier temps,
étant donné que nous sommes suffisamment assez, nous nous
répartissons en deux équipes pour essayer de jonctionner
entre les deux grottes aux Fées, à l'endroit où
il y a une dizaine de jours nous avons déjà effectué
une première tentative au niveau d'une faille transversale.
Une
fois sur place, les participants ne mettent pas longtemps avant de crier
victoire, la communication est rapidement établie entre les deux
groupes. Dans la Petite Grotte, il sera même possible de s'élever
de plusieurs mètres dans la faille en se guidant à l'aide
de la voix. Finalement, les 2 équipes se retrouvent distantes
de seulement 4 mètres, mais la largeur du vide qui les sépare
s'élève à peine à 10 centimètres.
Le faisceau des lampes se distingue de part et d'autre, mais sans plus.
On peut alors considérer que la jonction entre les deux grottes
est effective, même qu'il n'est pas possible de passer physiquement
de l'une à l'autre. Donc à partir de maintenant les deux
cavités font partie du même système, qui prend dorénavant
l'appellation de Réseau
des Grottes aux Fées de Vallorbe. Le développement
passe ainsi à environ 1200 mètres, pour une dénivellation
de 63 m (-36 / +27m).
Nous
commençons ensuite l'aménagement de la porte, avec la
pose d'éléments métalliques faisant office de cadre.
Ces profils sont fixés à l'aide de tiges spécifiques,
enfoncées dans des trous percés dans le rocher. Le franchissement
de cette porte ne s'effectuera pas horizontalement comme on peut s'y
attendre, mais à la verticale du puits qui clôt la faille
des Lausannois.
Le
lendemain, après une nuit relativement courte, les participants
se retrouvent plus ou moins les mêmes.
Tandis que Bernard, Michel, Pierre et Raymond s'occupent de poursuivre
l'aménagement de la porte, Jacques, Marc et Pascal se rend au
lac des Fruits Défendus pour y amener un gros tuyau. Le franchissement
de ce lac n'étant pas au goût de certains, l'idée
est venue de le vider.
En se rendant sur place, ce groupe découvre les merveilles fraîchement
découvertes, dont la beauté restera à la hauteur
de ce qu'ils avaient entendu.
Au lac, malgré plusieurs tentatives, ils n'arrivent pas à
amorcer le tuyau. Pour la technique, avec un petit canal il suffit d'aspirer
l'eau par l'une des extrémités pour engager le principe
des vases communicants. Mais ici, il faut savoir que le diamètre
du tuyau est de 45 millimètres, pour une longueur de 15 mètres
! Donc la seule solution puisqu'il n'est pas possible d'aspirer une
quantité pareille de liquide par la bouche, c'est de plonger
le tout dans le lac, attendre que le flexible se remplisse intégralement,
boucher l'une des extrémités pour la déplacer à
l'endroit où l'eau va s'évacuer. Evidemment, l'altitude
où l'eau se déverse doit être inférieure
au niveau d'aspiration ! Plus facile à dire qu'à réaliser,
la grande difficulté réside dans la manière de
boucher suffisamment le tuyau, car lors de son déplacement la
moindre entrée d'air compromet la procédure. De plus,
un tuyau rempli d'eau devient très lourd, ce qui n'aide vraiment
pas pour le déplacer.
Pendant
ce temps à la Faille des Lausannois, c'est le gros chantier pour
l'équipe de construction. Raymond, notre ami Valaisan, a préparé
une belle trappe en métal, nous sommes donc occupés à
percer, découper, meuler et souder les divers éléments
métalliques qui vont la supporter. A l'extérieur, un puissant
groupe électrogène tourne à plein régime,
la soudure sollicite beaucoup d'électricité. Cela n'a
l'air de rien, mais cet ouvrage demande une grande infrastructure en
matériel, machines et outillage.
Cette ambiance de serrurerie, avec ses projections de lumière
et d'étincelles, est assez inhabituelle dans le monde des cavernes
L'exiguïté, les ruissellements et la présence d'argile
ne facilitent guère le travail, qui prendra beaucoup plus de
temps que ce qui était prévu.
Néanmoins, la structure porteuse ainsi que la trappe est maintenant
en place, il reste encore à souder des tôles pour boucher
les trous entre les traverses. Cette tâche sera effectuée
la prochaine fois, nous ne sommes actuellement pas équipés
pour découper les plaques d'acier. Il ne reste qu'à prendre
les mesures, le matériel est ensuite remballé pour être
remonté aux véhicules.
Ce fut une bonne journée de labeur, il en faudra encore une pour
que cette porte soit opérationnelle.
Samedi
14 février 2004
6 personnes sont aujourd'hui réunies afin de
poursuivre les diverses activités.
Franklin et Raymond s'occupent de la porte, en soudant des plaques d'acier
de 3mm d'épaisseur préalablement découpées.
Avec la neige qui fond à l'extérieur, il y a beaucoup
de ruissellements sur les parois, ce qui perturbe le travail à
l'électrode. Ce n'est que vers 20h00, après une longue
journée, que leur ouvrage sera enfin terminé. La porte
est ainsi effective, on ne passe plus sans une clé. Le dispositif
de fermeture est ingénieux, il faut introduire la main dans une
petite ouverture pour placer la clé dans la serrure, mais cette
opération s'effectue en aveugle. De cette manière, les
personnes tentées de forcer le cylindre ne peuvent pas accéder
directement avec de gros outils. Mais il est bien clair que ce dispositif
ne fera que ralentir des personnes mal intentionnées et mieux
outillées. En revanche, ces gens-là devront assumer la
responsabilité de leurs actes si des visiteurs se risquent derrière
eux. C'est d'ailleurs dans ce sens que nous avons également posé
une plaque mettant en garde le public, sur les dangers encourus au-delà
de la porte.
Ce
jour-là, une autre équipe composée de Bernard,
Claudal, Pierre et Williams s'activait également. Dès
le début, Williams avait quelques appréhensions quant
au passage de la Souricière et de la trémie de l'Au-delà,
ce qui est assez compréhensible en raison de son gabarit de catcheur
! Finalement, tout s'est bien déroulé, sur un principe
bien connu en spéléologie :
Quand
cela passe bien dans la tête, le corps passera également
!
Nous arrivons au lac, avec l'idée de goûter, d'une certaine
manière, aux "Fruits Défendus" !
C'est
tout au moins pour vidanger le lac, et si tout se passe comme prévu,
nous allons poursuivre le parcours de la découverte. Le niveau
de l'eau est plus haut que la dernière fois, la fonte de la neige
doit en être la cause. Pour faciliter les manuvres avec
le tuyau, avec Claudal nous avons enfilé nos combinaisons étanches,
sorte de vêtement intégral qui se place sous la combinaison
traditionnelle. Cette
seconde peau est confectionnée dans un tissu imperméable,
mais la minceur de la toile ne protège pas du froid. Les pieds
sont intégrés dans un fourreau de caoutchouc, tandis que
des collerettes autoserrantes laissent dépasser les mains et
la tête. Ce genre de tenue s'utilisait à l'origine pour
les activités nautiques, mais les plongeurs et spéléologues
ont rapidement décelé des avantages pour les activités
souterraines : c'est léger et peu encombrant.
Le week-end passé, l'équipe précédente n'était
pas arrivée à amorcer le tuyau, et aujourd'hui, moins
de dix minutes ont suffi ! En effet, après avoir immergé
le flexible nous avons bouché un des orifices à l'aide
d'une petite bouteille en PET, dont la tête conique correspondait
parfaitement. Nous avons ensuite déplacé l'extrémité
d'une dizaine de mètres, puis retiré le bouchon. Abracadabra
le tour était joué ! Telle une fontaine, le spectacle
était inhabituel ; voir cette gerbe d'eau limpide sortir d'un
tuyau avec une pression importante.
En
attendant, nous décidons d'aller voir le bout du lac, histoire
de connaître le volume à vider. En fait, il mesure une
vingtaine de mètres de longueur pour une largueur variable de
2,5 à 4 mètres. Le plafond est à 15 centimètres
de l'eau sur les 5 premiers mètres, et ensuite cela s'agrandit.
La profondeur de l'eau est d'un mètre au départ, passe
à 40 centimètres vers le milieu, pour redescendre au mètre.
De ce fait, nous savons déjà qu'il sera impossible à
vider complètement, ou alors il faudra avancer le tuyau d'aspiration.
Après 2 heures, la première partie du lac est vide, mais
comme prévu, nous avons encore de l'eau jusqu'à la taille
dans la seconde partie. De plus, l'eau du tuyau s'écoule dans
une sorte de grande fosse qui n'arrive pas à absorber rapidement
le liquide, ce qui engendre un nouveau bassin dont la profondeur atteint
le mètre !!!#$£|&!???... Nous avons effectivement vidé
un lac pour en créer un nouveau
à l'identique !
Le résultat de cette opération est donc franchement nul,
au propre comme au figuré !...
Pour
l'heure, nous avons bien perdu notre temps, l'exploration pouvait maintenant
commencer. Nous avançons à quatre pattes dans une galerie
basse, mais large de 3 à 4 mètres. Comme à notre
habitude, nous levons la topographie à mesure que nous explorons.
Ce travail laborieux est indispensable pour bien comprendre la cavité,
et notamment pour avoir une idée précise du chemin parcouru
ainsi que son orientation. Outre les données de distance, pente
et azimut qu'il faut reporter pour chaque point de visée, il
faut également dimensionner la section de la galerie. Il reste
encore à dessiner le croquis en plan et coupe du parcours effectué,
avec un maximum de détails. Ceux-ci serviront pour l'habillage
au moment de la mise au net finale. Les relevés souterrains prennent
beaucoup de temps, et bien évidemment la vitesse du déplacement
est en rapport. Selon la motivation et la minutie des topographes, on
peut considérer une moyenne de cinquante mètres à
l'heure
D'autres spéléologues se vantent de multiplier cette distance
pas dix lors d'expéditions à l'autre bout de la planète,
mais quand on voit le résultat, on se rend immédiatement
compte que la qualité du dessin est inversement proportionnelle.
En appréciant le milieu souterrain à sa juste valeur,
je pense que l'on se doit d'en rapporter une image aussi proche de la
réalité, avec un maximum d'informations. Et puis c'est
bien connu, les cartes suisses sont déjà mondialement
considérées comme un exemple de précision, alors
il faut croire que c'est dans la mentalité des autochtones, mêmes
spéléos
En ce moment, avec le franchissement du lac Bernard et Williams sont
tout trempés, et leurs dents commencent à jouer des castagnettes
Avec Claudal, nous leur proposons d'avancer quelques pas, histoire qu'ils
se dégourdissent les jambes pour récupérer un peu
de cette chaleur qui leur fait défaut. En attendant, nous poursuivons
bien sagement nos relevés. Après quelques minutes, personne
ne revient. Pour nous deux, nos pensées ne font qu'une :
-
Ah les salauds ! Ils ont détalé comme des lapins alors
qu'on se farcit le sale boulot... et qui sait jusqu'où ils sont
allés ?!!!
C'est alors que nous abandonnons nos instruments pour partir à
la recherche des fauteurs de trouble ! Après avoir contourné
un nouveau bassin, nous pouvons nous redresser dans une belle galerie
encombrée de blocs. En ce 14 février, et avec de lointains
remords... nous avons quand même une petite pensée envers
nos chéries, c'est pourquoi nous nommons cet endroit la galerie
de la Saint-Valentin ! D'ailleurs, il faudrait à l'avenir qu'elles
se méfient ! En effet, la concurrence est rude, nous sommes récemment
tombés amoureux d'un autre genre de féminité :
les Fées !
Les
dimensions prennent de plus en plus d'ampleur, tandis que le concrétionnement
refait son apparition. Le sol est revêtu de sable et galets, on
se plairait presque à marcher sur une plage ! Bientôt,
après un bref rétrécissement, nous remarquons quelques
marmites au plafond. Nous arrivons dans un élargissement formant
une petite salle plus ou moins circulaire. C'est ici que nous retrouvons
enfin nos deux éclaireurs, plus de 100 mètres après
les avoir lâchés !
Après les réprimandes de circonstance, nous saisissons
que nos compagnons n'ayant pour ainsi dire jamais fait de première
de leur vie, se sont laissés enivrer par le vin savoureux et
excitant de l'exploration, sans même se rendre compte qu'ils avançaient
à pas de géant. Avec Claudal, nous pouvons bien comprendre
la situation, nous étions presque dans le même imprévu
3 semaines auparavant, lorsque nous avons exploré la galerie
du Cadeau d'Anniversaire, alors que nous aurions très bien pu
attendre quelques jours de plus, la venue des copains. En sachant que
le bonheur des uns fait le malheur des autres, cela soulève une
grande question liée à l'exploration :
Comment
faire pour contenter tout le monde ?...
Nous sommes une dizaine de personnes réparties dans 3 clubs régionaux
à avoir participé activement aux travaux de désobstruction.
Donc dans un premier temps, il semble déjà normal que
la priorité soit donnée à ces gens-là. Mais
comme tout un chacun, nous avons tous beaucoup d'occupations, ce qui
fait qu'il est difficile, voire impossible, de synchroniser tout le
monde, ou alors il faudrait décaler les dates suffisamment dans
le temps. Mais dans ce sens, quand on a pris goût à l'exploration
et que celle-ci nous accueille à bras ouvert, c'est tout aussi
impossible de résister.
Finalement, la solution tel que nous l'appliquons est toute simple.
Les gens motivés pour conduire l'exploration et la topographie
proposent des dates à leur convenance, les autres décident
d'y participer ou pas. Cela veut dire que s'ils ne viennent pas, la
raison qui en découle est plus importante à leurs yeux,
donc un choix proprement délibéré :
Le
chemin de notre destin n'est qu'une question de choix et de priorité.
Après
avoir repris nos travaux à l'endroit où nous avons stoppé
la topographie, nous rejoignons un peu plus tard le terminus de la reconnaissance.
Dans cette salle de 10 mètres par 10, il y a une galerie fossile
qui se prolonge au sud, mais le plus intéressant, c'est une sorte
de grande doline marquant le départ d'une conduite forcée
rectangulaire de 2,5 mètres de large pour 80 centimètres
de haut, où souffle la totalité du courant d'air. Le fond
de ce creux est encombré de magnifiques galets polis. Les parois
comportent de grandes cupules, de même que sur une grande protubérance
au milieu de la fosse. Tout cela laisse supposer beaucoup de turbulences
lors des crues. Il semble d'ailleurs que plus nous avançons et
plus Dame Nature devient exigeante pour livrer ses secrets.
Bernard et Williams étant frigorifiés, il est temps de
mettre un terme à notre journée, dans cet endroit que
nous baptisons la salle du Chaudron. Malgré les déconvenues
de tuyauterie au lac des Fruits Défendus
nous avons quand
même effectué 115 mètres de topographie se dirigeant
plein sud. Cela étant, notre ami Jacques nous a concocté
une petite théorie, qui dit que si nous nous dirigeons sur les
grottes touristiques de Vallorbe, il est possible que ces 2 cavités
fassent partie du même système. Il est encore trop tôt
pour se prononcer, l'avenir nous le dira. Quant au présent, le
plus important pour nous, c'est que cela continue de partout ! Le développement
du réseau passe maintenant à 1289 mètres.
Samedi
21 février 2004
Depuis que nous avons découvert le prolongement
de la grotte, nous conservons de bonnes habitudes, à savoir au
minimum une sortie hebdomadaire. Aujourd'hui, Franklin, Jacques, Michel,
Pascal, Patrick, Pierre, Raymond et Williams sont présents. Huit
personnes cela fait beaucoup de monde en même temps, mais il faut
reconnaître qu'il y a encore de nombreux endroits à explorer,
c'est très stimulant.
Peu
avant le passage de la Souricière, un boyau étroit d'une
dizaine de mètres où le ramping est de rigueur, notre
ami Raymond est inquiet. Avec les rumeurs qui circulent déjà
au sujet de ce boyau, sa motivation est bien maigre. Patrick, devant
lui, est maintenant engagé dans le goulet et se met à
grognasser... Raymond le percevra d'un mauvais il
il n'ira
pas plus loin ! Nous tentons d'apaiser les mauvais esprits, mais rien
n'y fait ; ce passage fait l'effet d'une barrière psychologique
momentanément infranchissable. Pour la personne qui le vit, cette
appréhension est rarement contrôlable, à l'instar
d'une pression qui écrase toujours plus si l'on persiste à
la surmonter. Mais cette situation n'a rien d'exceptionnel, j'ai même
souvent côtoyé des cas similaires. Cela touche toutes les
classes sociales, de l'ouvrier au cadre d'entreprise. Il faut bien reconnaître
que c'est assez paradoxal quand on pense que la spéléologie,
par définition, c'est le fait d'évoluer dans un milieu
confiné, donc pas vraiment une activité où les
personnes sujettes à ce mal qui pourrait s'apparenter à
une sorte de claustrophobie, se sentiraient attirées. Mais bon,
on dit aussi que ce qui nous fait peur nous attire, alors c'est peut-être
une des raisons.
L'origine du problème est probablement liée à une
mauvaise expérience vécue, dont on a souvenir ou pas,
et qui peut aisément remonter jusqu'à l'enfance. Mais
le plus surprenant, c'est que pour certains ce problème ne se
posera pas jusqu'au jour où le trouble se manifeste, à
la manière de rêves endormis qui feraient brusquement surface.
Cette phobie souterraine concerne généralement les passages
exigus, mais touche également les gens qui ont peur de l'eau,
du vide, voire même du noir (si si
je connais un cas !).
Nous arrivons dans la salle du Chaudron, le terme de la dernière
journée d'exploration. Alors que le groupe de topographie emmené
par Jacques, poursuit en tête, les autres suivent en retrait en
effectuant des photos. Pour commencer, nous franchissons un genre de
siphon temporaire aux parois garnies de grandes cupules parfaitement
lisses. Au point bas subsiste un petit lac, mais puisque nous sommes
bien équipés, aucun souci. Ce passage va évidemment
se noyer en cas de crue, donc un obstacle de plus à prendre en
compte sur les dangers liés à l'eau.
Derrière,
nous avons la surprise de déboucher dans un vaste conduit aux
dimensions généreuses. Avec une section rectangulaire
de 4 x 5 mètres, il sera dénommé "Le Métro",
nom habituellement attribué à ce genre de configuration.
Ce n'est effectivement pas très recherché puisqu'on retrouve
cette appellation dans presque toutes les grandes cavités, mais
il faut reconnaître que c'est souvent la première impression
qui nous vient à l'esprit en découvrant ce genre d'endroit
caractéristique.
Nous poursuivons notre route. Le sol est composé de sable et
galets, quand ce n'est pas de la roche en place. 2 petits ressauts montants
coupent la progression, laissant entrevoir au passage quelques petites
marmites d'érosion creusées à même la roche
lisse.
Bientôt, le plafond s'abaisse sérieusement. Les petits
gabarits apprécient encore, tandis que les autres un peu moins...
Selon les personnes, d'aucuns avancent penchés en avant et d'autres
de côté. Dans tous les cas, ce n'est pas vraiment idéal
pour les nuques sensibles ! Le sol est encombré de galets, étrangement
soudés les uns aux autres. Sur
ce tapis grossier, de nombreuses stalagmites assez massives se sont
érigées. Certaines n'ont pas résisté au
passage des crues, tandis que d'autres ont perdu leur aplomb ; ressemblants
à de petites "Tours de Pise". Tout ce décor
est magnifique, c'est Byzance ! Avec une largeur atteignant près
de 10 mètres pour une hauteur se limitant à 1,5 mètre,
ce conduit s'appellera désormais : Galerie des Petits Lutins.
En chemin, nous découvrons quelques ossements très usés,
déposés ici et là par les crues. D'où viennent-ils
? A quels animaux appartiennent-ils ? Dans le groupe, personne ne peut
répondre pour le moment. Nous nous proposons alors de les collecter
pour confier la détermination à des spécialistes.
En attendant, nous rêvons déjà que ce soit de l'ours
des cavernes, puisque cette espèce qui s'est éteinte voici
15' 000 ans, représente en quelque sorte le totem des spéléologues
Le plafond s'abaisse encore, c'est maintenant à quatre pattes
nous avançons sur un lit de galets. Heureusement, cela ne dure
pas, nous arrivons dans un vestibule où l'équipe de topographie
nous attend. C'est les grandes retrouvailles, et l'occasion de faire
la pause pour le repas de midi. Chacun partage alors ses impressions
sur les dernières découvertes dans ce palais somptueux.
Nous sommes dans une petite salle qui forme la base d'un effondrement.
Entre de gros blocs polis par les eaux, s'échappe une petite
galerie très ventilée, mais de bien maigres dimensions
par rapport à celles qui nous ont conduits jusqu'ici. Il semble
donc que quelque chose nous a échappé, c'est pourquoi
nous cherchons dans l'éboulement. Malgré plusieurs tentatives
pour forcer quelques passages entre les rochers, rien ne passe.
En
cherchant, Claudal découvre à nouveau des d'ossements
de chauve-souris, et une fois de plus, un des os est cerclé d'une
bague. C'est la seconde que nous trouvons, avec celle de la salle du
Miroir des Fées. Nous apprendrons par la suite que ces squelettes
appartiennent à deux femelles de l'espèce du Grand Murin
(Myotis myotis). Ces animaux ont été bagués par
le CHIROS (groupe vaudois pour létude et la protection
des chauves-souris) en septembre 1986, justement dans la Grande grotte
aux Fées. Les Grand Murins semblent donc fidèles à
leur lieu dhibernation. L'espérance de vie de ces chiroptères
est d'environ 30 ans, mais vu l'état des ossements retrouvés
aux Fées, il est probable que leur mort date d'une dizaine d'années.
Par ailleurs, il est peu envisageable que les chauves souris soient
arrivées jusqu'ici par le même chemin que nous, il doit
donc exister un accès plus direct. Toutefois, cela ne nous avance
guère en sachant que ces mammifères peuvent se faufiler
dans d'étroites fissures grâce à leur sonar. Mais
l'hypothèse d'une autre entrée est quand même possible,
l'avenir nous le dira.
Ici, nous sommes très heureux de cette nouvelle trouvaille, c'est
alors que l'un d'entre nous s'exclame qu'on pourrait appeler l'endroit
: Salle du Chirocoptère !...???
Cela provoque un éclat de rire général, les connaisseurs
auront rapidement rectifié qu'il s'agisse plutôt de chiroptères,
nom plus scientifique donné à ces volatiles noctambules,
dont la caractéristique majeure est l'adaptation au vol, ses
membres antérieurs étant transformés en ailes.
Pour nous, cette appellation erronée ayant bien fait rire l'assemblée,
nous décidons de conserver le nom.
Nous reprenons l'exploration en suivant notre fil guide principal, le
courant d'air. Celui-ci s'évade par une petite galerie étroite
parsemée de bassins. Le concrétionnement est toujours
présent, mais se raréfie à mesure que nous avançons.
Bientôt, l'ambiance des lieux devient plus pesante.
Les parois deviennent lisses, l'absence de sédiments et la présence
de cupules ne laissent rien présager de bon ! Il faut dire qu'en
surface la neige est peut-être en train de fondre, et sans connaître
le régime hydrologique de la cavité nous ne sommes pas
vraiment rassurés. Certains le sont plus que d'autres, tout n'est
qu'une question d'état d'esprit. Après un petit carrefour
que nous laissons de côté, les dimensions se réduisent
encore. Quelques petites marmites remplies d'eau égayent notre
parcours, il s'effectue maintenant à quatre pattes. Ici, une
crue ne laisserait aucune chance aux explorateurs que nous sommes. Ce
n'est pas idéal d'y penser, mais la physionomie des conduits
ne fait que nous le rappeler sans cesse. En chemin, nous trouvons d'ailleurs
un nom correspondant à la situation, ce sera la galerie du Joker.
En effet, comme dans certains jeux de cartes, notre présence
ici nous procure l'impression de jouer cette fameuse lame, à
laquelle d'aucuns souhaiteraient peut-être bien l'échanger
en ce moment contre une protection du genre immortelle ! Ce genre d'humour
décalé reflète bien l'état d'esprit actuel
: pas vraiment des meilleurs malgré la stimulation de la découverte.
Bientôt,
nous arrivons sur le premier obstacle vertical, un puits d'un peu moins
d'une dizaine de mètres. Les parois brillantes et lisses s'enfoncent
dans le noir, en dégageant ce parfum si particulier : un mélange
d'attirance et d'appréhension. Ce n'est pas vertical, nous distinguons
même suffisamment de prises dans le rocher pour une désescalade
peu exposée. Pourtant, poursuivre l'exploration n'est plus au
goût de chacun, il semble que la charge psychique exercée
par la galerie du Joker fait toujours son effet. En conséquence,
la majorité de l'équipe décide de rebrousser chemin
tandis qu'un petit groupe se reforme. Je prends le relais de la topographie
et attaque la descente du ressaut. Celui-ci accuse une hauteur de 7
mètres, et comme prévu, il ne pose aucune difficulté
aux acrobates que nous sommes. J'atterris sur un manteau de galets polis,
et devant moi un inquiétant corridor de 2 mètres de large
plonge à 45 degrés dans les profondeurs de la nuit.
Pendant que Patrick me rejoint, en scrutant les parois je fais une nouvelle
trouvaille ; décidément, au royaume des "Fées"
on ne s'ennuie pas ! Il s'agit d'une molaire de bonne taille qui est
coincée dans une petite fissure à 1,5 mètre du
sol. Il y a une vingtaine d'années, sur les flancs du Mont Tendre
le plus grand sommet du Jura vaudois (Suisse), alors que nous topographions
une petite grotte insignifiante d'une dizaine de mètres, j'avais
découvert 2 crânes d'ours brun, relativement bien conservés
; ils possédaient encore leur dentition. Après détermination
par monsieur Louis Chaix, alors conservateur du département d'Archéozoologie
du musée d'histoire naturelle de Genève, il s'avérait
que ces os n'étaient pas très vieux, à peine 150
ans. J'avais
pu les conserver, c'est pourquoi aujourd'hui je peux avancer que la
molaire que j'ai dans les mains ressemble fortement à une de
celles que je connais. Elle peut aussi appartenir à un ours des
cavernes, mais peu importe, les 2 races appartiennent plus ou moins
à la même famille. A ce sujet, de récentes découvertes
indiquent que les 2 espèces ont cohabité pendant toute
leur existence, et que le dernier ancêtre commun aux 2 espèces
vivait il y a 1,6 million d'années. Cet ours primitif est également
un ancêtre de l'ours polaire. En Suisse, le dernier ours brun
a été abattu en 1904, alors que l'ours des cavernes aurait
disparu au Pléistocène supérieur, il y a environ
15'000 ans.
Pendant que je dessine, Patrick se tient vers moi et contemple la magnifique
pente de galets qui s'enfonce dans le noir. Où nous conduit-elle
? C'est l'éternelle question, celle qui nous passionne, nous
anime et nous pousse à aller de l'avant. D'ailleurs, nous allons
bientôt en savoir un peu plus, le temps de terminer le croquis
de la zone où nous sommes. Par le ressaut que nous venons de
franchir, que nous baptisons le puits de l'Ours, il semble que nous
allons accéder à un étage inférieur. Cela
ne fait qu'augmenter l'appréhension quant aux risques liés
à l'eau, nous évoluons dès lors dans une zone pouvant s'inonder.
Soudain, au moment où personne ne désirait l'entendre,
Patrick s'exclame :
-
De l'eau, j'entends de l'eau, c'est la crue !!!...
Immédiatement,
j'imagine qu'il fait de l'humour, mais en voyant son visage angoissé,
je commence à en douter...
En fait, avec mes problèmes auditifs il m'est difficile de juger
de la situation, car je n'entends pas le bruit incriminé. Patrick
explique qu'en arrivant ici il n'y avait aucun bruit, alors que maintenant
il y a un important bruit d'eau
fait qui d'ailleurs est confirmé
par Michel, qui vient de nous rejoindre.
Il va sans dire que dans les esprits de chacun cet événement
crée l'effet d'une tornade, se traduisant par un sentiment d'affolement
où chacun veut sauver sa peau !!!
Tandis que Michel et Patrick s'empressent d'escalader le puits, quelques
retardataires de l'autre groupe, toujours au sommet de l'obstacle, repartent
aussitôt au pas de course. Je tente comme je peux de calmer la
situation, mais je dois reconnaître que je n'ai pas d'argument
pour contrer la débâcle... En jetant un coup d'il
sur la rampe d'éboulis, je ne vois pas d'eau envahir les lieux.
De toute façon, je suis encombré de tout le matériel
de topographie, j'aurai du mal à prendre la poudre d'escampette
ainsi équipé !
Rapidement,
je me retrouve seul. Il est bien clair que mon moral n'est pas des meilleurs,
loin de là !... Mais d'un autre côté, j'ai également
la conviction que nous avons été victimes d'un mouvement
de panique infondée. En effet, concernant les crues subites,
j'avais lu quelques articles sur le sujet, et notamment qu'il y a des
signes annonciateurs. Tout d'abord, une masse d'eau qui se déplace
rapidement va pousser l'air en avant, donc nous devrions détecter
un puissant souffle inhabituel. Ensuite, l'eau qui envahit les galeries
va compresser l'air emprisonné dans des cloches, et lorsque la
pression est trop forte, certaines se libèrent en provoquant
une forte détonation, à la manière de coups de
canon audibles sur de grandes distances. Ici, ni coup de canon, ni souffle
inhabituel. C'est en pensant à ce courant d'air qu'une pensée
me vient à l'esprit :
En regardant dans quel sens souffle le courant d'air, je constate que
celui-ci se dirige vers la sortie, alors que ce matin je me souviens
que c'était dans la direction opposée ?!!! Bon sang, mais
c'est bien sûr !... Je venais de trouver une explication plausible
à notre affaire, mais surtout une bonne raison de croire que
je ne risquais rien.
Les spéléologues savent tous qu'un courant d'air va se
créer entre plusieurs entrées lorsqu'il y a une différence
de température entre l'air extérieur et l'air de la grotte.
Ce flux va se diriger dans un sens ou dans l'autre si la température
extérieure est au-dessus ou au-dessous de celle du milieu souterrain.
Donc en été une entrée supérieure va aspirer,
alors qu'en hiver cette même entrée va souffler. Mais il
arrive que ces changements s'opèrent rapidement au cours d'une
même journée ; par exemple, quand le matin l'air extérieur
est plus froid que la grotte, et que par la suite il se réchauffe
avec les rayons du soleil pour devenir plus chaud que la température
de la caverne.
En conséquence, il semble que c'est ce qui s'est produit au moment
où Patrick était vers moi, l'inversion du flux d'air a
permis de transporter le bruit d'une rivière qui doit probablement
nous attendre plus en avant. Je suis quelque peu réconforté
à cette explication, mais il n'empêche que mon regard se
tourne régulièrement sur la galerie qui s'enfonce dans
la nuit, à la recherche d'une nappe d'eau montante
Je pourrai en avoir le cur net en avançant jusqu'au cours
d'eau hypothétique, mais je dois bien avouer qu'en ce moment,
seul face à mes démons intérieurs qui me sermonnent
indomptablement, je n'ai pas le cran suffisant !
Après avoir rangé tout mon matériel dans le kit,
j'entame l'escalade du puits. Au sommet, un inévitable et ultime
coup d'il en contrebas m'informe qu'il n'y a toujours pas d'eau,
et c'est tant mieux !
Pendant ce temps, au cours de leur retraite forcée, Michel et
Patrick ont eu quelques remords à mon égard, ils ont alors
stoppé leur élan dans une petite salle surplombant la
galerie du Joker, peu avant son terme. Maintenant, cela fait une dizaine
de minutes qu'ils attendent à s'inquiéter sur mon sort,
mais c'est peut-être aussi à pester contre le fichu retardataire
qui n'en fait qu'à sa tête...
En les rejoignant, je suis surpris de les revoir si vite, je m'attendais
plutôt à les retrouver à la sortie ! En reparlant
du bruit inopiné, source de tous nos soucis, je leur fais part
de ma petite théorie sur les courants d'air. Et puisque les dangers
sont à mon avis écartés, je leur propose même
d'y retourner de suite, au moins jusqu'à cette fameuse rivière
histoire de lever le doute...
Michel est presque... convaincu, en revanche
Patrick ne l'est pas du tout ! L'endroit où nous sommes ne lui
convient déjà guère, alors retourner au cur
de la tourmente, c'est un peu comme si on lui demandait de sauter d'un pont !...
Finalement, nous sommes arrivés à la conclusion que cela
ne vaut pas la peine de continuer le cur serré, alors que
la prochaine fois, avec de meilleures conditions, ce sera du 100% bonheur.
Entre-temps,
une partie de la seconde équipe est revenue au carrefour proche
du lac des Fruits Défendus, et s'est lancée dans l'exploration
d'une nouvelle galerie. Après un début assez spacieux,
les dimensions se restreignent rapidement. Un petit lac argileux est
franchit, et derrière, après le franchissement d'une fenêtre
dans les concrétions, ils accèdent dans une galerie étroite
et rectiligne, creusée au dépend d'une nouvelle faille.
Les premières dizaines de mètres ne dépassent pas
la largeur d'un homme, mais gagnent ensuite en amplitude. Le concrétionnement
est important mais sporadique, l'argile est quant à elle omniprésente,
ce qui tache... quelque peu le plaisir de la découverte. La caractéristique
particulière de ce conduit est qu'il se dirige plein nord, ce
qui permet de le baptiser : Galerie Polaire. 80 mètres de topographie
seront ainsi ajoutés, le groupe s'arrêtera au sommet d'un
petit obstacle vertical. Le courant d'air est également de la
partie, la suite de ce secteur s'annonce donc sous les meilleurs cieux.
Avec
plus de 400 mètres de lieux explorés et topographiés,
cette journée fut très chargée en émotion.
Toutefois, avec la rivière que certains ont entendue
on
peut déjà imaginer que le meilleur est à venir.
Qu'il en soit ainsi...
Samedi
28 février 2004
Dans la reculée de la Dernier, non loin de Vallorbe,
le soleil se lève sur l'entrée de la Grande grotte aux
Fées, néanmoins, la température ne dépasse
pas les -5 degrés. Le spéléo club de Cheseaux est
aujourd'hui à l'honneur, Franklin et Williams vont poursuivre
l'exploration de la galerie Polaire.
Il y a quelques jours, il y a eu un tremblement de terre pas loin de
chez nous ; l'épicentre se situait en France, plus précisément
à Baume-les-Dames dans le département du Doubs. De magnitude
5, correspondant à un séisme modéré, celui-ci
a été bien ressentit jusqu'en Suisse romande. Selon l'échelle
de Richter, cette amplitude peut causer des dommages majeurs à
des édifices mal conçus, ou de légers dommages
aux édifices bien construits. Dans le réseau des Fées,
on pouvait s'attendre à quelques mauvaises surprises dans les
zones délicates, et notamment la trémie de l'Au-delà,
voire la zone instable de la galerie du Cadeau d'Anniversaire. Toutefois,
en parcourant ces passages, Franklin et Williams n'ont pas remarqué
de changement particulier. On peut donc en déduire que ces endroits
ne se révèlent pas si inquiétants, ce qui est une
bonne chose en soi.
Au terme de leur parcours, ils arrivent à l'obstacle qui les
avait arrêtés la dernière fois, une fissure étroite
surplombant un ressaut de 4 à 5 mètres. Dans un premier
temps, une corde à nuds est mise en place, mais une fois
engagé dans la fissure au-dessus du vide, ils se rendent compte
que la sortie de celle-ci n'est pas aussi évidente qu'il n'y
paraît. En conséquence, ils déroulent une échelle
souple, qu'ils fixent sur un amarrage naturel, ce dernier assuré
d'une sangle dans un petit trou rocheux. Le fait de doubler les équipements
est une règle de base au niveau de la sécurité,
c'est d'autant plus vrai quand il s'agit d'un ancrage naturel.
La
descente de l'échelle se termine au départ d'une galerie
semi-noyée. Là, avec de l'eau jusqu'à la ceinture,
il est surprenant de se rappeler qu'au même endroit la semaine
précédente, ils distinguaient nettement qu'il n'y avait
pas d'eau. Il est probable que la fonte de la neige doit en être
la cause, mais là encore, au stade de nos connaissances sur cettecavité,
il est encore difficile de se prononcer.
La galerie mesure 1,5 mètre de large, et dans cette ruelle à
peine plus haute que la taille d'un homme, l'onde s'étend à
l'horizon. De belles concrétions pendent du plafond, dont certaines
vont jusqu'à plonger dans le liquide. Toutes ces formations se
reflètent dans le miroir de la nappe, le spectacle est grandiose.
L'eau cristalline permet de distinguer de curieuses boules de 30 à
40 centimètres de diamètre, posées à même
le sol. Ces formations sont constituées de lait de lune, une
variété d'argile très blanche qui se désagrège
au simple contact. Il est donc bien clair qu'elles ne subsisteront pas
en ces lieux, a fortiori en étant sous l'eau. En effet, le passage
des spéléologues va rapidement troubler le bassin, il
ne sera bientôt plus possible de savoir où poser les bottes.
En exploration, c'est quelquefois le tribut à payer, quand il
n'y a pas d'autres possibilités que de détériorer
la nature du terrain.
Pour
l'heure, nos deux compères ne sont pas vraiment motivés
de poursuivre avec toute cette eau, ils décident alors de rebrousser
chemin. Dans le lointain, ils perçoivent un grondement très
léger
Cascade, rivière ou simplement hallucination
due à l'ivresse des profondeurs ?
L'avenir nous rendra
réponse à cette question. Il en va de même concernant
l'absence de courant d'air aujourd'hui, contrairement à la semaine
précédente où au même endroit il était
très significatif.
Le chemin du retour s'effectuera sans difficulté, avec juste
une brève hésitation au moment de franchir le seuil de
l'entrée de la grotte : il neige à gros flocons !
Samedi
6 mars 2004
En cette nouvelle journée, il y a de l'affluence
au rendez-vous habituel autour d'un petit café. Avec Bernard,
Claudal, Florian, Franklin, Jacques, Marc, Michel et Pierre, cela fait
8 personnes.
Avec une météo très mitigée, les avis quant
à poursuivre l'exploration le sont d'autant plus... Finalement,
tandis que Jacques et Marc décident de poursuivre la prospection
en surface, Michel et Florian vont faire de la photo dans la partie
connue, pendant que le reste du groupe se rend au bas du Puits de l'Ours,
afin de poursuivre l'exploration, et notamment percer le mystère
de cette fameuse galerie qui s'enfonce dans les profondeurs de l'inconnu.
Nous
sommes maintenant au départ de l'impressionnante pente de galets
baptisée : Rampe Jeanne d'Arc, en mémoire d'une grande
dame de l'histoire de France, qui selon les rumeurs, entendait des voix
! Pour nous ce nom est bien sûr un petit clin d'oeil à
l'anecdote du 21 février dernier, où certains d'entre
nous ont également entendu le grondement d'une crue
Evidemment,
la plupart d'entre nous rêvent que le bruit en question provienne
d'une rivière lointaine qui nous attend au détour d'un
virage, peut-être même le collecteur hypothétique
qui ressurgit au nord-ouest de la reculée de la Dernier, à
seulement quelques centaines de mètres d'ici, la source des Gerlettes.
D'ailleurs, nous allons rapidement savoir ce qu'il en est, le secret
est maintenant à la portée de nos bottes
Large
de 1,5 mètre, notre galerie s'enfonce à près de
45 degrés. Le sol est composé de galets polis par les
crues, que nos bottes font rouler à mesure de la descente. Le
plafond s'abaisse brusquement, un passage bas précède
un carrefour. Ici, malheureusement pas de collecteur à l'horizon...
juste un petit ruisseau qui débouche sur le côté,
au niveau d'un bassin. Cet endroit ne s'annonce pas bien grand, mais
nous remarquons que le courant d'air s'échappe dans cette direction.
Avec la présence de ce ruisseau, nous avons la confirmation du
bruit qui a généré tant de mystère, et notamment
le mouvement de panique engendré lors de la dernière sortie.
Ce jour-là, nous nous sommes rendu compte que lorsque le sentiment
de la peur nous gagne brusquement, il se transmet instantanément
auprès de tous les participants, et provoque l'affolement général.
Nous
décidons de poursuivre la galerie devant nous, où visiblement
c'est le plus grand, environ 2 x 1,5 mètre. Un gros os est découvert,
nous le mettons de côté pour l'emporter au retour. La topographie
reprend, lente et méticuleuse, mais qui a l'avantage de nous
laisser le temps d'apprécier la grotte.
Bientôt, le sol remonte, les dimensions se réduisent, l'argile
commence sérieusement à se faire sentir... Ce n'est pas
bon pour notre moral, mais heureusement, nous avons la surprise de déboucher
dans une galerie transversale de plus amples dimensions. Sur notre droite,
ce qui semble être l'aval puisque le conduit redescend, les proportions
se réduisent à nouveau. Nous préférons nous
engager à l'amont, où la section est plus sympathique,
3 x 2 mètres en moyenne. Dans cette galerie tortueuse, nous progressons
de 120 mètres au nord-est, en levant la topographie. Le
sol est composé de sable et de galets, ainsi qu'un remplissage
argileux s'élevant sur les côtés. Avec la présence
de traces d'argile liquide jusqu'au niveau du plafond, nous savons pertinemment
que tout ce secteur se noie, ce qui occasionne quelques réticences
dans le groupe quant au fait de nous arrêter pour le pique-nique
de midi !!!...
Sur les parois, nous remarquons aussi la présence de nombreux
fossiles, d'où le nom donné à cette galerie, cela
dit pour les esprits tordus qui feraient plutôt le rapport avec
les explorateurs
plus vraiment dans la fleur de l'âge !
Bientôt, c'est dans un virage à angle droit, avec en prime
un joli petit bassin, que nous décidons de stopper notre avance
dans ce secteur. Devant nous la galerie continue, fascinante et énigmatique,
fuyant au-delà de la portée de nos éclairages.
Revenus
au bas de la Rampe Jeanne d'Arc, nous nous engageons du côté
du ruisseau, dont le débit est évalué à
un demi-litre à la seconde. Après un passage bas au niveau
d'un bassin, nous avons l'agréable surprise de déboucher
au départ d'un méandre de belle facture. Nous pensions
en rester là, mais comme toujours, attirés par l'exaltation
de l'exploration, nous décidons de poursuivre encore un petit
peu. Avec une largeur moyenne de 80 centimètres et une hauteur
de 3 à 4 mètres, nous remontons un méandre plein
sud, en suivant le cours d'eau. Le courant d'air froid balayant les
lieux nous donne l'idée du nom de rivière Blizzard. Après
70 mètres de topographie, nous nous arrêtons dans le premier
coude qui s'offre à nous, dont l'altitude est identique par rapport
à l'entrée de la grotte. Au-delà, le méandre
continue, avec des proportions similaires à celles qui nous ont
conduits jusqu'ici.
Cette excellente journée d'exploration se solde par 223 mètres
de découvertes et relevés topographiques, faisant passer
le développement du réseau à 1957 mètres.
Samedi
13 mars 2004
Aujourd'hui, 4 personnes ont répondu à
l'appel, à savoir Jacques, Patrick, Pierre et Williams.
Au vu d'une météo à nouveau critique pour une incursion
dans le réseau, Jacques décide de poursuivre la prospection
en surface, tandis que nous choisissons quand même de nous rendre
sous terre. Toutefois, nous n'irons pas dans la zone terminale, plutôt
le secteur intermédiaire où quelques boyaux annexes ont
volontairement été mis en attente pour ce cas de fortune.
Nous commençons par un méandre qui se détache peu
avant le lac des Fruits Défendus. Les choses se présentent
bien : dimensions moyennes de 0.4 x 1.6 mètre, parois propres,
courant d'air bien sensible. Hélas, 10 mètres plus loin,
nous recoupons la galerie principale
#&¦%$£!???
Après
avoir enfilé nos combis étanches pour le franchissement
du lac, nous poursuivons jusqu'à la Salle du Chaudron, afin de
continuer une petite galerie basse qui file au sud. Encombré
de quelques blocs, ce gros laminoir est argileux, mais quelques concrétions
et mini gours d'argile agrémentent toutefois la progression.
Les dimensions sont de 5 x 1 mètre en moyenne, avec un passage
record à 8,5 mètres de large, mais la hauteur est d'à
peine 60 centimètres. Après 80 mètres dans cette
galerie Douze Pattes (bien normal avec 3 gaillards à quatre pattes
),
nous débouchons dans une petite salle bien concrétionnée.
Depuis un moment, avec la présence généreuse de
la boue, nos combinaisons n'arboraient plus leur teinte originale...
Eh bien mes amis, ce n'était qu'un avant-goût, car la suite
qui se présente s'annonce bien pire ! En effet, Patrick a découvert
un passage en hauteur, ce qui nous oblige à effectuer une remontée
dont les flancs sont recouverts de "lait de lune", une variété
d'argile très blanche, mais horriblement collante et salissante...
Bientôt, nous rejoignons une salle supérieure joliment
décorée de stalagmites et stalactites, mais surtout, le
plus important actuellement à nos yeux... propre !
Au
point bas de la salle, debout sur de gros blocs effondrés, nous
pensons en avoir terminé avec l'exploration et les relevés,
il semble que l'endroit soit hermétique. Ce n'était sans
compter la ténacité de Patrick, qui trouve alors un passage
supérieur conduisant dans une troisième chambre, bouclant
cette fois le secteur. Il y a néanmoins une lucarne qui nous
nargue encore dans les hauteurs, mais vu l'état de notre moral,
inversement proportionnel à la couche de boue qui nous recouvre,
nous nous proposons de reporter l'exercice à une prochaine occasion...
Malgré que nous savons pertinemment que la boue cache le spéléologue,
mais ne le tache pas... s'en est trop en si peu de temps ; bien que
ces petites salles possèdent quelques recoins magnifiques, avec
un concrétionnement fin et abondant.
En
cette belle sortie argileuse, nous avons tout de même ajouté
165 mètres au développement, qui passe maintenant à
2122m.
Samedi
20 mars 2004
Aujourd'hui, nous sommes seulement trois au rendez-vous,
à savoir Bernard, Franklin et Pierre.
Avec la neige encore présente sur les monts du Jura, une semaine
de beau temps, des températures en hausse et une météo
stable à 90%, c'est donc une excellente raison d'aller voir de
plus près les différents passages critiques de notre cher
réseau des Fées.
Pourtant,
proche de l'entrée, cela ne commence pas très bien ! En
effet, au niveau de la petite cuvette juste avant la Souricière,
50 centimètres d'eau nous obligent à effectuer une gymnastique
pour ne pas nous mouiller.
Plus loin, nous enfilons nos combinaisons étanches dans la Salle
des Intestins, le vestiaire de service. Et c'est le bon choix, le passage
du lac des Fruits Défendus est aujourd'hui au top niveau... Bernard
et Franklin se rendent compte que son franchissement n'est pas si dramatique
avec un casque à la main et quelque 20 centimètres d'air
!!!
Dans
la salle du Chaudron, le passage bas est également occupé
par un joli bassin, laissant cette fois un peu plus de marge, 30 à
40 centimètres.
A partir de la salle du Chirocoptère, nous empruntons la galerie
du Joker avec une magnifique ruelle semi noyée sur près
de 50 mètres, avec par endroits de l'eau jusqu'aux aisselles.
Cette quantité d'eau impressionne, mais nous sommes toujours
confiants pour la suite du parcours. Par ailleurs, le courant d'air
étant toujours présent, bien qu'il soit plus faible qu'à
l'accoutumée, cela laisse supposer qu'aucun obstacle ne va nous
barrer le chemin.
Nous arrivons bientôt au bas de la Rampe Jeanne d'Arc. Là,
une surprise nous attend : un beau siphon tout joli tout propre ! Cet
obstacle me surprend, car peu avant je sentais encore le courant d'air.
En revenant sur mes pas, je trouve la réponse à l'énigme,
en la présence d'un petit boyau démarrant au plafond.
Au début de la rivière Blizzard, nous avions déjà
remarqué un petit départ qui s'échappait dans notre
direction, il semble donc que nous avons à faire à un
petit shunt où passe la totalité du courant d'air, quand
le siphon est amorcé. Malheureusement pour nous, celui-ci n'est
pas pénétrable sur au moins 1,5 mètre. Il serait
d'ailleurs judicieux de l'agrandir un jour, pour ainsi disposer d'une
issue de secours pour le cas où... Car effectivement on n'est
jamais trop prudent, il vaut mieux perdre quelques heures à sécuriser
un passage plutôt que devoir patienter quelques jours, coincé
derrière un siphon !
Pour
l'heure, nous décidons d'explorer la galerie Serpentine, un conduit
qui se détache au milieu de la galerie du Joker, en face d'une
cheminée qui s'élève sur plus vingtaine de mètres.
Une fois engagé, un nouveau tronçon à quatre pattes
nous attend ; d'ailleurs, avec cette grotte, on commence à en
avoir l'habitude ! Nous
débouchons ensuite sur un petit ressaut de 3 mètres où
l'on rejoint un nouvel écoulement, dont le débit correspond
à un litre à la minute. L'aval se perd immédiatement,
tandis que nous pouvons remonter le ruisseau en suivant un méandre
de 0,4 x 2,5 mètres en moyenne. Ce dernier est assez argileux,
mais possède un concrétionnement intéressant dans
la partie supérieure. Un nouveau petit bout d'os est découvert,
cette fois il est pris dans la roche à un mètre du sol.
Décidément, la théorie d'un ou plusieurs animaux
tombés dans le réseau se confirme, les ossements ont par
la suite été éparpillés par les crues.
Nous venons de parcourir une trentaine de mètres
dans le méandre, puis nous pouvons remonter dans une petite salle
baptisée salle de l'Oursin, avec en paroi la présence
d'un fossile assez étrange et ressemblant. Cet élargissement
marque un terme à cette partie, l'eau provient de 2 petits boyaux
impénétrables. En revenant sur nos pas, nous tentons de
faire quelques photos, mais le manque de ventilation dans cette zone
saturée d'humidité ne nous a pas permis de rapporter de
jolis souvenirs.
Le
retour à la lumière s'effectue sans problème, sauf
peut-être pour Franklin qui a voulu goûter aux Fruits Défendus...
il a bien sûr ingurgité une bonne tasse dans le lac ! Plus
sérieusement, pour franchir rapidement le passage il a voulu
garder le casque avec la tête droite, mal lui en a pris...
Même
avec beaucoup d'eau, cette journée nous a permis de constater
que la grotte est franchissable sans trop de difficultés. Mais
sans se rendre sur place, il sera difficile de prévoir la présence
d'un siphon aux endroits critiques, notamment le point bas de la Salle
du Chaudron ainsi que la Rampe Jeanne d'Arc. Aujourd'hui, avec 71 mètres
de topographie le développement passe à 2193 mètres,
c'est toujours ça de gagné... gentiment mais sûrement
!
Samedi
27 mars 2004
Il fait beau et froid, la météo est enfin
de notre côté. Mais cela n'explique pas l'affluence record
aujourd'hui, juste Claudal et votre serviteur...
Un
peu partout, le niveau des lacs a retrouvé son état normal,
de même que le siphon n'existe plus au bas de la Rampe Jeanne
d'Arc. Le débit de la rivière Blizzard est cependant plus
conséquent, environ 1 litre à la seconde. Nous constatons
alors que le dernier bassin servant de perte n'absorbe plus, et l'eau
poursuit son chemin pour se perdre peu après dans une seconde
brèche, au milieu de la galerie du Pont de Glaise, le passage
de transition avec la galerie des Fossiles.
Lors de la découverte de la rivière Blizzard, nous supposions
que l'eau se perdait en direction de l'éboulis de la Rampe Jeanne
d'Arc, nous savons maintenant qu'il n'en est rien. Il semble que lorsque
le débit est faible l'eau circule sous l'éboulis au niveau
de base de la galerie du Pont de Glaise, et si le débit augmente
le surplus circule à la surface des sédiments. D'ailleurs,
au moment où nous explorerons l'aval de la Galerie des Fossiles,
il y a de fortes chances de retrouver le ruisseau, nos plans indiquent
que la seconde perte se trouve parfaitement dans l'axe.
Pour
l'heure, nous ne sommes pas trop rassurés dans ce secteur. En
effet, après avoir étudié la zone où l'eau
se fraye un chemin dans la galerie du Pont de Glaise, nous comprenons
que si le bas de la Rampe Jeanne d'Arc siphonne comme c'était
le cas le week-end précédent, ce n'est pas un petit siphon
qui va se créer, mais un couloir submergé d'une vingtaine
de mètres !!!
Etant donné que dehors il fait soleil, cela nous donne matière
à réfléchir... En effet, en sachant que si les
températures remontent, le débit de la rivière
va aussi augmenter ? Et si c'est le cas, quelle quantité d'eau
la seconde perte peut-elle absorber avant que le siphon ne s'amorce
? Toutes ces questions sont actuellement sans réponse, et ne
font qu'amplifier le désir de ne pas nous attarder dans cette
partie. De plus, nous constatons que sur une pente de glaise les traces
de notre précédent passage ont été effacées,
preuve que l'eau a passée tout récemment...
Somme toute, nous restons assez confiants, la température étant
sous le zéro avant d'entrer dans la grotte. En conséquence,
nous décidons de nous autoriser une brève incartade du
côté du terminus de la galerie des Fossiles !
En chemin, nous arrivons au passage d'un ancien siphon ; la galerie
descend brusquement sur quelques mètres pour remonter de plus
belle au niveau initial. Le
problème, c'est que la dernière fois il n'y avait pas
une goutte d'eau, et aujourd'hui un beau lac occupe la zone, ne laissant
que quelques centimètres d'air pour continuer. Cette fois s'en
est trop d'essayer de calmer nos esprits, notre escapade est terminée...
Nous faisons quelques photos des fossiles ornant cette galerie, et revenons
au carrefour vers la Rampe Jeanne d'Arc. Là, nous décidons
de poursuivre l'exploration de la rivière, nous pouvons au moins
en contrôler le débit et revenir au plus vite à
la moindre variation. En ces lieux, la topographie ne nous réjouit
pas vraiment, le courant d'air est aujourd'hui monstrueux
A partir de notre dernier terminus, nous progressons
de 70 mètres, toujours au sud. Au fur et à mesure que
nous avançons, le méandre devient de plus en plus restreint.
Bientôt, Claudal se met à maugréer, victime de fortes
crampes au niveau des jambes. Il
faut préciser que le rythme de la topographie n'apporte pas vraiment
de quoi se réchauffer, de surcroît dans un conduit balayé
par un courant d'air glacial, et qui plus est, à plat ventre
dans l'eau depuis une vingtaine de mètres, dans un étroit
chenal où l'espace est à peine suffisant pour avancer...
Malheureusement, il n'a pas vraiment d'autre choix, juste prendre son
mal en patience
un moment laborieux à passer
bientôt
plus que des quelques mauvais souvenirs qu'il aura vite oublié
!!!...
En tête, je suis maintenant arrêté devant un bloc
siégeant étrangement en travers du méandre. Il
forme un rétrécissement sévère avec une
paroi calcifiée, et malgré 10 minutes de contorsions,
cela ne passe toujours pas. Il faudra revenir avec du matériel
adapté, ce qui, actuellement, vient au secours de notre martyr
de service...
Retour
sans histoire, et surtout, pour certain, le plaisir de retrouver le
confort chaleureux de la progression ! Avec tout de même 9 heures
passées au royaume des Fées, 75 petits mètres viennent
seulement s'ajouter à nos découvertes, mais un pas de
géant dans la topographie d'un secteur malaisé !
Samedi
3 avril 2004
Cinq personnes sont présentes aujourd'hui : Franklin,
son fils, Franck, Michel et Pierre.
Le soleil est rayonnant, les prévisions météo annoncent
même des températures jusqu'à 14 degrés.
Nous sommes donc très sceptiques quant à l'objectif de
la journée, alors tout comme les sorties précédentes,
nous allons improviser en fonction de ce que nous allons rencontrer...
Après avoir quelque peu traînassé au café...
il est déjà 11 heures lorsque nous pénétrons
dans la grotte.
Dans
la galerie du Joker, nous décidons d'aller voir de plus près
une étroiture vers le shunt des 2 Mythos. En 2 temps et 3 mouvements,
ce passage est franchi. Derrière, nous pouvons réaliser
une petite boucle d'une quinzaine de mètres pour jonctionner
avec un second petit départ déjà repéré
lors de la topographie. Un nouvel élément de notre puzzle
osseux est également découvert, cette fois c'est un morceau
de vertèbre. Si cela continue, nous allons bientôt pouvoir
reconstituer tout l'animal...
Ce qui est étonnant, c'est que cet os se trouvait une dizaine
de mètres au-dessus du niveau de la galerie du Joker, où
l'eau des crues est sensée passer. Cela doit donc dater de fort
longtemps, probablement plusieurs millénaires.
Au
bas de la rampe Jeanne d'Arc, la rivière Blizzard recoupe notre
chemin avec un débit évalué à 3 litres à
la seconde. C'est encore plus conséquent que samedi passé.
A vingt mètres de là, la seconde perte joue toujours son
rôle, mais pour combien de temps ?...
Devant nous, nous remarquons que le toboggan de glaise montre toujours
nos traces datant d'une semaine, l'eau n'a donc pas franchi ce cap,
ce qui nous rassure quelque peu.
Après avoir fait le point sur la situation, nous décidons
de poursuivre l'exploration de la galerie des Fossiles, en partant du
principe qu'une personne reviendra toutes les quinze minutes afin de
vérifier le niveau de l'eau. Il faut savoir que notre terminus
actuel n'est pas bien loin, à peine quelques minutes d'ici.
Nous
empruntons alors la galerie des Fossiles, quand soudain un grondement
d'eau inquiétant nous paralyse brusquement. L'un d'entre nous
s'exclame " LA CRUE !!! ", ce qui n'aide pas vraiment à
arranger nos affaires...
Après brève réflexion, l'idée de la crue
ne nous paraît pas vraiment crédible, le bruit de rivière
étant trop régulier. Sans trop réfléchir,
comme aimantés par ce bruit qui nous interpelle, nous continuons
prudemment...
Incroyable... nous rejoignons une rivière de plusieurs litres
à la seconde provenant de l'amont de la galerie des Fossiles.
Près de nous, l'eau s'engouffre le long de la paroi, dans une
petite perte en rive gauche. En remontant la rivière, notre progression
s'arrête rapidement sur un siphon, l'endroit précis où
nous relevions la présence d'un lac lors de la sortie précédente.
De
retour au départ de la galerie des Fossiles, nous faisons à
nouveau le point à l'occasion de la pause pique-nique. Avec ces
conditions pour le moins humides... il ne reste plus grand-chose à
faire aujourd'hui, si ce n'est de poursuivre l'aval de la galerie des
Fossiles, à quelques pas d'ici. L'étroitesse et la présence
de boue ne nous motivent guère, mais de toute façon il
faudra bien faire ce travail un jour ou l'autre, alors autant le faire
maintenant. Ce fut un choix très judicieux... mais n'anticipons
pas !
Franklin,
Michel et Pierre démarrent la topographie ; les 2 plus jeunes
restant en retrait au carrefour de départ afin de surveiller
le niveau de l'eau. Car nous sommes tous conscients que si la rivière
Blizzard et la rivière des Fossiles grossissent, c'est inévitablement
sur nous qu'elles vont s'abattre...
Après quelques mètres de reptation dans un environnement
argileux, les choses s'arrangent agréablement. La galerie fait
maintenant 2 x 1 mètre et devient plus propre. Bientôt,
comme nous le supposions, la rivière Blizzard débouche
en rive droite. Pour ma part, cette nouvelle me réjouit, je vais
pouvoir dessiner plus proprement ! Et ce n'est pas l'eau qui nous manque,
car bientôt une seconde rivière débouche en rive
gauche, qui n'est autre que celle que nous avons rencontrée précédemment
dans galerie des Fossiles.
La
suite de la galerie conserve ses dimensions, mais l'ambiance devient
assez particulière... à quatre pattes ou à plat
ventre dans une rivière de près de 10 litres à
la seconde ! Pour la topographie je suis aux anges, mes feuilles n'ont
jamais été aussi propres !... Il faut préciser
que nous employons des feuilles Syntosil, un papier synthétique
insensible à l'eau.
Après un passage supérieur, étroit et désagréable,
le conduit prend même de plus amples proportions. Une troisième
rivière débouche en rive droite, un peu moins d'un litre
à la seconde. Elle provient peut-être de la galerie Serpentine,
mais seule une coloration nous le confirmera.
Nous
arrivons dans une ruelle à demi inondée de 0,8 x 1,5 mètre.
Après une dizaine de mètres, le plafond s'abaisse, bientôt
un petit carrefour se présente. A droite, la rivière se
perd dans l'amorce d'une petite galerie, défendue rapidement
pas un siphon. A gauche, une voûte rasante où il ne subsiste
que 20 centimètres d'air, nous invite à poursuivre. Heureusement,
le passage est court et nous pouvons enfin nous sortir de cette zone
aquatique. Nous avons alors la joie de déboucher dans une sorte
de vestibule encombré de gros galets. Ici, une quatrième
rivière arrive depuis le haut et nous projette ses embruns de
tous côtés. C'est vraiment "la totale", avec
Franklin nous sommes très excités par ces dernières
trouvailles et ne manquons d'ailleurs pas de le manifester à
qui veut l'entendre... Michel est franchement moins démonstratif,
il faut dire que cela fait un moment qu'il rouspète pour que
l'on fasse demi-tour...
Nous
sommes à la base d'une cascade de 2 mètres. Au-delà,
la rivière nous conduit immédiatement devant un siphon,
qui met un terme à nos émotions !
Revenus au pied de la cascade, nous découvrons encore des petits
ossements ressemblant à des phalanges, ainsi qu'une molaire identique
à celle trouvée au puits de l'Ours. Bien trempés
mais heureux, cette fois c'est terminé pour aujourd'hui, nous
pouvons entamer le chemin du retour, au grand bonheur de certain...
Dans
la galerie du Joker, nous nous arrêtons au niveau de la cheminée.
Cela fait quelque temps qu'elle nous interpelle, elle s'élève
au-delà de la portée de nos lampes, plus d'une vingtaine
de mètres. Serait-ce un accès à un étage
supérieur ? Ou alors nous conduirait-elle vers une nouvelle entrée
dissimulée quelque part en forêt ? Toutes les hypothèses
sont envisageables. Après m'être élevé de
quelques mètres, je me rends compte qu'il n'est plus possible
de poursuivre sans assurage adéquat. Donc, il y a matière
à s'occuper le jour où la météo sera mauvaise,
ce qui ne va sûrement pas tarder de se produire !
Après
8 heures de pérégrinations souterraines, le réseau
possède maintenant 4 rivières, et avec nos 93 mètres
de topographie le développement passe à 2361 mètres.
Samedi
10 avril 2004
Le printemps nous amène gentiment sa chaleur
bienfaitrice, la neige n'est bientôt plus qu'un souvenir. Pourtant,
nous ne sommes que trois aujourd'hui : Florian, Michel et Pierre.
Dans la galerie des Fossiles la rivière ne coule plus, mais le
siphon est toujours amorcé. Nous décidons de creuser un
petit canal dans les sédiments très mobiles afin de baisser
le niveau. Deux heures plus tard, malgré avoir gagné 20
centimètres cela ne suffit toujours pas.
Nous
nous rabattons alors sur l'aval, baptisé galerie Amphibie, avec
les nombreuses rivières qui la sillonne. Malgré l'absence
d'eau dans la galerie des Fossiles, l'affluent provenant de cet endroit
est pourtant bien actif dans la galerie Amphibie, ce qui laisse supposer
que le ruisseau circule sous les sédiments.
Au
point bas du secteur, nous arrivons au carrefour terminal. Ce qui nous
intéresse aujourd'hui, c'est une petite galerie qui s'échappe
sur le côté, elle absorbe toute l'eau de la rivière.
Cet endroit n'a jamais été forcé, il faut dire
que les dimensions du conduit n'engagent pas vraiment à poursuivre.
En effet, après 3 mètres un rétrécissement
de 30 par 60 centimètres ne laisse que 5 centimètres d'air
au plafond ! Après quelques hésitations, je m'élance
dans l'étroit chenal...
Les
pieds en avant, le visage collé sous la voûte, j'avance
très lentement ; le courant crée passablement de remous,
je ne veux pas encore en rajouter. Je tiens devant moi le casque que
j'ai pris soin d'enlever, et j'éclaire contre moi afin de scruter
les détails du plafond, car je n'ai pas envie de m'esquinter
le visage sur cette râpe naturelle...
J'arrive au point critique où il ne subsiste que quelques centimètres
pour respirer. Là, je me rends compte qu'au même endroit
mon corps est également immobilisé dans un rétrécissement
en largeur. Cela coince sérieusement, j'hésite à
nouveau à poursuivre. En gesticulant, j'arrive à changer
mon angle de vision, cette fois je distingue que le plafond se relève
peu après. Je prends alors une bonne bouffée d'air, je
me fais au plus mince, et m'aidant comme je peux aux parois je donne
un coup de reins pour me laisser filer dans le courant.
Voilà
c'est fait
je suis passé ! Je me retrouve dans un petit
élargissement à peine plus grand qu'avant, mais au moins
j'ai presque la moitié du corps hors de l'eau. Au-delà,
la rivière dévale un petit conduit ovoïde de 50 x
40 centimètres. Il se poursuit à perte de lumière
et conserve ses faibles dimensions. Ma curiosité est maintenant
satisfaite, ce n'est pas encore aujourd'hui que je déambulerais
dans de nouvelles et grandes galeries
Il faudra revenir dans de
meilleures conditions, notamment à l'étiage.
Pour
le retour, j'appréhende tout de même l'étranglement
fatidique. Et c'est d'autant plus vrai, je me rends maintenant compte
que les conditions ont changé, pour la simple et bonne raison
que je vais évoluer à contre-courant ! C'est le genre
de petit détail auquel on ne prend pas garde, mais qui ici apporte
une nouvelle tournure à une situation déjà précaire...
En effet, dans l'étroiture le corps fait barrage, et bien sûr
au niveau du visage face au courant, l'espace déjà minimum
s'est encore amoindri.
Alors que faire ? Je ne peux quand même pas passer dans la même
position qu'à aller, c'est-à-dire à reculons sans
savoir où je vais et comment mon visage va frôler la voûte
?!
Donc à défaut d'autre choix, je vais me lancer face au
courant en adoptant la technique employée à l'aller, c'est-à-dire
le petit " coup de forcing " pour m'extirper de l'étroiture.
Malheureusement,
une fois en place dans le rétrécissement, le petit coup
de reins n'a pas suffi à me débloquer et mon corps est
toujours coincé. La tête sous l'eau, je reconnais que ce
fut l'instant de panique
il est des moments où l'on a plus
le temps de réfléchir.
D'un
second coup de reins, ma tête est venue chercher l'air du plafond,
et en m'agrippant de toutes mes forces j'ai brutalement réussi
à m'extirper de ce satané goulet !
Le nez tout griffé, toussant comme un perdu après la bonne
tasse que je venais d'ingurgiter
j'étais quitte pour une
belle frayeur. Pour Florian à mes côtés, qui a assisté
à mes déboires sans pouvoir m'aider, on peut s'imaginer
qu'il a eu également sa part d'inquiétude
Quelqu'un disait un jour que celui qui ne risque rien devient esclave,
on peut bien sûr polémiquer longuement sur le sujet. Je
pense finalement que tant que chacun a le libre choix d'entreprendre
une action, personne ne peut porter un jugement du moment que le geste
n'engage que la personne concernée. Nous avons tous des raisons
qui nous poussent à entreprendre certaines choses, libre à
chacun.
Actuellement,
avec les problèmes d'eau il ne reste plus grand-chose à
se mettre sous la dent... Nous décidons alors de nous déplacer
du côté de la galerie Polaire. Là, nous modifions
l'équipement du ressaut de 4 mètres, puis une fois en
bas, l'exploration peut continuer. Malheureusement, à cet endroit
nous avons déjà de l'eau jusqu'à la taille, ce
qui n'est pas bon pour nous !.
Après une quinzaine de mètres la profondeur a encore augmenté,
un rideau de stalactites nous arrête. A dix centimètres
au-dessus du liquide, cette herse défend avec intérêt
la suite de la grotte. Simple formalité pour les spéléologues
que nous sommes, une brève immersion a vite raison de la barricade.
Au-delà,
pas vraiment de quoi pavoiser, à peine de la place pour garder
la tête hors de l'eau. Encore quelques mètres et cette
fois c'est la fin, l'obstacle glacial et imperturbable, hantise de tous
les spéléos : le bien nommé siphon. Ici, nous devinons
que la galerie se poursuit sous la nappe, c'est endroit est donc à
revoir en période sèche.
Beaucoup
de plaisir et d'émotion pendant ces 8 dernières heures,
mais de maigres découvertes puisque seulement 19 mètres
de topographie viennent s'ajouter au développement. Toutefois,
cette sortie nous a permis de mieux comprendre l'hydrologie du réseau,
et aussi de quoi occuper nos paléontologues avec les ossements
que nous avons récupéré. Pour la suite des travaux,
les objectifs deviennent assez maigres tant que la fonte des neiges
ne sera pas terminée.
Samedi
17 avril 2004
Au vu de la faible participation, Dumeng et Pierre décident
de tenter l'escalade artificielle de la grande cheminée de la
galerie du Joker. Celle-ci avait été remontée en
libre sur 4 à 5 mètres, mais au-delà elle se poursuivait
majestueusement, avec des parois bien trop verticales pour continuer
sans matériel spécifique. D'après les relevés
topographiques, il semble que cette zone est très proche de la
surface, il serait donc intéressant de trouver une communication,
aussi infime soit-elle. De plus, un petit ruisselet presque permanent
provient des hauteurs, ce qui apporte un intérêt supplémentaire.
A
deux, nous sommes lourdement chargés. Hormis le matériel
personnel pour évoluer sur les cordes, nous emportons également
toute une quincaillerie propre au programme de la journée, à
savoir cordes, sangles, amarrages, dégaines et mousquetons, ainsi
qu'une perceuse à accus pour placer les diverses fixations dans
la roche, qui vont nous permettre de nous élever petit à
petit.
La remontée en elle-même s'effectue à l'aide d'une
barre "Raumer". Cet outil, en vente dans les commerces spécialisés,
a été conçu spécifiquement pour l'escalade
souterraine. Il s'agit grossièrement d'une barre d'aluminium
de 60 centimètres de longueur, avec de multiples trous de gros
diamètre permettant d'y introduire des mousquetons. Après
avoir placé un ancrage dans la roche, cette barre nous permet
de nous décaler à la verticale de ce point d'appui, afin
de placer une nouvelle fixation un peu plus haut. Cette méthode,
aussi simple qu'efficace, assure la remontée de parois verticales
voire déversantes, en mettant des amarrages tous les 80 centimètres.
Toutefois, bien que simple d'utilisation, l'efficacité de la
technique requiert une certaine maîtrise, notamment pour percer
les trous à bouts de bras, afin de placer l'ancrage le plus haut
possible. De l'aisance dans les manuvres de cordes pour passer
d'un amarrage à l'autre est également recommandée,
surtout avec le vide à nos côtés, qui se fait toujours
plus grandissant.
Connaissant
bien ces techniques, qui m'ont déjà permis de vaincre
d'autres cheminées, dont certaines de plus de cent mètres,
je m'élance dans l'ascension. Dumeng, quant à lui, s'occupe
de l'assurage. Ce travail, bien que fastidieux, est tout aussi important
dans la réussite du projet. Il demande une attention quasi permanente
; d'une part pour être en mesure de laisser un minimum de mou
sur la corde pour que le grimpeur puisse s'élever sans retenue,
mais également afin de pouvoir réagir très rapidement
en cas de chute. Plus le réflexe sera rapide et moins la chute
sera grande, ce qui sous-entend quelques facteurs que l'on met du bon
côté de la balance des risques, occasionnés par
ce genre d'exercice...
Après
une quinzaine de mètres, j'atteins un petit palier intermédiaire.
Au-dessus, la section générale diminue légèrement,
mais la cheminée continue toujours avec des parois lisses et
verticales. Ce palier comporte également un regard sur un autre
puits surmonté d'une cheminée, un peu plus étroite
que celle que nous remontons, mais creusée au dépend de
la même faille. Je m'empresse de descendre le puits qui se présente
pour m'assurer qu'il n'y a pas d'autres possibilités, ce qui
m'est confirmé quelques instants plus tard.
Nous décidons alors de poursuivre l'escalade de la cheminée
principale. Notre corde d'assurance arrivant à ses limites de
longueur, Dumeng me rejoint sur le palier pour m'assurer dans la suite
de l'ascension. Le travail de haute voltige reprend, toujours plus haut,
toujours plus beau...
Après
6 heures de progression artificielle, j'arrive à proximité
du sommet de cette cheminée accusant une hauteur de 28 mètres.
Là, un palier déversant et encombré de cailloux
m'invite à redoubler de prudence. Le plafond se referme peu au-dessus,
mais au même niveau sur le côté, un étroit
méandre se détache. D'ici il m'est difficile de dire s'il
est pénétrable, c'est pourquoi, toujours assuré
depuis le palier intermédiaire, je décide de m'en approcher.
Après un déplacement latéral sur un semblant de
vire, je suis maintenant à l'aplomb du méandre, mais encore
2 mètres en dessous. La barre Raumer reprend alors du service,
et rapidement j'arrive au départ de l'objet convoité.
Malheureusement, malgré le ruisselet qui en sort ainsi qu'un
faible courant d'air, le méandre est absolument impénétrable.
C'est dommage, nous ne devons pas être très loin de la
surface, et un accès par ici aurait été bien agréable
pour la suite des explorations.
Nous
laissons une corde en place afin de revenir pour la topographie, et
à peine moins chargés que le matin, nous ressortons après
plus de 9 heures au pays des Fées.
Samedi
24 avril 2004
Aujourd'hui, Claudal et Pierre se dirigent du côté
de la galerie des Fossiles afin de continuer l'exploration de ce secteur.
Le choix est judicieux, en chemin le siphon temporaire proche du terminus
de l'exploration, est parfaitement vide. Ce lieu porte désormais
le nom de Siphon M16, en rapprochement d'un magnifique fossile en forme
de boulon, ornant le plafond du passage.
Ici, pour commencer nous plaçons une corde dans le passage. Tout
comme le point bas de la salle du Chaudron, nous savons que l'endroit
siphonne, donc une corde pourrait nous être utile pour le cas
d'une retraite forcée, sait-on jamais...
Après quoi, nous nous rendons au terminus, l'exploration peut
maintenant commencer. Large de 2 à 3 mètres pour 2 mètres
de haut, la galerie très sinueuse poursuit tranquillement son
cours. Le sol comporte toujours des sédiments assez mobiles,
un mélange de gravier, d'eau et d'argile. Le plafond et les parois
n'ont également pas changé, toujours des petits dépôts
argileux, indiquant que la zone se noie entièrement.
Après
61 mètres de progression en levant simultanément la topographie,
nous arrivons dans un élargissement circulaire où siège
un grand bassin. Malheureusement, celui-ci marque le départ d'un
siphon. Toutefois, une petite lucane au-dessus de l'eau nous invite
à poursuivre, mais le boyau retombe rapidement sur un plan d'eau,
simple regard avancé sur le conduit inférieur noyé.
Il semble donc que c'est ici la fin de l'exploration des spéléologues,
et peut-être le début de celle des futurs plongeurs. Mais
pour être certain que ce n'est pas un nouveau siphon temporaire
comme le précédent, le mieux est encore d'attendre la
fin du printemps.
Pour l'heure, il nous reste passablement de temps devant nous, nous
décidons alors de nous consacrer un peu plus sérieusement
aux photos, tout en ressortant de la cavité.
Finalement, nous avons passé presque 10 heures sous terre, ce
qui nous a permis d'améliorer quelque peu le développement
des galeries, mais aussi de rapporter une centaine de photos de concrétions
excentriques, fistuleuses et autres formations un peu particulières.
Samedi
15 mai 2004
Bernard, Franklin, Jacques et Pierre se rendent aujourd'hui
dans la galerie des Fossiles, avec l'espoir de poursuivre quelques prolongements
délaissés lors de l'exploration du cheminement principal.
Il ne faut jamais sous-estimer un orifice latéral, aussi insignifiant
soit-il, il s'avère parfois que c'est l'unique accès à
de grandioses découvertes.
Nous portons d'abord notre intérêt
sur un conduit remontant en rive droite, juste avant le siphon terminal.
Peut-être un moyen de court-circuiter le verrou liquide, nous
allons bientôt le savoir. Une remontée verticale de 2 mètres
est rendue glissante par la présence d'argile, suivi d'une seconde
de 3 mètres légèrement plus propre. Au sommet,
une petite chambre hermétique ne laisse plus aucun doute sur
nos chances de poursuivre par ici, et c'est bien dommage !
Nous
nous rabattons alors un autre départ en rive gauche, qui se présente
sous la forme d'un petit méandre d'où provient un ruisseau.
Malheureusement, les dimensions se rétrécissent rapidement,
et c'est même péniblement que les 3 derniers mètres
seront parcourus. Le conduit se poursuit au-delà d'un petit coude,
mais seul un homme "fil de fer" pourra un jour espérer
poursuivre.
Revenus
dans la galerie des Fossiles, nous tentons la remontée d'une
dernière petite cheminée au centre de la galerie. Mais
là encore, aucune perspective de découverte. Le résultat
de la journée n'est pas vraiment glorifiant, mais nous ne pouvons
pas être gagnants à tous les coups. Il faudra donc nous
consoler des 43 mètres que nous ajoutons au développement
du réseau, passant ainsi à 2484m.
Samedi
29 mai 2004
Une semaine auparavant, une sortie interclubs avec11
participants, dont quelques VIP... (Verry Important Président
!), a permis de visiter nos dernières découvertes. Ce
jour-là, en arrivant au terme de la galerie des Fossiles, quelle
ne fut pas notre surprise de voir que le siphon était... désamorcé
!
Sur
le moment, une partie des participants désiraient promptement
s'improviser en explorateur... mais grâce à notre pugnacité
nous avons réussi à les en dissuader ! Les négociations
n'ont certes pas été commodes... mais nous avons tenu
bon !!! En effet, à défaut de matériel de topographie
nous n'allions tout de même pas déroger à la devise
des Fées : exploration = topographie !
Pour l'anecdote, nous avons toutefois toléré de nous octroyer
un maximum de 10 pas en terrain vierge, que finalement, d'aucuns ne
considéraient plus comme des pas de spéléologues...
mais des
pas de géants ; il est vrai que cela n'avait pas été
précisé...
Cette situation s'est bien évidemment déroulée
dans la bonne humeur, l'équipe du GEF (Groupe d'Exploration aux
Fées) était cependant qualifiée "d'extrémiste"
! Ce fut donc l'occasion de donner un nom au siphon temporaire que nous
venions de franchir, qui dès lors est devenu le siphon des Extrémistes
!
Aujourd'hui,
nous allons enfin savoir ce qui se cache au-delà, nous disposons
cette fois du matériel topo ! Franklin, Jacques, Michel et Pierre
sont présents, nous sommes parés pour l'aventure ! Malheureusement,
elle fut de courte durée puisque 25 mètres plus loin,
et seulement 10 mètres après le point atteint lors de
la dernière incartade... nous sommes arrêtés par
un nouveau siphon ! Telle est la loi de l'exploration, où chaque
détour de galerie peut être synonyme de fin. Ici, c'est
en revanche moins dramatique, nous sommes peut-être en présence
d'un énième siphon temporaire. Et même si ce n'est
pas le cas, un plongeur aura de quoi trouver son bonheur. Laissons un
peu de temps au temps, le réseau recèle encore de nombreux
endroits qui ne demandent qu'à nous accueillir...
Avant de quitter les lieux, nous décidons de nommer le nouvel
obstacle : siphon des Présidents. C'est bien sûr en l'honneur
des précédents explorateurs qui ont dû s'arrêter
involontairement... à même pas 10 mètres du siphon
!
Au retour, nous nous arrêtons dans la galerie des Petits Lutins
afin de topographier un petit diverticule sans intérêt
de quelques dizaines de mètres. C'est typiquement le genre d'endroit
où personne ne mettra plus les bottes avant bien longtemps ;
la progression s'effectue principalement à plat ventre, et de
surcroît, c'est argileux de part en part !
Avec 60 mètres de topographie pour cette petite journée,
le développement du réseau passe à 2544 mètres.
Samedi
5 juin 2004
Franklin et Pierre se rendent au siphon des Présidents,
pour voir si le passage est toujours amorcé. Peu avant, les choses
se présentent assez mal puisque le siphon temporaire M16 est
déjà plein ! Désirant voir ce qui se passe au-delà,
nous le franchissons en apnée, ce qui ne pose aucune difficulté
pour cette immersion de 3 à 4 mètres, où une corde
fixe facilite le passage. Plus loin, c'est au tour du siphon des Extrémistes
de nous arrêter. Il fallait bien entendu s'y attendre, cependant,
nous sommes surpris de constater qu'une rivière de 2 litres/seconde
s'en échappe, pour aller se perdre 35 mètres plus loin
dans un coude de la galerie.
Les possibilités du secteur étant compromises, nous nous
rabattons alors sur la grande cheminée de 25 mètres de
la galerie du Joker, pour en lever la topographie. Nous en ferons de
même pour le diverticule supérieur des 2 Mythos, situé
à quelques enjambées de là.
Malgré un bilan zéro d'exploration... nous avons quand
même effectué 93 mètres de topo, ce qui n'est pas
négligeable. Petit à petit, le développement prend
de l'ampleur, avec plus de 2,6 kilomètres. Bien sûr, nous
ne sommes encore pas prêts de dépasser sa voisine la grotte
de l'Orbe, qui avec ses 6 kilomètres, est la plus grande du canton
de Vaud. Mais qui sait, si les Fées sont toujours disposées
à nous livrer encore quelques petits secrets... peut-être
qu'un jour nous y arriverons !
Par ailleurs, beaucoup de gens s'imaginent que les grottes de l'Orbe
et les grottes aux Fées, pourtant distantes d'à peine
350 mètres, ont une relation interne. En fait, nous savons qu'elles
sont totalement indépendantes au niveau de la reculée
de la Dernier, leur point d'émergence en aval. En revanche, depuis
la découverte des prolongements aux Fées, prouvant l'existence
d'un écheveau de galeries, de nombreuses théories circulent
au sujet de la direction que prendra la cavité. L'une d'elles,
émise par notre ami Bertrand, suppose que si le réseau
des Fées se dirige vers la Vallée de Joux ou le Risoux,
rien n'empêche qu'il puisse exister une quelconque relation avec
l'amont du réseau de l'Orbe. En effet, en sachant que seulement
1/3 de l'eau qui sort à la Source de l'Orbe provient des lacs
de Joux, d'où provient le reste ? Probablement des flancs sud-est
du Petit Risoux, donc à la portée de cet amont hypothétique
des Fées !
Bien sûr tout cela n'est que supposition, et au stade actuel des
découvertes il est difficile de se prononcer précisément.
Il y a des chances que l'avenir nous révèle des surprises,
et comme c'est souvent le cas, ce sera sûrement celles que l'on
attendra le moins !
Samedi
3 juillet 2004
Les dernières découvertes dans la galerie Polaire nous
incitent à poursuivre dans cette direction. Aujourd'hui, Franklin,
Jacques, Marc et Pierre sont présents. Nous rejoignons sans encombre
le précédent terminus. Dans
les derniers mètres, le lac qui nous obligeait à progresser
en s'agrippant aux parois n'existe plus ; il ne subsiste qu'une grande
laisse avec de l'eau jusqu'aux genoux. C'est une bonne chose, cela veut
dire que malgré la présence de toute cette glaise, l'eau
du secteur arrive néanmoins à s'échapper.
L'escalade du ressaut de 2 mètres nous pose quelques difficultés,
l'argile en grande quantité en est la raison. La manière
employée se négocie en force, il s'agit de se bloquer
tant bien que mal en s'élevant. Mais c'est surtout le problème
de l'homme de tête, les suivants s'aidant à tour de rôle.
Nous levons également la topographie, ce qui n'est pas ce que
l'on peut rêver de mieux avec l'argile omniprésente, qui
s'explique par le fait que la zone est noyée la plupart du temps.
Après l'escalade d'un monticule de calcite, nous arrivons dans
un élargissement notoire où le plafond se dresse également.
Cette petite salle est plaisante, de jolies stalactites et draperies
rehaussent quelque peu l'intérêt, après l'épreuve
argileuse...
A
nos pieds, un revêtement de calcite déroule son noble tapis
en direction d'un lac allongé, invitant à une baignade...
forcée ! Au-delà, nous distinguons que les parois se referment
gentiment. Un bruit sourd nous interpelle. Après réflexion,
il doit s'agir du courant d'air qui s'engage dans l'espace restreint
au-dessus de l'eau, dont la puissance est telle qu'il entraîne
un clapotis à la surface de l'onde. C'est la première
fois que je constate ce phénomène, impressionnant ! Ce
qui l'est moins, c'est que cela ne laisser rien présager de bon
pour la suite de l'exploration ! Sans perdre une seconde, je m'engage
dans l'eau. Les parois se rapprochent et j'ai de l'eau jusqu'aux aisselles.
Le passage est moins étroit qu'il n'y paraît, je poursuis
la tête hors de l'eau entre des parois de calcite distantes de
50 centimètres. De nombreuses stalactites tombent du plafond,
je remarque que certaines sont brisées, le courant d'une crue
en est peut-être la raison. Bientôt, le plafond remonte,
mais c'est au détriment des parois qui elles se referment pour
ne laisser qu'une vingtaine de centimètres de largeur. Au
niveau de l'eau cela ne passe plus, mais c'est un peu plus large au-dessus.
Au-delà, je vois que c'est beaucoup plus vaste, il faut donc
trouver un moyen de franchir ce pincement. La difficulté réside
alors dans le fait de s'élever entre 2 parois lisses, car imbibé
comme une éponge, ce n'est pas facile de se hisser. Heureusement,
un moignon de stalagmite bien placé me sert de prise. Ce petit
tour de force me fait passer au cran supérieur, où le
corps passe aisément. Ce passage me fait immédiatement
penser à une écluse, le nom de l'endroit est alors tout
trouvé !
Derrière, je me retrouve dans une rue d'eau large de 1,5 mètre,
dont le plafond repart dans les hauteurs. J'ai de l'eau jusqu'à
la taille, mais aucun souci puisque le bassin se termine à quelques
mètres de là, au pied d'un ressaut remontant d'environ
3 mètres.
Revenu à l'Ecluse, j'ai beau essayer de motiver les copains,
rien à faire ! Seul Franklin effectuera quelques tentatives,
mais en vain. Je franchis alors l'obstacle pour retrouver mes camarades
dans la petite Salle appelée Débarcadère. N'arrivant
toujours pas à les décider, je repars à l'assaut
de l'Ecluse, cette fois en levant la topographie, avec l'aide de Franklin.
Le temps de faire encore quelques photos, notamment une étonnante
stalactite
dont l'extrémité se termine en forme de pomme, me voilà
revenu près de mes amis qui m'attendent bien sagement... Leurs
dents jouent les castagnettes depuis un moment, ils sont complètement
transits à force de patienter en plein courant d'air !
Avec 65 mètres de topographie, la galerie Polaire justifie toujours
son nom puisqu'elle se dirige plein nord. Le profil général
de la galerie, en forme de méandre, nous indique qu'elle s'est
creusée au dépend d'une faille, la même d'ailleurs
que l'on suit depuis un bon moment. Malgré la présence
quasi constante de la boue, cette galerie intrigue de par son courant
d'air, qui s'enfonce à travers la montagne sans vouloir s'apaiser.
C'est bon signe, espérons seulement que nos chères Fées
seront plus exigeantes avec la propreté de leur logis...
Par ailleurs, concernant les ossements que nous avons récupérés
dernièrement, éparpillés à divers endroits
du réseau, nous venons de recevoir la détermination du
spécialiste. C'est sensationnel, il s'agit bel et bien de l'ours
des cavernes (Ursus Spelaeus).
D'après Michel Blant, il s'agit de plusieurs individus, d'âge
et de sexe différent. Certains os de grandes tailles sont attribuables
à un mâle adulte, d'autres, plus petits, et notamment un
tibia, à un ourson. Néanmoins, comme les pièces
sont polies par l'eau, on ne peut être sans conteste dans la détermination.
Une datation s'avérerait intéressante, mais l'opération
est passablement onéreuse. Alors qui sait, peut-être qu'un
jour nous trouverons les crédits nécessaires.
L'ours
des cavernes est un ancêtre de l'ours brun, dont le poids était
trois fois supérieur, entre 400 et 600 kilos. Cette espèce
est appelée ainsi, car pratiquement tous les restes que l'on
connaît ont été découverts dans les cavernes,
où ils passaient une bonne partie de l'année à
hiberner. Cependant, la découverte d'ossements d'oursons à
côté d'ours adultes démontre que les cavernes étaient
aussi un lieu de résidence.
Apparu en Europe et au Proche-Orient il y a
environ 300'000 ans, il s'est éteint voici 15'000 ans. Pas très
loin de chez nous et plus précisément dans la Balme à
Colon, une cavité des Alpes françaises (Savoie), des spéléologues
ont mis à jour un important gisement d'ossements d'ours des cavernes,
avec plus de 1000 individus. Les spécialistes s'accordent à
penser que ces animaux sont morts pendant leur hibernation ; végétariens,
ils n'arrivaient pas chaque année à constituer des réserves
suffisantes pour survivre tout au long d'hivers trop rigoureux. D'autres
théories circulent également, la plus sympathique rejoint
le principe des cimetières à éléphants,
un endroit où, selon certaines croyances, les animaux s'y rendaient
d'eux-mêmes pour mourir. Quoi qu'il en soit, il n'y a pas de précédent
en terres vaudoises pour ce genre de découverte, c'est donc une
grande première et nous en sommes fiers...
La présence de ces ossements confirme qu'à une certaine
époque il devait exister une autre entrée par laquelle
les ours pénétraient. Quand on sait que cet animal pouvait
mesurer jusqu'à 3, 5 mètres le corps dressé, donc
environ 1,5 mètre au garrot, l'ouverture de la grotte devait
même être assez importante. Par la suite, cette entrée
s'est peut-être bouchée ou effondrée, les faibles
indices qui prouvaient son existence se sont effacés au fil du
temps. Sous terre, étant donné que les os ont été
déplacés par les crues, cela laisse supposer que le sanctuaire
doit être proche du passage de l'eau. Si celui-ci existe encore,
nous pouvons déjà imaginer de belles perspectives, notamment
de poursuivre le chemin inverse que les ours empruntaient, pour découvrir
par où ils sont entrés. Avec un soupçon d'imagination,
nous pouvons même prédire que si le bouchon n'est pas trop
important, il sera possible de rétablir une communication directe
avec l'extérieur, avec à la clé un accès
plus favorable pour la suite de l'exploration.
Samedi
10 juillet 2004
Les derniers participants n'étant guère
intéressés à déguster l'argile de la galerie
Polaire... j'ai réussi à recruter de nouveaux accompagnateurs,
et notamment Etienne du groupe de Lausanne ainsi que Hervé et
Raymond du groupe Rhodanien.
Malgré une semaine de pluie, les niveaux des lacs n'ont pas bougé
d'un millimètre, ce qui est étonnant et surtout rassurant
pour la suite de l'exploration.
Aujourd'hui,
notre chargement n'est pas habituel, nous transportons 2 échelles
métalliques ! La première est installée dans l'escalade
glissante de 2 mètres avant la Salle du Débarcadère,
tandis que la seconde est placée à l'Ecluse, afin de faciliter
le changement de niveau. Ces
aménagements sont profitables et permettront à un plus
grand nombre de gens, de venir dans ce secteur d'exploration. Néanmoins,
ce n'est pas encore au goût de chacun, car Raymond, aujourd'hui,
ne dépassera pas l'Ecluse.
Tandis qu'il repart gentiment, nous continuons l'exploration à
partir du ressaut Guillaume Tell, une remontée de 3 mètres
ainsi baptisée à cause d'une concrétion inhabituelle
! C'est une stalactite d'une vingtaine de centimètres se terminant
à la surface du lac, que le niveau variable a engendré
une sorte de protubérance sphérique, un peu comme une
pomme. Pour ce qui est de la fragilité, pas d'inquiétude
quand celle-ci est hors de l'eau, en revanche si elle est en contact
comme c'est le cas aujourd'hui, une vague provoquée par un passage
énergique pourrait lui être fatal. Il faut donc être
vigilant, le milieu souterrain est extrêmement fragile, nous ne
le répéterons jamais assez !
La
remontée du ressaut est glissante, la glaise a généreusement
repris son aisance... Au sommet, afin d'accrocher une échelle
souple, je pose un spit. Du nom de son fabricant, l'amarrage en question
date des années 1960. Il s'agit d'une petite cheville métallique
autoforeuse, qui va creuser son propre trou à l'aide de coups
de marteau sur ce que l'on appelle un tamponnoir, servant de support.
Dès que le trou est creusé, un petit cône placé
au fond va écarter les mâchoires de la cheville, au moment
où celle-ci est chassée dans le trou. A l'époque,
c'était l'ancrage high-tech qui remplaça avantageusement
le piton. Depuis quelques années, le spit s'est gentiment effacé
au profit de goujons, tiges et autres broches, qui se mettent en place
après avoir foré un trou à l'aide d'une perceuse.
Mais le spit a encore de beaux jours devant lui, il est notamment utilisé
dans les lieux éloignés où le poids de la perceuse
est un handicap, ou alors comme pour nous aujourd'hui, dans une zone
humide et boueuse à souhait, où l'utilisation d'appareil
délicat n'est pas recommandée.
Au-delà
du ressaut, le sol redescend et les parois se resserrent. Après
une vingtaine de mètres, nous arrivons au bas d'une fissure que
l'on voit se poursuivre, mais pour nous cela ne passe plus. Le courant
d'air n'a pas l'air inquiété, il continue gentiment sa
route dans le prolongement de la faille ! Nous sommes vraiment déçus,
d'autant que si un jour nous désirons agrandir ce terminus, les
conditions seront vraiment effroyables avec la présence de toute
cette boue.
Mais pour l'heure tout n'est pas joué, peu avant nous remarquons
une trouée au plafond, qui peut-être nous offrira une alternative
à la fin brutale. Malgré une épaisse couche de
glaise qui recouvre les parois, je réussis péniblement
à m'élever de quelques mètres. Là, à
ma grande joie, une petite galerie me redonne de nouveaux espoirs, renforcés
par un courant d'air sensiblement présent. Pendant que je pose
un nouveau spit, l'échelle que nous avons placée dans
le ressaut précédent, est récupérée.
Elle sera bien plus utile ici, dans cette remontée étroite
appelée Spiderglaise ! Cet obstacle n'étant plus au goût
d'Etienne, cette fois c'est lui qui n'ira pas plus loin. Nous
ne sommes plus que deux, c'est donc avec Hervé que je poursuis,
tout en levant la topographie.
Bientôt, la galerie remonte fortement pour se transformer en une
fissure étroite. Les parois sont redevenues propres, il y a même
quelques gours et concrétions. Le méandre se franchit
de justesse, et derrière, nous arrivons à un carrefour
avec de multiples départs de galeries. Bingo ! Nous venons de
décrocher le gros lot, c'est d'ailleurs à cet effet que
nous décidons de nommer cette petite galerie : Shunt Jackpot
!
Où nous sommes, en dehors d'une petite salle supérieure,
les nombreuses possibilités ne sont pas spécialement grandes,
mais chaque spéléologue sait très bien qu'un départ
de galerie, aussi infime soit-il, n'est jamais négligeable. Donc,
en ce moment, nous sommes vraiment ravis, surtout quand l'on pense qu'il
y a peu nous pensions être au terme des réjouissances...
Pour
la suite des opérations, nous attaquons par un départ
vertical qui démarre à nos pieds. La descente s'effectue
en désescalade, et c'est franchement la limite de ce qu'il est
possible de faire sans trop prendre de risque. Nous atteignons le fond
6 à 7 mètres plus bas. Là, nous prenons conscience
que nous avons retrouvé la faille principale et sa comparse la
boue... Ici, en direction de l'amont la faille ne va pas plus loin,
il ne nous reste que la possibilité de la suivre en direction
de la sortie. Comme nous le pressentions, nous arrivons bientôt
de l'autre côté du passage trop étroit qui nous
avait arrêtés précédemment, avant de franchir
la remontée Spiderglaise. Seul un mètre est infranchissable,
mais il semble possible de creuser le sol pour passer éventuellement
par-dessous. Mais de toute manière cela n'en vaut pas la peine,
le parcours par l'échelle est quand même plus simple pour
la suite de l'exploration.
Recouverts
de boue jusqu'aux oreilles, nous décidons d'arrêter. Nous
avons exploré et topopraphié seulement 48 mètres
de neuf, et il faut bien l'avouer que ce n'était pas spécialement
grand, et de plus avec de l'argile presque partout. Toutefois, avec
toutes les galeries démarrant au dernier carrefour, nous savons
que nous avons encore de quoi nous occuper, et pour sûr, nous
ne mettrons pas longtemps avant de revenir par ici...
Samedi
17 juillet 2004
Aujourd'hui, belle affluence au royaume des Fées,
seuls Franklin et Pierre sont présents pour aller braver la boue
de la galerie Polaire...
Arrivé
à l'Ecluse, Franklin a quelques appréhensions ; il y a
une quinzaine, il n'avait pas réussi à franchir ce passage.
Cette fois l'échelle fixe facilite la manuvre, néanmoins,
ce n'est qu'après la troisième tentative qu'il crie victoire
!
Nous posons une corde à nuds dans le ressaut Guillaume
Tel, l'échelle éphémère de ce passage ayant
trouvé meilleure place dans la remontée Spiderglaise.
Le franchissement de cette dernière ne posera aucun problème
à Franklin, malgré les quelques doutes que j'avais pronostiqué
à son égard en le voyant se dépêtrer dans
ses exercices répétés de l'Ecluse...
Nous
arrivons au fameux carrefour, avec les nombreuses galeries qui s'échappent
de partout. La dernière fois, nous avions remarqué 4 départs
en plus de celui par lequel nous sommes arrivés, Franklin m'en
signale un cinquième qui était caché derrière
notre dos ; et pas des moindres puisqu'il mesure 0,7 x 1,5 mètre
! Vu l'importance de cet endroit stratégique où convergent
6 conduits, nous décidons d'appeler ce lieu : l'Hexagal.
Pour
commencer, nous décidons d'explorer le plus évident :
une petite salle supérieure encombrée d'éboulis
(salle Dubloc), suivie d'une galerie. Pendant que j'équipe l'accès
à la salle, qui consiste à poser un spit pour fixer une
échelle souple de 3 mètres, Franklin va jeter un coup
il au départ qu'il vient de découvrir. Après
quelques mètres, il s'arrête devant une conduite forcée
avec courant d'air...
Après
la salle "Dubloc", nous suivons au nord une petite galerie
sympathique de 1 mètre de large pour 2 de haut, pour arriver
dans un élargissement notoire que nous nommons : salle Dupuits.
Comme son nom l'indique, un orifice de 2,5 x 4 mètres occupe
presque toute la largeur de la galerie, mais nous le laissons de côté
pour l'instant,afin de nous concentrer sur la suite qui se poursuit
en face. Rapidement, le conduit s'abaisse et nous oblige à franchir
quelques blocs à quatre pattes, puis à plat ventre. Le
courant d'air froid est toujours présent et ne donne pas envie
de traînasser. Il est à relever que depuis l'Hexagal, c'est
un réel plaisir de parcourir des lieux redevenus enfin propres...
les "boues de l'enfer" ne sont dès lors qu'un mauvais
souvenir !
Bientôt,
nous débouchons dans une nouvelle chambre. Il y a de gros blocs
instables et nous devons redoubler de prudence. Soudain, une grande
trouée en main gauche laisse présager une belle découverte...
Ne pouvant résister plus longtemps, nous abandonnons notre matériel
topographique pour aller voir de plus près ce qu'il en ressort
!
Incroyable... époustouflant... dingue... Les mots ne suffisent
plus à décrire notre joie, que nous marquons par une grande
poignée de mains chaleureuses. Nous sommes à la base d'une
énorme cheminée d'environ 8 à 10 mètres
de diamètre. Nos lampes éclairent à plus de 45
mètres, c'est incroyable. A 10 mètres du sol, nous apercevons
un grand méandre de 1 à 2 mètres de large qui part
à l'ouest. Nous sommes à l'extrême nord de la galerie
Polaire et décidons de baptiser cet endroit "cheminée
Peary", en l'honneur de Robert Peary, explorateur américain
qui, en 1909, fut le premier à atteindre le Pôle Nord.
Le
bas de la cheminée comporte de gros blocs où nous trouvons
un passage conduisant sous la salle précédente. Hélas,
cela devient rapidement impénétrable au pied d'un petit
ressaut. Là, c'est en voulant atteindre le bas de l'obstacle
que je l'ai rejoins plus rapidement que prévu... une prise de
pied ayant lâché inopinément. Rien de grave au demeurant,
juste un bon coup de sang pour me rappeler à l'ordre et ne pas
oublier une des règles de base en exploration : se méfier
de chaque rocher, aussi accueillant soit-il !
Revenus à nos instruments, nous faisons le tour de la petite
salle, car précédemment, comme aimanté par le vide,
c'est en coup de vent que nous avons passé. Là, nous découvrons
un endroit magnifique, que nous baptisons immédiatement avec
un nom évocateur : Salle Cristal.
Sur 2 mètres carrés, le plafond comporte une multitude
de fistuleuses translucides. Au premier coup d'oeil, on dirait de la
glace, mais il n'en est rien. Par transparence nous voyons l'eau s'écouler
à l'intérieur du tube, et sur certains nous remarquons
même quelques bulles d'air. C'est vraiment peu ordinaire et sommes
d'autant plus heureux après la trouvaille de la cheminée.
Au nord de la salle un éboulement empêche de continuer,
mais d'après Franklin, qui a eu le temps d'inspecter minutieusement
l'endroit pendant que je procédais au dessin, il est possible,
un jour ou l'autre, de tenter une désobstruction.
Un
peu plus tard, revenus à la salle Dupuits, nous décidons
d'explorer la suite en profondeur. Une désescalade de 4 mètres
nous amène au bas d'un pan de rocher incliné, suivi d'un
court tronçon horizontal à l'emplacement d'un ancien lac.
Nous remontons ensuite dans une faille. Ici, nous arrêtons la
topo sur une belle conduite forcée qui file à l'horizontale.
Décidément, c'est la troisième du même genre
que nous laissons de côté, de surcroît avec un courant
d'air nous soufflant en pleine figure !
Ce qui est intéressant, c'est que ces galeries partent toutes
vers l'est, nous pouvons supposer qu'elles viennent du même endroit...
qui s'avère être peut-être le lieu mythique tant
espéré... source de multiples théories... hantant
les rêves de certains explorateurs... et que j'ai déjà
nommé en prévision : la rivière enchantée...
ou plus communément appelée : le collecteur des Gerlettes
!!!...???...
Bon d'accord, j'extrapole quelque peu, mais c'est toujours plaisant
de se laisser aller... mais surtout de rêver et imaginer ce que
pourrait être une découverte de cette envergure.
Et
pour ceux qui ne connaissent pas les Gerlettes, voici quelques précisions.
Tout le monde connaît les sources de l'Orbe dans la reculée
de la Dernier, à quelques pas du village de Vallorbe. Mais combien
connaissent l'existence de sa voisine la source des Gerlettes ? La raison
provient probablement que cette source ne possède pas qu'un seul
exutoire, mais de multiples disséminés ça et là
dans l'éboulis de la moraine. Le principal, qui porte le nom
de "source de la Gerlette", n'est même plus visible
depuis l'année 1929 ; l'eau ayant été captée
pour alimenter une turbine "Francis" permettant de fournir
de l'électricité (37KW/h), puis redistribuée pour
alimenter le village en eau potable. Le débit moyen de cette
résurgence est d'environ 700 litres/seconde, mais lors des crues
il passe volontiers la barre des 5 m3/s. Si l'on ajoute à cela
le débit conséquent de toutes ses voisines de palier...
nous arrivons à un débit monstrueux, atteignant généralement
son pic maximum en l'espace d'une journée, pour reprendre son
débit normal après 2 à 3 jours seulement.
D'après
le géologue J.Perrin (GSL), " de telles variations de débit
et des réponses si rapides indiquent un réseau karstique
bien développé, avec peu de stockage d'eaux souterraines,
donc une quasi-absence d'effet tampon ". Le message est donc assez
clair, nous pouvons supposer l'existence d'un gros collecteur.
En revanche, d'après les géologues qui ont étudié
la région, la provenance de l'eau des Gerlettes est très
floue. D'aucuns voient une alimentation depuis une nappe phréatique
située loin en dessous, d'autres disent que l'eau provient du
Mont d'Or, certains encore pensent qu'elle vient depuis la France en
passant par le secteur de la Combe Dupuits.
Finalement, pour nous autres les spéléologues peu importe
d'où l'eau arrive. Nous sommes assez persuadés de l'existence
de ce collecteur, celui qui alimente nos fantasmes spéléologiques...
Et si nous le trouvons un jour ce serait la plus haute marche du podium,
car en quelque sorte l'ultime consécration des explorations aux
Fées.
Lors
de cette journée, nous avons bien travaillé, et avec un
peu plus de 10 heures passées sous terre (TPST), nous ajoutons
170 mètres au développement de la cavité, soit
2920 mètres.
Samedi
24 juillet 2004
Aujourd'hui, on reprend la même paire que la dernière
fois à savoir Franklin et Pierre, et l'on recommence... C'est
bien sûr du côté de la galerie Polaire que nous nous
dirigeons, il y a encore bien de quoi assouvir nos pulsions exploratrices...
Malgré les pluies abondantes de ces derniers jours, les niveaux
des lacs sont au plus bas, notamment le lac des Fruits défendus
où il subsiste à peine 20 centimètres d'eau dans
la première partie.
Depuis
l'Hexagal, hormis un petit méandre propre de 0,4 x 1 mètre
qui redonne au fond de la faille principale, il reste encore 2 conduites
forcées à explorer. Le courant d'air est aussi présent,
tout s'annonce pour le mieux ! Rapidement, nos 2 galeries se rejoignent
pour parvenir dans un labyrinthe de petits conduits argileux, dont la
section moyenne est de 1,5 x 0,8 mètre. La progression à
quatre pattes est donc de rigueur, nous décidons d'appeler cet
endroit : le labyrinthe des Gnomes. Avec une quinzaine de carrefours
et près de 200 mètres de développement, il va sans
dire qu'il faut bien repérer son chemin ! La topographie de cet
endroit ne fut d'ailleurs pas un cadeau, c'est même ce que l'on
peut attendre de pire dans ce genre d'activité ! Cela permet
en revanche d'avoir une bonne vue d'ensemble de cet enchevêtrement
pour emprunter le chemin le plus court, mais il faut reconnaître
que c'est une bien maigre consolation...
De
cette zone compliquée, 2 galeries opposées s'en échappent,
baptisées Clé Nord et Clé Sud. Dans les 2 cas,
le courant d'air nous sert de guide ; le parcours étant assez
tortueux. Du côté méridional, Franklin s'arrête
au passage d'une lame qui coupe le chemin. Il est vrai que ne c'est
pas bien grand, mais le courant d'air nous incite fortement à
persévérer. Tout comme le passage de l'Ecluse, je commence
à croire que mon coéquipier n'est pas un grand fan des
passages exigus ! C'est peut-être une affaire d'habitude, quoi
qu'il en soit je poursuis mon chemin. Je n'irai pas bien loin, à
peine une dizaine de mètres. Là, j'ai la grande surprise,
la joie et l'appréhension de déboucher dans quelque chose
d'inhabituel...
Je viens brusquement d'entrer au coeur d'un éboulement dont les
proportions me sont étrangères, certains blocs sont gros
comme des maisons !!!
Je suis arrivé en lucarne au milieu d'une paroi, et je ne vois
pas bien loin ! Mais quelque chose me dit que c'est particulièrement
grand, même très grand. Entre les rochers, dessus et dessous,
je distingue du vide. Cela me donne l'impression d'avoir pris pied sur
une plateforme suspendue au milieu d'un éboulement monstrueux.
Seul et ne connaissant pas la stabilité de l'édifice,
je préfère m'abstenir pour aujourd'hui.
Je
m'empresse de revenir vers Franklin pour lui donner tous les détails
de ma découverte, mais cela ne suffit pas à le décider
à forcer l'étroiture. Nous nous rabattons alors sur la
Clé Nord, où après un parcours en dents de scie
nous débouchons à nouveau dans ce qui me semble être
une copie de ce que j'ai découvert il y a peu : un gros effondrement.
C'est toutefois plus petit que précédemment, et a priori
cela n'a pas l'air de continuer. Mais tout cela est bien relatif, car
dans un cas comme dans l'autre personne n'a été se frotter
de plus près à ces blocs !
De
retour à l'Hexagal, nous effectuons encore un petit saut de puce
à la cheminée Peary, afin de mesurer précisément
la hauteur puisque nous disposons d'un lasermètre. L'appareil
indique 43,5 mètres, ce qui est tout à fait honorable
pour une cheminée au diamètre si imposant.
Avec
un TPST record de 12 heures, nous avons effectué 265 mètres
de topo, ce qui fait que le réseau dépasse maintenant
la barre des 3 kilomètres, exactement 3185 mètres. C'est
fort réjouissant, espérons que cela ne va pas s'arrêter
en si bon chemin !
Samedi
31 juillet 2004
A
défaut de Franklin, un petit air de famille m'accompagne tout
de même puisque c'est son frère Bernard qui le remplace
aujourd'hui. Nos récentes découvertes n'ont pas l'air
de motiver d'autres personnes à rejoindre l'équipe d'exploration,
il semble que certains passages étroits ainsi que la boue ont
eu raison de leur motivation ! C'est dommage, car quand bien même
si ce n'est pas spécialement grand et propre, de nouvelles surprises
viennent outrepasser chaque fois les quelques aspects négatifs.
Aujourd'hui,
nous allons poursuivre la conduite forcée qui démarre
sur le chemin de la cheminée Peary, peu après la salle
Dupuits. Avec le courant d'air et le fait qu'elle se dirige au nord-est,
c'est doublement intéressant, car la direction est la même
que celle qui nous a permis de déboucher par deux fois dans un
grand éboulement. Cette fois, c'est peut-être un accès
facile à notre hypothétique rivière Enchantée...
en tout cas, c'est sur elle que nous portons toutes nos espérances
d'éternels rêveurs... C'est d'ailleurs pour cette raison
que la galerie que nous allons parcourir porte déjà un
nom approprié, il s'agit bien sûr de la galerie Espoir.
Les
premiers mètres s'effectuent à quatre pattes dans une
petite galerie appelée ordinairement "conduite forcée".
A une époque très ancienne, les quantités d'eau
étaient telles que les galeries étaient entièrement
noyées, donc c'est le courant chargé de particules de
roche qui érodait progressivement les parois. C'est donc mécaniquement
par frottement que l'eau arrachait le calcaire qui le compose. Le résultat
de ce travail est visible sur les parois, avec la présence généralisée
de cupules de quelques centimètres de diamètre. Celles-ci
étant asymétriques, la cursivité la moins prononcée
va même nous indiquer le sens dans lequel l'eau se dirigeait.
Dans certaines grottes que j'ai eu l'occasion de visiter, et notamment
la grotte St.-Marcel en Ardèche, le même principe de creusement
est visible dans des galeries de plusieurs dizaines de mètres
de diamètre. A la différence que les cupules font plusieurs
mètres carrés, ce qui donne une vague idée de la
quantité d'eau qui devait circuler en ces lieux... totalement
ahurissant !
Le
sol devient temporairement argileux, et nous pouvons nous relever dans
une petite salle où la suite repart vers le haut. Quelques concrétions
marquent la remontée, notamment une belle paire de stalagmites
faisant penser à un buste féminin, qui d'ailleurs donnera
le nom argotique de l'endroit : salle des Miches ! Au passage d'une
grande coulée répandant généreusement sa
calcite depuis le plafond, la galerie se met à redescendre gentiment.
Ce n'est pas spécialement grand, pas assez pour se tenir debout.
Néanmoins, c'est assez plaisant, les parois lisses de certains
passages nous laissent découvrir de magnifiques profils.
Brusquement,
le sol est troué par une fissure verticale coupant perpendiculaire
notre chemin. Passage obligé puisque la galerie se terminant
juste devant, nous n'avons pas d'autre choix que de nous enfiler dans
la lézarde, où une descente de 3 mètres nous attend.
La roche propre ainsi que quelques prises facilitent la désescalade.
Au bas, nous poursuivons par un conduit assez large mais bas, et bientôt
nous arrivons à un carrefour au dépend d'une faille coupant
perpendiculairement notre route. A gauche, du côté nord,
un court méandre étroit nous amène au-dessus d'un
puits étroit. Evalué à 5 à 6 mètres,
ce serait imprudent de descendre sans matériel ; pas au niveau
de la descente puisqu'il suffirait de se laisser glisser, mais bien
sûr pour remonter en raison des parois relativement lisses. Un
courant d'air est perceptible, donc il faudra revenir une fois ou l'autre
avec un bout d'échelle.
Au
sud, la faille se laisse suivre agréablement, le courant d'air
nous tenant toujours compagnie. Les choses iraient pour le mieux dans
le meilleur des mondes, pourtant, après une vingtaine de mètres
nous déchantons petit à petit... En effet, les dimensions
se réduisent et nous constatons que de partout le rocher est
cisaillé, comme broyé. Bientôt, il faut même
déplacer quelques blocs pour avancer. Par endroits, quelques
petites fenêtres latérales laissent deviner un éventuel
prolongement, mais la présence de blocs effondrés empêche
de s'y engager. L'endroit est tellement haché que nous avons
l'impression que le conduit a été serré dans un
étau ! Après le franchissement d'une étroiture
au-dessous de blocs plus ou moins stables, notre moral est bien bas...
Encore quelques mètres, un nouveau bouchon m'arrête. Je
devine que cela continue au-delà, mais cette fois s'en est trop,
j'en ai soupé de cet environnement qui me pèse sur le
coeur ! Bernard n'apprécie pas plus que moi, nous terminons alors
la topographie de cette zone, avant de la quitter sans aucun regret.
! Nous sommes déçus, les espoirs de poursuivre dans ce
secteur ont du plomb dans l'aile ! Malgré cela, avec 155 mètres
de conduits explorés et topographiés, le réseau
a quand même livré quelques secrets supplémentaires.
Il en reste encore de nombreux à découvrir, nous savons
que les Fées aiment nous les livrer avec parcimonie...
Samedi
2 octobre 2004
Les pluies persistantes du mois d'août ont amorcé
le siphon de la galerie Polaire, il faudra encore attendre tout le mois
de septembre afin que le niveau baisse lentement. Pendant ces 2 mois,
avec Franklin nous nous sommes déplacés à 3 reprises
pour constater chaque fois que cela ne passait pas. Ce secteur étant
actuellement la zone principale d'exploration, c'est assez frustrant
de devoir ressortir sans ne rien pouvoir faire, car en tenant compte
du temps pour se rendre sur place, on peut considérer que la
journée est pour ainsi dire gâchée. Pour éviter
ce genre de désagrément, nous prévoyons de mettre
en place un système qui va nous permettra de vérifier
à distance si le siphon est amorcé.
Aujourd'hui,
Bernard, Franklin et Pierre se décident une nouvelle fois de
tenter le coup du siphon ! Arrivé dans la salle des Intestins,
Bernard ne se sent pas très bien et préfère ressortir.
On dit souvent qu'un malheur ne vient jamais seul, nous nous attendons
donc à trouver l'habituel siphon au début de la galerie
Polaire. Eh bien tout faux... cette fois le passage est libre.
Dans
le Labyrinthe des Gnomes, nous terminons quelques boucles de topo manquantes,
pour finalement emprunter la Clé Sud. Arrivés à
l'étroiture que Franklin n'avait pas franchie, quelques coups
de marteau ont suffi pour rectifier les angles rebelles ! Nous débouchons
ensuite dans le gros éboulement où je m'étais arrêté
la dernière fois, baptisé le Cataclysme.
Là,
il a fallu un certain temps pour nous décider à poursuivre
à travers ce dédale de blocs effondrés. Finalement,
la tentation étant trop grande... c'est Franklin qui lance l'assaut
! Je sais qu'il n'est pas autrement à l'aise dans les passages
étroits, et de mon côté, à la suite de quelques
mauvaises expériences c'est plutôt les trémies.
Enfin, chacun son truc... mais pour l'un comme pour l'autre l'endroit
est malsain.
A première vue, nous sommes dans la partie inférieure
d'une salle, le long d'une paroi où la roche est parfaitement
saine. Il y a des énormes blocs un peu partout, nous nous sommes
d'ailleurs amusés à mesurer l'un d'eux. Il fait 7 x 5
x 3 mètres, soit un poids approximatif de 280 tonnes ! C'est
assez inquiétant, d'autant que toutes ces masses ne possèdent
aucun dépôt de quelque nature que ce soit, donnant ainsi
l'impression qu'elles sont fraîchement tombées...
Vers le nord, nous avons suivi la paroi sur une trentaine de mètres,
où par endroits il faut se faufiler entre les blocs. Là,
nous voyons nettement qu'un prolongement généreux se profile
vers le haut, mais pour l'atteindre il faudrait grimper sur certains
blocs qui a priori ont l'air de tenir par habitude...
Au
sud, nous nous sommes déplacés d'une dizaine de mètres
toujours en suivant la même paroi, mais ici c'était plus
compliqué. En effet, en cherchant un peu, nous avons trouvé
un chemin partant pourtant dans la direction opposée, avant de
revenir par un niveau inférieur. Bref ce n'était pas évident,
et dans un cas comme dans l'autre, toujours cette même impression
qui pèse en permanence et qui se résume clairement à
: peur que tout nous tombe dessus !...
En plus du stress inhérent au secteur, il fallait également
faire attention à ne pas perdre son chemin. En effet, dans ce
chaos il est difficile de prendre des repères visuels ; un peu
tous les blocs se ressemblent...
Nous
reviendrons un jour ou l'autre traîner nos bottes par ici, afin
de pousser les recherches plus en détail. Car avec un courant
d'air aussi puissant, il est évident que de grandes découvertes
nous attendent. Mais ce jour-là, à l'instant où
notre hardiesse aura porté ses fruits, cela voudra également
dire que nous avons vaincu un obstacle de taille face aux rochers provocateurs
: nos craintes intérieures.
Avec
un TPST de 11 heures, nous avons rajouté 86 mètres au
développement, il passe maintenant à 3426 m.
Samedi
23 octobre 2004
Aujourd'hui, Patrick, Pierre et Serge retrouvent les
Fées. Pas d'exploration au programme de cette journée,
mais une tâche non moins utile pour la suite des travaux : la
mise en place d'une ligne électrique, à l'instar de celle
utilisée par l'armée pour les téléphones
de campagne. Le câblage va démarrer au niveau de la porte
et se terminera au siphon de la galerie Polaire. Avec nos allées
et venues de la fin de l'été pour constater maintes fois
que le passage était inondé, nous avons trouvé
une solution afin de vérifier à distance si le siphon
est désamorcé. Pour ce faire, nous allons placer dans
l'eau un genre de flotteur prévu initialement pour les pompes
automatiques de refoulement. Il s'agit en fait d'un contacteur étanche
qui va créer un pont électrique si le flotteur est en
haut, ou alors se couper s'il est en bas. Ainsi, depuis la porte il
suffira de brancher un ohmmètre, appareil qui va envoyer un peu
de tension pour indiquer si la boucle électrique est activée
ou pas.
La mise en place des 600 mètres de ligne n'est pas chose facile,
il faut placer le fil en dehors du chemin habituel que nous empruntons.
Ce n'est pas toujours évident, notamment dans les passages étroits
où les possibilités sont restreintes. En revanche aucun
souci dans les grands volumes, le fil est simplement placé le
plus haut possible.
Au
siphon, la mise en place du flotteur nous posera encore quelques difficultés,
simplement par le fait qu'il est encore amorcé. Il faut préciser
qu'avec 4 degrés, la température de l'eau ne permet pas
vraiment de se réchauffer...
Notre
système est opérationnel, nous sommes parés pour
affronter les caprices de la météo et ne plus perdre notre
temps dans des déplacements inutiles. Car le secteur de la galerie
Polaire n'a sûrement pas livré tous ces secrets, je pense
notamment à la galerie supérieure dans la cheminée
Peary, le puits terminal de la galerie Espoir ainsi que l'ensemble du
Cataclysme.
Samedi
30 octobre 2004
Une fois de plus, c'est Franklin qui va m'accompagner
au royaume des Fées. Il est devenu un habitué de la cavité,
on peut même avancer que depuis quelques mois il n'a jamais autant
pratiqué de spéléologie ! Cette soudaine motivation
laisse à penser que c'est l'attrait de la découverte,
telle une drogue qui devient difficile de s'en passer, mais la réalité
diffère quelque peu. En effet, victime d'une thrombose en début
d'année, c'est une maladie qui touche le réseau veineux
des membres inférieurs. Il était donc hors service pour
de longs mois, et notamment pour des efforts importants tels que s'entraîner
et courir les marathons, sa passion favorite qu'il pratique depuis longtemps.
La spéléo en revanche étant une activité
plus calme... euh quoique !
C'est alors que les découvertes aux Fées arrivèrent
à point nommé.
Aujourd'hui, pour changer un peu de la boue de la galerie Polaire, nous
avons décidé d'aller faire un peu de minage du côté
de la salle du Chirocoptère. Là, lors d'une sortie de
visite en compagnie de Gérald Favre, hydrogéologue et
cinéaste bien connu, ce dernier avait relevé que le drain
principal semi-fossile disparaît brusquement au niveau de la salle
en question. D'après lui, une suite doit exister derrière
un important éboulis en direction du sud. Les énormes
blocs entassés à la verticale semblent provenir d'un vide
supérieur (salle ou faille ?) qui pourrait également être
l'endroit recherché. Il y avait suffisamment de quoi éveiller
notre intérêt, et puisque l'éboulis au sud est infranchissable,
l'idée est d'attaquer les blocs du plafond.
Une fois sous terre, en parcourant la galerie des Princes Charmés,
quelle ne fut pas notre surprise de découvrir qu'une rivière
avait passé fraîchement par là, peut-être
un voire deux jours plus tôt... En effet, par deux fois nos rubans
de rubalise ont été déchirés et emportés.
Nous les avions placés aux endroits délicats afin de détourner
le chemin des visiteurs.
Ce qui nous étonne, c'est que la grande faille verticale vers
la salle du Boulet, celle qui correspond en théorie avec la faille
des Genevois dans la Petite grotte aux Fées, n'a pas réussi
à absorber la totalité de l'eau ; celle-ci a poursuivi
son chemin par la galerie des Princes Charmés.
Et ce n'est pas tout ! A l'endroit appelé "shunt à
Pierre", c'est-à-dire lorsque la galerie des Princes Charmés
commence à descendre, nous avons remarqué de la mousse
de crue à 2 mètres du sol. Cela confirme que l'eau est
montée très haut, créant un siphon jusqu'à
la sortie de la trémie de l'Au-delà. Ce niveau d'ennoiement
indique également que dans le secteur, seul le haut des salles
du Boulet, des Moines et du Topo-Râleur était hors de l'eau.
Une fois arrivé à la trémie de l'Au-delà,
une autre surprise nous attend : un gros bloc venu d'on ne sait où
s'est mis en travers du passage, empêchant de sortir de l'éboulement.
Avec le poids important de cette masse rocheuse, une première
tentative s'est révélée infructueuse, tandis que
la seconde, à la limite de nos forces, nous a finalement donné
raison. Cependant, les dangers n'étaient pas pour autant écartés.
En effet, en enlevant ce bloc ainsi que d'autres qui menaçaient
de choir, nous avons déstabilisé toute la partie supérieure
de la trémie. Celle-ci nous inquiète maintenant au plus
haut point, elle ne supportera pas de nombreux passages, et encore moins
une nouvelle crue. L'affaire est donc urgente, il faudra trouver une
solution rapide à notre problème.
Nous poursuivons notre chemin. Rien de particulier à relever
en parcourant la galerie du cadeau d'Anniversaire, mais en arrivant
dans la salle des Intestins nous sommes à nouveau consternés...
L'eau est montée 3 mètres plus haut que le replat qui
nous sert de vestiaire ! Nous avons pour preuve une bouteille de thé
froid que nous avons retrouvé après le petit col formant
une étroiture dans les concrétions, en direction de la
sortie. Donc il est bien clair que si cette bouteille a franchi le col,
c'est qu'elle flottait !
Au lac des Fruits Défendus, plus moyen de trouver nos 2 brosses
accrochées 3 mètres au-dessus de l'eau, servant à
nettoyer nos combinaisons au retour des galeries boueuses de la Polaire
! A noter que cette dernière siphonne déjà à
une trentaine de mètres du départ.
Ces nouvelles ne sont guère réjouissantes, elles laissent
supposer qu'à l'amont de la salle des Intestins, tout ce qui
se développe au-dessous de ce niveau est entièrement noyé.
D'après les altitudes, il semble que seuls le plafond de la salle
du Chaudron, la salle du Chirocoptère et la cheminée dans
la galerie du Joker soient hors de l'eau. La galerie Polaire est également
noyée sur les 2/3 du parcours. Ces hypothèses sont confirmées
par le fait que l'on trouve de la boue dans toutes les galeries annexes
(Polaire, Douze pattes, Serpentine, etc.) qui ne sont pas sur le cours
principal emprunté par les crues.
Ecoeurés, nous n'avons pas voulu pousser plus avant nos investigations.
Il y a de fortes chances que le point bas de la salle du Chaudron siphonne,
alors autant en rester là pour aujourd'hui !
Une fois hors de la grotte, nous sommes allés voir l'entrée
de la Petite grotte aux Fées. A la sortie, à en juger
la quantité de feuilles mortes encore présentes en bordure
du parcours de l'eau, nous avons la confirmation qu'elle a effectivement
coulé, mais en revanche il devait s'agir d'une petite crue !
C'est vraiment bizarre, avec ce que nous avons constaté dans
le réseau cela n'a pas l'air d'avoir été le cas.
Nous pouvons alors avancer que l'eau qui parcourt le réseau ne
ressort pas entièrement par la Petite grotte, il doit exister
quelque part un endroit absorbant une partie de l'eau, rejoignant directement
la résurgence du Gaucher ou alors les sources des Gerlettes.
Cette journée nous a permis de prendre un peu plus conscience
que cette cavité, au demeurant facile avec son parcours horizontal,
peut se révéler meurtrière si un jour quelqu'un
se trouvait au mauvais moment... au mauvais endroit...
Samedi
6 novembre 2004
Depuis une semaine, nous avons pris la décision
de consolider la trémie de l'Au-delà. Ce passage consiste
à franchir verticalement un éboulement, que la dernière
crue a durement déstabilisé. Il en va de notre sécurité,
mieux vaut perdre un peu de temps de notre vivant, plutôt que
de risquer de le perdre à jamais...
Pour
cette première journée, je peux compter sur la présence
de Bernard et Franklin, ainsi B.Joss. Lourdement chargés, nous
emportons une belle quantité de matériaux, à savoir
ciment, treillis, fers à béton, tamis, seau, bidon, ainsi
que quelques outils. Le
déplacement est harassant, heureusement nous n'allons pas très
loin.
Ce qui est sympathique, c'est qu'excepté
le ciment, la matière première est pour ainsi dire sur
place ! En effet, le sable et l'eau se trouvent en quantité suffisante,
cela va nous permettre de préparer le mortier, indispensable
pour un travail durable et de qualité. D'ailleurs, on pourrait
presque à proprement parler de construction écologique
puisque tous les composants sont naturels...
Le
travail est très éprouvant, c'est notamment le fait que
nous oeuvrons dans un environnement relativement étroit, où
les déplacements avec les charges sont rendus d'autant plus difficiles.
Il n'y a pas non plus de machines pour nous faciliter la tâche,
c'est la bonne vieille méthode : " MADE TOUT A LA MAIN "
!
Après
8 heures de maçonnerie, nous sommes épuisés. Cependant,
nous ne sommes pas encore au bout de nos peines, car pour Franklin et
votre serviteur, il faudra encore deux autres journées pour venir
à bout de ce bétonnage. Il faut dire que nous avons fait
les choses dans les règles de l'art, le béton est armé
sur une épaisseur d'au moins 10 centimètres, plus rien
ne bouge !
Epilogue
de l'année 2004
Avec
2,8 kilomètres de découvertes, le bilan annuel est vraiment
exceptionnel. Pour s'en convaincre, il suffit de voir le nombre de sorties
effectuées pendant ces 11 derniers mois, dont certains totalisent
à eux seuls jusqu'à 40 journées de présence
Nous sommes tous incroyablement perturbés, personne ne s'attendait
à découvrir quelque chose de si important, que cela soit
en intérêt spéléologique ou scientifique.
Il existe encore de nombreuses possibilités d'exploration, la
géologie régionale s'y prête avantageusement. Reste
à savoir si la réalité sera à la hauteur
de nos espérances, une question que seul l'avenir pourra nous
rendre une réponse.
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