"
La spéléologie, c'est également prendre conscience
de la puissance énergétique du milieu souterrain, en se laissant
pénétrer par ce bien-être silencieux. "
Pour les
intéressés, la pratique de la spéléologie apporte
beaucoup plus que le simple plaisir de parcourir une grotte. C'est également
une manière de se ressourcer et de décharger quelques tensions
accumulées au rythme de la vie quotidienne. Mais pour le savoir, il faut
avoir vécu cette passion, afin d'en apprécier les richesses.
La plupart des gens ne comprendront jamais ce qui nous pousse à descendre
sous terre, car pour eux c'est un milieu amorphe, où règne le
froid, l'humidité, la boue, et où il n'y a rien d'autre à
voir que des pierres
C'est clair que c'est une façon de voir les
choses, pourtant la réalité est autrement plus objective! Pour
en juger, il faut avoir eu l'occasion de descendre sous terre, autrement qu'en
visitant une grotte touristique. Si c'est le cas, les gens découvrent
ainsi une face cachée de ce milieu, et pourtant ils n'ont fait que de
l'effleurer.
Avec quelques années de pratique, le spéléologue s'adapte
toujours mieux à cet élément, mais quelques fois il reprend
conscience qu'il ne pourra jamais le maîtriser totalement. Sous terre,
l'homme n'est jamais à l'abri d'un incident, ou d'un caprice de l'élément
qui l'entoure. C'est Dame Nature qui nous fait ainsi comprendre que c'est elle
qui reste la maîtresse des lieux, et qu'il y a certaines règles
à observer.
Alors forcément, en 30 années de pratique, mes quelque 800 incursions
souterraines ont apporté leurs lots de joies, d'émotions, d'émerveillement,
mais aussi quelques moments moins agréables, voire difficiles. Certains
de ces souvenirs ont malheureusement disparu ou été enfouis dans
un recoin de mémoire, mais d'autres resteront ancrés à
jamais.
Voici
donc quelques morceaux choisis, histoire de ne pas oublier que notre bonne étoile
peut un jour se voiler, voire s'éteindre dans le pire des cas...
En conclusion, chaque expérience nous rend plus fort, si nous sommes
capables d'en tirer profit.
En
1981, lors du week-end de Pâques, quelques membres du club avaient profité
de ce congé prolongé pour faire un peu de spéléo
dans le sud de la France. Nous étions une dizaine, et avions installé
nos tentes au bord de l'Hérault. Nous visitions des grottes pendant
la journée, mais certains occupaient également leurs soirées
en allant s'amuser dans les bars et autres night-clubs de la région
Le second soir, après un repas au restaurant, la plupart désiraient
se coucher ; il ne restait alors que deux courageux, pour effectuer une petite
virée nocturne du côté de Montpellier.
De retour au petit matin, nous allions nous coucher au moment où certains
se levaient !!! C'est donc en début d'après-midi que nous nous
sommes réveillés, et bien sûr il n'y avait plus personne
au camp. Nous étions quand même dans la région pour faire
de la spéléo, par conséquent l'heure n'était pas
trop avancée pour se faire une petite visite ! En feuilletant les documents
que nous avions à disposition, nous avons rapidement trouvé
un truc sympa : la traversée de la grotte Gennevaux.
Il s'agissait de pénétrer sous terre par un gouffre, parcourir
quelques galeries et salles, et ressortir un peu plus loin par une grotte.
Cette cavité étant utilisée pour l'initiation, la ballade
ne prendrait pas plus d'une heure ; c'était ainsi un but idéal,
vu l'heure tardive et notre état encore quelque peu comateux
Bientôt, nous arrivons sur un petit parking en bordure de route. Selon
le descriptif, le gouffre se trouve à une centaine de mètres,
et il suffit de suivre quelques marques rouges et blanches. La cavité
étant située dans une zone militaire, il était également
recommandé de ne pas s'écarter du chemin. Après quelques
hésitations sur les multiples sentiers et embranchements, nous arrivons
à l'orifice du gouffre, dont la configuration correspondait parfaitement
à notre description, à savoir : un puits spacieux de moins de
vingt mètres avec un grand chêne pour y placer nos agrès.
Etant donné que ce puits est le seul obstacle nécessitant une
corde, nous avons déjà convenu de rappeler celle-ci en bas,
afin d'éviter de devoir revenir la récupérer. Dans le
même ordre d'idée, nous avons jugé inutile de s'encombrer
du matériel de remontée, alors que de toute façon il
n'y a qu'un seul rappel, et d'autant qu'il est à l'entrée. De
plus, le reste de la visite ne comportait aucune remontée ou difficulté,
c'est donc avec un strict minimum que nous visiterons la grotte.
Nous plaçons la corde en double autour de l'arbre, et je descends le
premier. En bas, alors que la luminosité s'est quelque peu estompée,
un objet frappe immédiatement mon attention : une grosse bougie placée
sur un bloc. Il arrive fréquemment que l'on en trouve dans des grottes
à caractère facile, devant servir à priori de repère
pour certains explorateurs en herbe. Mais généralement, celles-ci
sont de petites dimensions car on en trouve souvent plusieurs sur le parcours.
Malgré tout, cet objet éveille notre attention, et c'est avec
un léger doute que nous jugeons utile de ne pas effectuer immédiatement
le rappel de la corde. Nous serons d'ailleurs rapidement fixé, car
selon le topo nous sommes au départ d'une pente raide qui doit nous
conduire rapidement dans une jolie salle.
Devant nous, il y a effectivement une galerie qui descend, et c'est confiant
que nous nous y engageons. Rapidement, les dimensions s'amenuisent, accompagnées
d'un peu de glaise
Nous pensons avoir loupé un départ
quelconque, et inspectons l'endroit dans de plus amples détails. Au
bout d'un moment, c'est le moral à plat que nous revenons à
la base du puits.
Il faut nous rendre à l'évidence : cette cavité n'est
pas celle que l'on était sensé faire, et nous sommes maintenant
comme deux abrutis coincés dans une oubliette !!!
Nous essayons de comprendre notre erreur, car pourtant nous avons suivi scrupuleusement
les indications du descriptif, qui par ailleurs concordaient parfaitement
jusqu'ici, sauf un léger petit détail : ce n'est pas le bon
trou !!!...
Donc pour l'heure, nous sommes dans de sales draps : les parois du gouffre
sont verticales, notre matériel de remontée est dans la voiture,
et nous n'avons même pas un bout de ficelle permettant de réaliser
un prussik (nud utilisé en montagne, permettant de coulisser
sur une corde, mais se bloquant avec le poids). Mais le plus ennuyeux dans
l'histoire, c'est que personne n'est au courant de notre présence en
ces lieux !!! La région est un vrai gruyère, si les secours
doivent inspecter chaque cavité, cela veut dire que nous sommes coincés
pour un long
long
long moment !!!
En
voyant où la bougie avait été disposée, nous comprenons
que c'est sûrement de précédents sauveteurs qui ont eu
l'idée de la placer à cet effet. Maigre consolation que la chaleur
d'une bougie
pourtant quel réconfort d'avoir un peu de lumière
si l'éclairage personnel venait à manquer ; car il est évident
que ceux qui effectuent ce genre de petite traversée n'emportent pas
du carbure en réserve.
Mais pour l'instant, il est hors de question d'allumer cette chandelle ; cela
ne ferait que confirmer que nous sommes résignés à subir
notre sort.
Cette
situation est tout de même idiote à quelques mètres de
la surface, d'autant plus que nous avons eu la présence d'esprit de
ne pas rappeler la corde ; mais à quoi bon avoir une corde si on ne
peut pas l'utiliser ?
C'est à ce propos que j'eus soudain une pensée : chaque spéléologue
sait qu'il est difficile voire impossible de remonter à bout de bras
sur une corde spéléo, qui plus est, si celle-ci est en plein
vide. Mais dans notre cas, puisque la corde est disposée en double
à cause du rappel, ce n'est pas une, mais deux cordes que nous avons
face à nous. De plus, même si les parois sont verticales, les
2 brins descendent à fleur de rocher, où il y a suffisamment
de quoi poser les pieds.
Je
n'avais nulle envie de moisir plus longtemps ici, c'est donc sans hésitation
que je m'élançai après m'être débarrassé
de tout poids superflu. En montant, j'équilibrai le corps au maximum
par rapport aux prises de pieds, afin de soulager l'effort sur les bras. J'étais
même surpris de l'excellente prise de main que nous offre une double
corde, ce qui en définitive relativisait quelque peu les risques encourus
Mon
équipier quant à lui ne voulut pas jouer les équilibristes,
je fis ainsi un aller-retour à la voiture, afin de lui ramener un matériel
de remontée.
Une
trémie n'a de danger que pour celui qui veut l'affronter
Tout le
monde connaît le gouffre du Chevrier, faisant partie du réseau
de la Combe du Bryon (Vaud / Suisse). Cette cavité est réputée
pour ses gros volumes, ainsi qu'une une belle rivière qui parcourt
la moitié du gouffre. A l'amont, cette eau sort d'une grosse trémie,
consécutive à un effondrement qui a obstrué entièrement
la galerie. Quand on voit les dimensions du conduit (4 x 8m), ainsi que le
débit de la rivière qui en sort (plusieurs mètres cubes
lors des crues), on imagine aisément que la suite du réseau
doit être aussi grandiose. Nous avons essayé plusieurs fois de
passer au travers en cherchant un passage entre les cailloux, mais ces tentatives
frôlaient le suicide, au vu de la taille de certains blocs (plusieurs
tonnes), et leur stabilité précaire.
Cette zone est également le point de jonction avec une autre cavité
: la Grotte Froide. Nous avons donc passé tout le secteur au peigne
fin, afin d'étudier toutes les possibilités pour court-circuiter
l'obstacle. Trois diverticules ont retenu notre attention, mais ces derniers
étaient également bouchés par des blocs effondrés.
Dans deux d'entre eux, un bon courant d'air laissait présager quelques
espoirs, tandis que le troisième était parfaitement colmaté.
Nous avons donc commencé à désobstruer le plus évident
: une petite lucarne de 1 mètre par 50 centimètres, située
au pied d'une paroi dans la Grotte Froide.
Afin de bénéficier d'un minimum de sécurité, nous
avons confectionné une sorte de long crochet, permettant de déloger
les cailloux à distance. Les premières séances n'ont
pas vraiment causé d'inquiétude, car nous avions les blocs face
à nous, et il suffisait de les retirer pour que derrière il
en revienne d'autres. A cet effet, la technique était simple : repérer
quel bloc retient les autres, enfiler le crochet dans un interstice, et tirer
le tout !!!
Après quelques sorties, il se créa une sorte de petite cheminée
derrière la lucarne. Mais pour continuer, il fallait mettre la tête
dans le passage, pour placer le crochet au bon endroit
Là, cela
commençait à devenir délicat
Il fallait essentiellement
de bons réflexes, afin de s'éjecter rapidement !!!
A mesure que le vide grandissait, il fallait ensuite avoir recours à
des crochets plus longs, dont le dernier en date faisait presque 3 mètres.
De temps à autre, toute la cheminée se rebouchait
alors
il suffisait de recommencer !
Notre technique était certes efficace, mais nécessitait des
nerfs d'acier
Un jour, nous avons dégagé un gros volume dans la cheminée,
puis l'heure du repas est arrivée.
Nous étions assis bien tranquillement à quelques mètres,
lorsque soudain un bruit terrible nous fit sursauter. Non seulement la cheminée
venait de se reboucher, mais ce fut le début d'une réaction
en chaîne, qui provoqua un ébranlement quelque part au-dessus
de nous, comme si toute la montagne s'était mise en mouvement. Notre
première réaction fut de détaler rapidement, car nous
avions l'impression que la voûte allait céder. Nous nous sommes
donc déplacés un peu plus loin, dans une zone plus accueillante
A partir de cet instant, et sur près de 30 minutes, nous avons entendu
à espacements irréguliers, des grondements de rochers qui devaient
rouler quelque part au-dessus de nous. C'était impressionnant, car
nous savions que quelque chose se passait, mais nous étions incapables
de dire d'où cela provenait.
"
La grotte avait parlé, et ne désirait pas qu'on la dérange
"
Nous étions donc quitte pour une belle frayeur, et c'est sans regret
que nous avons suspendu nos travaux pour la journée.
Pour moi, le message était clair : il devait exister au-dessus un vide
colossal, et c'était pour cette raison que toutes les galeries de la
zone étaient bouchées par des blocs. Nous étions assurément
à deux pas d'une grande découverte peut-être sans précédent
néanmoins une question se posait alors : quelle était la porte
d'accès la plus favorable, et surtout laquelle était la moins
dangereuse ?...
La
lucarne dans la Grotte Froide ne nous motivait plus autrement
c'est
donc dans le second diverticule que nous avons porté notre intérêt.
Situé à une vingtaine de mètres du précédent,
celui-ci se trouvait cette fois dans la partie du Chevrier, proche du boyau
de jonction. Là, une petite galerie remontait sur une dizaine de mètres,
avant de buter sur une nouvelle lucarne obstruée.
Contrairement au premier chantier, la pente était plus forte, et les
derniers mètres se faisaient à quatre pattes. Cette configuration
compliquait davantage les opérations, afin de déguerpir à
chaque fois que les blocs s'ébranlaient. Le crochet nous rendit à
nouveau service, mais le maniement à bout de bras d'une barre de 3
mètres en étant à genoux, ne donnait pas une grande précision
dans la manoeuvre. Quand un vide plus conséquent se créait entre
les blocs, et qu'il fallait s'approcher trop près de la lucarne, il
nous arrivait de placer une charge explosive (charge creuse) au bout d'un
bâton, que nous plaquions dans la trémie.
Au
fil du temps, nous avons ainsi effectué quelques sorties kamikazes
où les gens n'étaient pas vraiment motivés pour donner
un coup de main !!! Il faut également savoir que ce n'est pas tout
de faire dégringoler les blocs, il faut ensuite les évacuer
pour faire de la place aux suivants. Autrement dit, c'était bien agréable
de travailler à plusieurs personnes.
Un
jour d'octobre 1996, notre perspicacité fut enfin récompensée.
Après avoir retiré les derniers blocs, le goulet était
libre et donnait à la base d'une petite cheminée de 4 mètres.
Au sommet, je distinguai une continuation de part et d'autre. Notre joie était
à son comble, surtout qu'un bon courant d'air nous accompagnait. Seulement
cette joie avait un parfum d'amertume, car les parois de la cheminée
étaient tapissées de blocs
dont la plupart n'étaient
pas vraiment stabilisés.
C'est donc tout en douceur, en étudiant chaque mouvement, que je gravis
l'obstacle pour me retrouver un peu plus haut sur un palier, constitué
cette fois d'une bonne roche en place, comme on les aime dans ce genre de
situation...
De là, c'est avec impatience que je m'engageai dans une fissure spacieuse.
Malheureusement, celle-ci se terminait quelques mètres plus loin, dans
une petite chambre hermétique. Les chances s'amenuisaient, mais tout
n'était pas encore perdu.
De retour au puits, je commençai par poser un spit, car j'avais pris
soin d'emporter une échelle souple, afin que le cas échéant,
je puisse redescendre sans appui sur les parois.
En face de moi, je distinguai une continuation évidente, mais celle-ci
était une fois de plus constituée d'un agglomérat de
blocs. Ces derniers étant bien espacés, je remarquai que tout
le courant d'air s'y engouffrait, et qu'au delà un vide pénétrable
se profilait. Il y avait aussi un petit filet d'eau qui filtrait au travers
de la masse, donc tout concordait sur le chemin à suivre, vers une
découverte tant espérée
Cependant, pour attaquer ce nouveau bouchon, il n'était plus question
d'utiliser le crochet depuis l'endroit habituel, car il était beaucoup
trop éloigné. La seule solution à ce moment, c'était
de manier le crochet depuis le palier où je me tenais, avec le risque
que les rochers qui vont tomber, rebouchent le passage par lequel j'étais
arrivé
!
Alors que faire ?
abandonner si près du but, et garder
des remords en pensant que d'autres personnes reviendront et franchiront peut-être
ce passage ? Pour l'heure, en dépit de toute réflexion, c'était
peut-être la solution la plus sensée. Mais il est difficile de
porter jugement, car dans ces moments là, après tant d'années
de persévérance, on ne voit rien d'autre qu'une voie qui se
profile vers la découverte de sa vie !!! Cette euphorie est inexplicable
; c'est comme une drogue, et c'est plus fort que tout
D'un
autre côté, la situation ne paraissait pas si dramatique. Depuis
l'endroit où je me tenais, j'étais bien à l'abri car
les blocs fileraient directement dans le puits. Au pire qu'est ce que je risquais
: être coincé un moment en attendant de déblayer à
nouveau le passage !!!
Après avoir bien relativisé la situation, j'ai pris soin de
remonter l'échelle souple, et demander qu'on me passe le crochet ainsi
qu'un peu de nourriture et boisson, au cas où
C'est
d'un coup sec que je tirais sur le crochet, que j'avais introduit aisément
dans l'amas précaire. Il n'en fallait pas autant pour déstabiliser
l'ensemble, et c'est dans un fracas impressionnant que tout commença
à dévaler. Malheureusement, ce que je voyais était la
pointe de l'iceberg
car l'amas rocheux retenait une quantité
autrement plus grande, dissimulée derrière. J'étais un
spectateur aux premières loges, face à une rivière de
rochers filant dans le puits, et totalement impuissant afin d'en limiter le
débit. A ce moment, un sentiment malsain m'envahit entièrement
C'est dans ces moments là qu'on aurait envie de se réveiller
brusquement, afin de se sortir d'un horrible cauchemar
De
leur côté, les copains étaient très inquiets. Je
leur avais dit que quelques blocs allaient tomber, c'était vraiment
peu dire par rapport à la quantité de rochers arrivant jusqu'à
leurs pieds, et tout ça dans un vacarme déconcertant. Ils me
voyaient déjà ensevelis sous des tonnes de cailloux, c'est pourquoi
ils s'empressèrent de m'appeler dès que le calme fut revenu.
C'est
avec bonheur qu'ils apprirent que j'allais bien. Mais d'où j'étais,
les choses se présentaient assez mal
En effet, le puits par lequel
j'étais monté était rempli au quart, et face à
moi, une petite galerie remontante se prolongeait sur quelques mètres
(section de 1 x 1.5 m), pour buter sur un nouveau bouchon beaucoup plus important
que le précédant. Cette fois, j'étais conscient d'un
danger amplement plus sérieux, qui menaçait à tout instant
de prendre le dessus. En conséquence, il fallait agir le plus rapidement
possible.
Après
avoir expliqué la situation aux copains, je leur demandais d'évacuer
les blocs au plus vite, pour que la base du puits se vide à nouveau
afin de pouvoir ressortir de mon impasse. De mon côté, il était
beaucoup trop dangereux d'aider au fond du puits, car à tout moment
des blocs se détachaient du haut, et finissaient leur course au même
endroit.
J'étais donc sur mon perchoir, impuissant, à attendre qu'on
me libère de mon propre piège...
Malgré le pique-nique que j'avais emporté, j'avais une boule
à l'estomac qui m'empêchait d'avaler quoi que ce soit. Mon gros
souci, c'était la nouvelle trémie devant moi
tiendra,
tiendra pas ???. J'avais les yeux rivés dessus, afin de détecter
le moindre indice de mouvement. De temps à autre, l'eau qui filtrait
au travers emportait quelques graviers, qui au passage décollaient
des cailloux plus gros, et ainsi de suite
C'était très
stressant, et régulièrement je sollicitais les copains pour
savoir où ils en étaient, et leur demandais encore d'accélérer
la cadence. J'imagine bien qu'ils faisaient le maximum, mais pour moi les
minutes paraissaient des heures, et au vu des blocs qui se détachaient
régulièrement du bouchon au-dessus de moi, j'avais l'impression
que j'en avais pour peu de temps...
Après
20 minutes d'une attente interminable, je n'en pouvais plus. Rester ainsi
les bras croisés à attendre que la montagne me tombe dessus
? Que nenni ! Il fallait absolument que je fasse autre chose
En conséquence, c'est d'un seul bond, en ne prenant même pas
la peine de dérouler l'échelle, que je sautais sans réfléchir
au bas du puits, afin d'aider à dégager le passage. Je prenais
de gros risques à cet endroit, mais en moi j'étais persuadé
que chaque seconde comptait.
Soudain,
un fracas de roche me fit redresser brusquement ; un bloc de plusieurs kilos
venait de s'écraser à côté de moi
Je redoutais
alors que d'autres cailloux suivent le même chemin, mais heureusement
c'était un rocher isolé. Cet imprévu me fit redoubler
d'ardeur, et c'est comme un forcené que je me remis à l'ouvrage.
Bientôt une minuscule ouverture me fit retrouver l'espoir... Encore
quelques blocs à dégager, et le passage serait suffisant pour
m'y introduire, et ainsi échapper à ma geôle.
Finalement, c'est avec soulagement que je franchis le goulet pour rejoindre
ainsi mes amis, qui d'ailleurs n'ont jamais été aussi impatients
de me voir !!!
Pendant les jours suivants, une petite question me hantait éperdument : si j'avais attendu bien sagement sur mon palier, est-ce que la trémie aurait lâché entre temps ?*****
Quand
la féerie tourne à l'enfer
Pratiquant
épisodiquement la plongée souterraine, je ne me suis jamais considéré
comme un vrai plongeur, car je ne me sens pas capable de plonger en effectuant
une "première" dans un siphon. En fait, dès le début,
mon but a simplement été d'apprendre les règles de base
et de les entretenir, afin de palmer en toute sécurité jusqu'à
une profondeur maximum de 15 mètres, pour ainsi franchir des siphons
de petite envergure permettant de rejoindre des galeries exondées.
J'ai fait mes débuts en lac, en compagnie d'autres plongeurs spéléos.
A l'époque, j'ai eu la chance de participer à un camp de plongée
souterraine dans le Lot (France), le paradis des siphons. A cette occasion,
j'ai effectué quelques plongées magnifiques, avec en particulier
le franchissement d'un siphon de 350 mètres.
Pour le matériel, je disposais presque de tout l'équipement, il
me manquait juste un second détendeur avec manomètre !!!... ce
n'était pas si grave en soi, car je me débrouillais pour en trouver
un en prêt avant chaque immersion.
En plongée souterraine, il faut savoir qu'il est impératif que
chaque bouteille dispose de son propre détendeur, ainsi qu'un manomètre
afin de pouvoir vérifier la pression restante. En cas de problème
sur une bouteille ou un détendeur, il suffit de passer sur l'autre circuit.
En revanche, cela nécessite d'équilibrer l'air dans chaque bouteille,
en alternant de temps en temps les détendeurs.
En mars 1997, nous avons prévu de plonger dans les 2 petits siphons de
la grotte de la Sourde, faisant partie du Réseau de Môtiers (Neuchâtel
/ Suisse). La semaine précédente, nous sommes allés plonger
en lac, histoire de se rafraîchir les idées
mais surtout
pour raviver les automatismes inhérents à ce genre d'activité.
Après cette immersion, j'avais consommé la moitié de l'air
disponible, mais la quantité restante était amplement suffisante
pour le projet du week-end, soit un petit siphon de 25 mètres, et peut-être
un second au cas où.
Le samedi, nous nous retrouvons à trois au départ du siphon. N'étant
jamais venus dans cette grotte, aucun de nous ne connaît l'endroit. Mais
le fil d'Ariane débutant au bord d'une vasque, nous fait vite comprendre
que nous sommes au bon endroit. Pour mon équipement subaquatique, j'avais
pu trouver un second détendeur, mais cette fois je ne dispose pas d'un
second manomètre pour contrôler la pression. A priori cela ne me
paraît pas dramatique, car ayant contrôlé chaque bouteille
auparavant, je sais que la quantité est équilibrée. Donc
pendant la plongée, en vérifiant une des deux et en alternant
régulièrement, cela ne doit pas poser de problèmes
D'après la topographie, nous allons franchir un petit siphon de 25 mètres,
suivi d'une centaine de mètres de galeries exondées, conduisant
à un deuxième siphon de 25 mètres qui communique avec la
grotte voisine.
Je m'engage en second dans le siphon, et après les premiers mètres
où la visibilité est très réduite par le fait que
3 plongeurs viennent de patauger dans la vasque d'entrée, le voile se
lève brusquement sur un univers magnifique. Claude-Alain est en tête,
et malgré un fil d'Ariane existant, il déroule un second fil.
C'est une règle de sécurité, car nous ne connaissons pas
l'état du premier. Roland nous rejoint rapidement, et c'est à
trois que nous poursuivons notre route. De temps à autre, Claude-Alain
s'arrête pour fixer son fil sur les aspérités du terrain,
et nous en profitons pour inspecter les détails de notre environnement.
Je remarque au passage qu'il y a beaucoup de lambeaux de vieux fils, qui traînent
à gauche et à droite ; preuve qu'il doit y avoir beaucoup de courant
lors des crues. Je suis également surpris par la section des galeries,
qui atteignent par endroit cinq à six mètres de diamètre.
Par moments, nous avançons à trois de front, ce qui ajoute encore
un plus à nos sensations. Le profil des conduits est bien déchiqueté,
tout comme le parcours qui serpente un peu dans toutes les directions.
Pour un spéléologue, le fait d'avancer à sa guise au sol
comme au plafond, est une sensation unique. De plus, aujourd'hui les conditions
sont rêvées : l'eau est d'une limpidité cristalline, puisque
nos lampes éclairent sur plusieurs dizaines de mètres. A chaque
contour, je suis émerveillé par de nouveaux détails, comme
transporté dans un monde irréel
Vu la totale visibilité, il n'est pas utile de tenir le fil d'Ariane,
c'est la raison pour laquelle je le suis à distance, sans le perdre de
vue.
A un moment, je me trouve vers le plafond, quand je remarque que Claude-Alain
s'est arrêté à quelques mètres en dessous. Il me
fait des signes qui indiquent de m'approcher. Je le rejoins gentiment, et maintenant
il effectue des va-et-vient avec son doigt, en pointant le fil d'Ariane ; je
ne comprends pas où il veut en venir
En plongée souterraine, un fil d'Ariane comporte généralement
une graduation tous les cinq mètres, ainsi qu'une flèche qui indique
toujours la direction de la sortie. C'est pratique pour connaître la distance
parcourue, et pour savoir dans quelle direction ressortir au cas où la
visibilité deviendrait nulle.
En regardant de plus près
je lis sur l'étiquette
la distance de
85 mètres !!!
Brusque retour à la réalité, l'enchantement de ce paradis
liquide fait maintenant place à l'enfer.... Comme ensorcelé dans
cet univers féerique, je n'ai pas fait attention au temps qui s'écoulait.
Un rapide contrôle sur le seul manomètre que je dispose m'indique
qu'il me reste très peu d'air dans la première bouteille. Pour
la seconde ?... aucune idée !!! Mais étant donné que j'alternais
de temps à autres sur les détendeurs, dans le meilleur des cas
c'est de toute façon guère plus
Par signes, je fais savoir que je retourne au départ. Visiblement, ils
n'ont par l'air de se rendre compte de la gravité de la situation, car
ils me répondent OK, et reprennent gentiment leur ballade
Donc j'entame le retour. La tension monte gentiment
instinctivement,
je palme de plus en plus vite, car je sais que le temps joue contre moi. A gauche,
à droite, en haut ou en bas, malgré le volume des galeries le
parcours est très tortueux. Pour ne pas perdre de temps, je tiens le
fil d'une main, car celui-ci emprunte généralement le chemin le
plus court.
Soudain, les complications commencent : J'ai de la peine à respirer
Ce manque d'air est décuplé par le fait que depuis un moment
je fournis un effort intense en palmant de toutes mes forces. Il faut me rendre
à l'évidence, ma bouteille est vide !!!... Malgré la panique,
je réussis à changer de détendeur ; quel bonheur de pouvoir
respirer pleinement
Mais cette maigre consolation est éphémère
: je viens de passer sur la bouteille dont j'ignore la quantité d'air
restante... Maintenant, je sais pertinemment que le compte à rebours
définitif a démarré.
A force de palmer, mes muscles commencent à me faire terriblement mal.
Nous avons tous en nous une réserve insoupçonnée, et c'est
elle qui maintenant me permet de conserver la cadence. Cependant, mon cur
bat de plus en plus vite, et doit sûrement s'approcher de la zone rouge...
Mais que faire d'autre en pareille circonstance, sinon palmer et encore palmer
?...
Soudain, l'eau devient trouble
Vu mon état, je ne suis plus apte
à comprendre que je me rapproche de la vasque d'entrée. Bientôt,
tel au dauphin, j'émerge en trombe de cet univers liquide. Avec soulagement,
j'expulse mon détendeur et peut enfin apprécier de pouvoir respirer
librement. Décidément, l'homme croit maîtriser tous les
éléments, en réalité c'est eux qui jouent avec nous
Il me fallut un moment pour retrouver les idées claires, et en attendant
que les autres reviennent, je me suis posé la question de savoir quelle
quantité d'air il me restait encore. Après avoir déplacé
le manomètre, j'ai pu constater qu'il me restait 15 bars d'air, soit
quelques secondes au rythme où je respirais.
Un peu plus tard, les autres plongeurs firent surface à mes côtés.
Ils m'expliquèrent qu'ils avaient réussi à franchir ce
verrou liquide, qui accusait une longueur de 145 mètres
Bien sûr,
cela changeait quelque peu des 2 petits siphons de 25 mètres qu'indiquait
la topographie des lieux !!! Nous en avons déduit qu'au printemps, le
volume d'eau est plus conséquent, et ainsi toute la zone se noie pour
ne former qu'un seul siphon de 145 mètres.
Depuis ce jour je replonge de temps à autres, mais cette expérience
ma fait prendre conscience que dans ce genre d'activité, la marge d'erreur
est quasiment nulle. Donc, il faut mettre toutes les chances de son côté,
avec du matériel en parfait état, mais surtout du matériel
au grand complet !!!
En conclusion, je citerais cette phrase magnifique de Frank Vasseur :
Il
y a 2 façons d'aborder la plongée souterraine : comme un défi
à la mort, ou comme une expérience de vie
Le
cadeau d'anniversaire
En ce 27
janvier 2004, il est prévu de continuer l'exploration d'une galerie fraîchement
découverte. D'un côté, elle finit sur un vulgaire trou de
souris, et de l'autre les derniers explorateurs se sont arrêtés
sur rien... Donc tous nos espoirs se portent sur cet endroit, où d'après
certaines théories, nous allons droit vers de grandes découvertes...
Malheureusement, après avoir progressé d'à peine quelques
pas, la cavité s'arrête brusquement, sans aucune possibilité
de continuation. Sur le moment, personne n'ose l'avouer, mais la déception
se laisse sentir, car depuis une semaine notre imagination battait son plein,
et nous emmenait vers les espérances les plus folles...
Toutefois la partie n'est pas tout à fait perdue, et il reste encore
à revoir le "trou de souris", car aujourd'hui nous disposons
également d'un matériel de désobstruction.
A l'aide d'une massette, Claudal se bat depuis un bon moment avec une lame de
rocher, celle qui nous empêchait justement de continuer il y a quelques
jours. Une fois vaincu, il se rend compte qu'au-delà c'est peut-être
assez grands pour les souris, mais pas vraiment pour les explorateurs que nous
sommes
C'est bien dommage ! Il semblait que cet endroit était l'ultime
chance de poursuivre la grotte, nos rêves qui nous hantaient depuis 4
ans n'auront pas spécialement porté de gros fruits, à peine
200 mètres de nouvelles galeries. La réalité est souvent
difficile à admettre, après tant d'attente et d'espérance.
Je décide néanmoins de voir la fin de mes propres yeux, et rejoins
le terminus de mon coéquipier. Là, la suite est une sorte de grand
laminoir encombré de blocs et de gravier, ne laissant effectivement que
peu d'espoir. Cependant, pour autant que l'on arrive à creuser le sol
et déplacer les gros blocs qui obstruent de toute part, il semble que
la hauteur soit suffisante pour ramper. Il n'en fallait pas autant pour me donner
le courage de continuer, c'est donc à bouts de bras que je m'active à
marteler les pierres, soit pour les casser ou pour les décoller, la plupart
se sont cimentées avec les années et le passage de l'eau. J'arrive
également à attaquer le sol, composé d'un genre de conglomérat
de sédiments durcis.
Après deux heures dans des postures vraiment inconfortables, j'ai réussi
à progresser d'une dizaine de mètres. Là, enfin, le plafond
se relève gentiment. J'arrive dans une petite chambre où j'ai
juste de la place pour me tenir assis. Devant moi, un énorme bouchon
de rochers m'empêche de poursuivre. Dans mon dos, la paroi est magnifique,
ornée de grandes cupules reluisantes. Sans aucun doute, je suis bel et
bien dans l'ancien cours d'une rivière dont l'eau sous pression a façonné
les parois. Etant au point bas je présume que la suite se trouve en hauteur,
donc au-dessus de cet amoncellement de blocs. D'ailleurs, un léger courant
d'air me confirme le chemin à suivre
Alors
que faire !!! ... ...
Il y a quelques années, je m'étais retrouvé dans une bien
mauvaise situation face à une trémie, dès lors je m'étais
juré de ne plus recommencer !!!... Mais les sages Chinois l'ont compris
depuis des millénaires en disant que :
Il
est plus facile de déplacer un fleuve que de changer son caractère
!!!...
En
effet, malgré la crainte, cette sensation lancinante et si désagréable
qui nous pince le cur, il y a en moi quelque chose de bien plus fort qui
me pousse à agir. Alors, comment l'expliquer ? De l'inconscience ? Un
petit shoot d'adrénaline histoire de prendre sa dose ? Ni l'un ni l'autre
! Je pense plutôt que c'est quelque chose que l'on ressent au fond de
nous et qui nous dicte ce qu'il faut faire. La peur est bien sûr omniprésente,
mais en la maîtrisant on se sent comme protégé, invulnérable.
Quoi qu'il en soit, je me suis remis à l'ouvrage en déplaçant
délicatement les blocs, qui visiblement ne mettaient pas en péril
la stabilité de l'édifice. Comme dans la Souricière, le
nom donné au boyau que nous venons de franchir, je dois donner quelques
coups de massette, les rochers étant scellés les uns aux autres
; il semble que cette zone doit régulièrement se noyer, l'eau
chargée de particules de roche a cimenté tout l'ensemble. Cette
nouvelle me rassure à peine, le moral n'étant toujours pas des
meilleurs... Ne pouvant évacuer les cailloux ailleurs que par la Souricière,
je les transmets à Claudal qui les place comme il peut à ses côtés.
Bientôt, je peux me tenir debout entre la paroi et l'amas de rochers.
A ce moment, je remarque au-dessus un vide entre les interstices, laissant présager
la fin du bouchon. Peut-être une porte sur de nouvelles découvertes
merveilleuses et la suite de notre aventure ? Pour le savoir il ne me reste
que très peu de choses à enlever, peut-être deux ou trois
blocs. Mais cette joie est amère, je suis maintenant ceinturé
de cailloux des pieds à la tête. Cet endroit m'oppresse de plus
en plus, ma dernière expérience en trémie se rappelle sans
cesse à mon bon souvenir. La limite de l'abandon est presque atteinte,
bien que je ressente un dénouement proche.
C'est
alors qu'une pensée me traverse l'esprit :
Aujourd'hui, par un heureux hasard, c'est le jour de mon anniversaire !!! Ce
serait déjà fantastique de découvrir la suite du réseau,
cela représenterait de surcroît un merveilleux cadeau d'anniversaire,
peut-être même le plus beau que je n'ai jamais reçut ! La
spéléologie c'est une partie de ma vie, beaucoup de gens ne comprendront
jamais à quel point cette activité me passionne. Dans mon sablier
de géant, l'idée du cadeau mettait un peu de baume sur le coeur...
mais ce fut surtout le déclic pour me remettre au travail.
Avec quelques coups de marteau, je décolle délicatement les derniers
blocs. Heureusement, ils ne sont pas trop lourds, ce qui me permet de les pousser
vers le haut et ainsi les dégager hors du passage.
Cette fois le goulet est libre, c'est au ralenti tel un gros crabe que j'émerge
de cet amas de rochers. Je vois au-dessus que l'éboulis remonte à
45 degrés, il semble assez stable... D'ici, je peux mieux mesurer l'ampleur
de cet éboulement. Je suis dans une petite salle d'effondrement, et tous
les cailloux sont venus s'accumuler contre la paroi d'où je suis arrivé.
D'emblée, je pense à nommer l'endroit : "passage de l'Au-delà".
C'est bien sûr à double sens, cela résume bien les quelques
sensations que j'ai éprouvées.
Claudal me rejoint, et d'un commun accord que nous décidons d'explorer
la galerie qui s'offre à nous.
Nous quittons notre petite salle pour suivre un vestibule encombré de
nombreux blocs. Le puissant courant d'air que nous avons perdu avant la Souricière
est réapparu par une grande fissure, et nous accompagne maintenant dans
notre périple. Notre imagination peut à nouveau vagabonder, tous
les indices d'une grande échappée jouent en notre faveur.
Ce n'est pas spécialement grand, juste de quoi nous tenir debout, mais
notre joie est intense car nous sommes les premiers à parcourir ces lieux.
Emotionnellement, ces moments sont très puissants, le paroxysme suprême
pour les spéléologues.
Après une étroiture entre les blocs, la galerie vire sur la droite
et prend soudain de l'ampleur. Le sol, parfaitement propre composé de
sable et de galets, atteste que l'eau a passé par là. Bientôt,
quelques concrétions ici et là font leur apparition, et rapidement
nous arrivons en vue d'une fenêtre... noire !!! Ce phénomène
est généré par le contraste des parois claires avec une
surface noire correspondant à un vide que nos éclairages n'arrivent
pas à percer. Tout émus, nous arrivons dans une salle où
nous stoppons brusquement notre élan
Un frisson m'envahit des pieds à la tête. Devant nous, une paroi
parfaitement lisse se perd dans les hauteurs. C'est un énorme miroir
de faille comme je n'en ai jamais vu. Il doit mesurer une quinzaine de mètres
de hauteur et s'étend sur une largeur de près de 30 mètres.
La surface est recouverte de calcite claire, tranchant avec le noir de ce vide
souterrain. Nous sommes à la base d'une grande salle d'effondrement,
formée par le rapprochement de deux failles adjacentes. De nombreuses
concrétions colorent les parois, dont les teintes s'harmonisent merveilleusement.
Certaines défient même les lois de l'apesanteur, principalement
à cause du courant d'air léchant les parois. D'autres se sont
brisées sous l'effet d'un mouvement terrestre. Il y a aussi des draperies
mesurant près de 5 mètres de longueur. Nous ne savons pas où
donner de la tête, tellement il y a de choses à regarder ; nous
sommes en plein conte de
fées !...
Bientôt, Claudal se penche le long d'une paroi, il a remarqué quelque
chose de particulier. Il s'agit d'ossements imbriqués provenant d'une
chauve-souris, ce qui en soi est relativement banal. Mais ce qui l'est moins,
c'est que l'un des os traverse une bague numérotée, avec le nom
du musée propriétaire. Cette trouvaille ajoutait encore un peu
de consistance à un plat d'émotion déjà bien garni
! Toutefois, de même qu'il reste toujours un peu de place pour le dessert...
et qu'il nous reste encore du temps devant nous, nous décidons de poursuivre
notre aventure si palpitante
Au-delà
de cette salle, nous avons encore parcouru une superbe galerie dotée
d'un concrétionnement très important.
Après cette journée particulière, il y eut d'autres découvertes
formidables, mais celle-ci fut assurément la plus intense, depuis mes
débuts à la spéléo. Sans oublier qu'également,
ce fut le plus beau... cadeau d'anniversaire !!!
Improvisation
topo...
Sur le massif
des Rochers-de-Naye (Vd / Suisse), la grotte du Glacier atteint un développement
de près de 5 kilomètres. Ce qui est particulier, c'est que les
galeries se développent sur une petite surface, créant ainsi un
tel enchevêtrement que par endroits, il y a jusqu'à cinq niveaux
superposés.
Dans les années 1970, un plan avait bien été levé,
mais celui-ci restait très sommaire pour une cavité de cette envergure.
En conséquence, dans le cadre d'un futur inventaire, nous avons décidé
de retopographier toute la grotte.
En 1995, lors de l'une de nos multiples séances de topo, j'étais
dans un diverticule supérieur de la galerie des Sources, en compagnie
de Patrick.
Bientôt, nous rampons dans un petit boyau étroit, où déjà
il n'est pas facile d'avancer, ça l'est donc d'autant moins pour dessiner
et prendre les mesures. Nous arrivons dans un petit élargissement. De
là, la grotte se poursuit en profondeur par un ressaut étroit
et incliné, d'environ 2 mètres. Au bas, nous distinguons bien
une suite, mais visiblement c'est toujours petit, et cela repart horizontalement.
D'après le croquis d'époque que nous avons emporté, nous
constatons que notre galerie doit incessamment jonctionner avec un puits d'une
vingtaine de mètres. Le courant d'air présent ne fait que nous
confirmer cette relation. En revanche, nous ignorons à quelle hauteur
nous allons déboucher sur le vide, et surtout de quelle manière...
Donc dans mon idée, il est préférable de plonger dans le
ressaut, afin d'avoir la tête en avant pour approcher le puits en pleine
vision des choses. J'hésite quelque peu à poursuivre la tête
en bas, mais de toute façon cela ne sera pas long...
Je
bascule le corps en avant, et me laisse glisser gentiment, en me retenant aux
quelques aspérités. Rapidement, j'arrive au niveau du boyau, mais
je ne peux pas encore distinguer la suite car ma position m'empêche de
redresser la tête. A priori ce n'est pas bien grand, mais j'imagine que
si d'autres ont déjà passé, cela ne doit pas me poser de
problèmes. En conséquence, je me laisse aller complètement,
et engage le haut du corps dans ce qui s'avère être plutôt
une sorte de petit méandre... ...
En me laissant descendre j'avais encore la planchette à dessin autour
du cou, je décide alors de la prendre à la main, ce qui me donnera
plus de liberté pour dessiner. Cette fois je vois la suite, mais hélas
cette nouvelle ne me réjouis guère !!! ...
En effet, devant moi, les parois se rétrécissent aussitôt,
pour ne laisser qu'une dizaine de centimètres de largeur...
Sur le moment, j'ai de la peine à admettre une fin si brutale et inattendue,
car d'après l'ancienne topo, la jonction est incontestable. Pourtant,
le fait est là : le dessinateur s'est permis une sacrée fantaisie
car d'où je suis je vois très bien que c'est parfaitement impénétrable
sur une bonne distance, et il n'y a pas le moindre puits à l'horizon.
Si cela se trouve, je suis peut-être même en train de faire de la
première !!!
Pour
l'heure je n'ai pas d'autre solution que de reculer, alors forcément
je pense déjà au ressaut qui m'attend. Dans le bon sens ce passage
aurait été une partie de plaisir, mais à reculons
la tête en bas !!!
Mais avant, puisque de toute façon je suis là... j'ajoute encore
quelques détails pour finaliser mon dessin, puis j'entame le retour.
Le début ne pose pas trop de problèmes car le haut du corps est
encore engagé à l'horizontale. Cela se complique ensuite, car
à mesure que je me redresse, tout le poids vient reposer sur les épaules,
les coudes, puis les bras. La loi de la pesanteur se fait de plus en plus sentir,
et je dois fréquemment me reposer en me coinçant au mieux.
Le
sang descendant à la tête procure une sensation désagréable
qui n'arrange rien. Heureusement, je ne suis pas seul, et mon coéquipier
m'aide fortement en soulageant mon poids, car il me tire par les pieds ou me
bloque, pour que je puisse récupérer. D'ailleurs sans lui, il
serait impossible d'espérer m'en sortir
Bientôt, à forces de contorsions, je peux enfin m'extirper de cette
oubliette, pour revenir dans la bonne posture... Décidément, cette
position est peut-être bonne pour les chauves-souris, mais pas pour les
spéléos !!!
Après cette expérience, j'ai pu tirer une nouvelle leçon
:
Une topographie, aussi belle soit-elle, n'est souvent pas le reflet de la réalité.
Dans certains cas, elle s'avère être la pure invention de spéléos en panne de mémoire, qui généralement font de la première sans faire de topo, et qui, beaucoup plus tard, se décident quand même à sortir un dessin... en recollant les quelques bribes de souvenirs qui leur restent.Pendant
de nombreuses années, il m'arrivait parfois de me retrouver seul sous
terre. En fait, je n'étais pas vraiment seul dans le gouffre ou la
grotte, seulement distancé de mes équipiers. Pendant ces instants
d'isolement, je me sentais souvent comme épié par quelque chose
à mes côtés. On ne peut pas à proprement parler
de peur, plutôt une anxiété voire un malaise, en tout
cas cela me perturbait. Cette mauvaise compagnie, je la percevais notamment
derrière moi, c'est pourquoi il m'arrivait fréquemment de me
retourner brusquement, afin de tenter de voir cette " chose ". Evidemment,
il n'y avait jamais rien, et c'est justement ce qui me dérangeait,
car c'est bien connu : on appréhende toujours ce que l'on ne voit pas.
Un beau jour, j'en ai eu marre, je devais absolument percer le mystère.
Dans mon esprit, la meilleure solution était d'y faire face, et pour
cela il fallait me retrouver seul dans un endroit totalement isolé
de tout. Pendant plusieurs semaines, je me suis préparé psychiquement,
et un beau jour du mois de mai 2003 je me suis rendu en montagne du côté
de Leysin (Vaud / Suisse). C'est là que s'ouvre le gouffre du Chevrier,
faisant partie du réseau de la Combe du Bryon, où il est possible
de descendre à 500 mètres de profondeur, ce gouffre ne demandant
à peine plus d'une centaine de mètres de cordes à emporter,
donc facilement transportable pour une seule personne.
En quelques heures, j'étais au fond du gouffre, dans une petite salle
ronde et sablonneuse. Ici, la cavité est parfaitement sèche,
pas même une goutte d'eau tombant du plafond, c'est le genre d'endroit
où le silence des cavernes prend vraiment toute son ampleur. Pour moi
c'était le lieu idéal, je me sentais pleinement retiré
du reste du monde. Au bout d'un moment, je me suis assis en tailleur et j'ai
éteint mon éclairage
Dans cette nuit glaçante et profonde
j'ai finalement appelé
ce démon qui me pourchassait depuis si longtemps, en lui demandant
de se manifester une fois pour toutes ! Cela peut prêter à sourire,
mais je ne vous cache pas qu'en ces moments je n'en menais vraiment pas large
Cependant, j'étais préparé, et à ce stade je me
devais d'aller jusqu'au bout, à n'importe quel prix.
Sans bouger, je suis resté dans le noir pendant un bon moment, puis
j'ai rallumé ma lampe. J'étais d'ailleurs surpris en regardant
ma montre, que ma séance " zen attitude " avait duré
vingt minutes ! Comme vous pouvez l'imaginer, pendant tout ce temps il ne
s'est absolument rien passé, sauf peut-être le plus important,
le but même de ma présence : j'avais réussi à dominer
un démon intérieur, un truc caché au fond de moi-même,
probablement une mauvaise histoire qui me poursuivait depuis l'enfance.
Quoi qu'il en soit, depuis ce fameux jour seul au fond de mon trou
je
n'ai plus jamais ressenti cette mauvaise impression. Et cette expérience
a été doublement enrichissante, car en solitaire j'ai découvert
d'autres sensations que l'on ne peut pas ressentir en étant en groupe.
Il m'arrive dès lors de me rendre sous terre en solo, afin de tirer
parti de toute la force de l'environnement souterrain.
Cette expérience m'a ainsi appris une nouvelle leçon de la vie
:
Même
au plus profond des abîmes, on ne trouve rien d'autre que ce que l'on
a apporté ; les réponses se trouvent en soi.
Le printemps
nous amène lentement sa chaleur bienfaitrice, la neige n'est bientôt
plus qu'un souvenir. En ce mois d'avril 2004, 3 personnes ont répondu
à l'appel de l'exploration : Florian, Michel et votre serviteur.
Dans le réseau des Fées de Vallorbe (Vaud / Suisse), nous regagnons
l'aval d'une galerie baptisée Amphibie, à cause des nombreux
affluents qu'elle collecte, formant ainsi une rivière de bon débit,
actuellement une dizaine de litres à la seconde.
Au
point bas du secteur, nous arrivons au carrefour terminal. Ce qui nous intéresse
aujourd'hui, c'est une petite galerie qui s'échappe sur le côté,
elle absorbe toute l'eau de la rivière. Cet endroit n'a jamais été
forcé, il faut dire que les dimensions du conduit n'engagent pas vraiment
à poursuivre. En effet, après 3 mètres un rétrécissement
de 30 par 60 centimètres ne laisse que 5 centimètres d'air au
plafond ! Après quelques hésitations, je m'élance dans
l'étroit chenal
Les
pieds en avant, le visage collé sous la voûte, j'avance très
lentement ; le courant crée passablement de remous, je ne veux pas
encore en rajouter. Je tiens devant moi le casque que j'ai pris soin d'enlever,
et j'éclaire contre moi afin de scruter les détails du plafond,
car je n'ai pas envie de m'esquinter le visage sur cette râpe naturelle...
J'arrive au point critique où il ne subsiste que quelques centimètres
pour respirer. Là, je me rends compte qu'au même endroit mon
corps est également immobilisé dans un rétrécissement
en largeur. Cela coince sérieusement, j'hésite à nouveau
à poursuivre. En gesticulant, j'arrive à changer mon angle de
vision, cette fois je distingue que le plafond se relève peu après.
Je prends alors une bonne bouffée d'air, je me fais au plus mince,
et m'aidant comme je peux aux parois je donne un coup de reins pour me laisser
filer dans le courant.
Voilà
c'est fait
je suis passé ! Je me retrouve dans un petit élargissement
à peine plus grand qu'avant, mais au moins j'ai presque la moitié
du corps hors de l'eau. Au-delà, la rivière dévale un
petit conduit ovoïde de 50 x 40 centimètres. Il se poursuit à
perte de lumière et conserve ses faibles dimensions. Ma curiosité
est maintenant satisfaite, ce n'est pas encore aujourd'hui que je déambulerais
dans de nouvelles et grandes galeries
Il faudra revenir dans de meilleures
conditions, notamment à l'étiage.
Pour
le retour, j'appréhende tout de même l'étranglement fatidique.
Et c'est d'autant plus vrai, je me rends maintenant compte que les conditions
ont changé, pour la simple et bonne raison que je vais évoluer
à contre-courant ! C'est le genre de petit détail auquel on
ne prend pas garde, mais qui ici apporte une nouvelle tournure à une
situation déjà précaire... En effet, dans l'étroiture
le corps fait barrage, et bien sûr au niveau du visage face au courant,
l'espace déjà minimum s'est encore amoindri.
Alors que faire ? Je ne peux quand même pas passer dans la même
position qu'à aller, c'est-à-dire à reculons sans savoir
où je vais et comment mon visage va frôler la voûte ?!
Donc à défaut d'autre choix, je vais me lancer face au courant
en adoptant la technique employée à l'aller, c'est-à-dire
le petit " coup de forcing " pour m'extirper de l'étroiture.
Malheureusement,
une fois en place dans le rétrécissement, le petit coup de reins
n'a pas suffi à me débloquer et mon corps est toujours coincé.
La tête sous l'eau, je reconnais que ce fut l'instant de panique
il est des moments où l'on a plus le temps de réfléchir.
D'un
second coup de reins, ma tête est venue chercher l'air du plafond, et
en m'agrippant de toutes mes forces j'ai brutalement réussi à
m'extirper de ce satané goulet !
Le nez tout griffé, toussant comme un perdu après la bonne tasse
que je venais d'ingurgiter
j'étais quitte pour une belle frayeur.
Pour Florian à mes côtés, qui a assisté à
mes déboires sans pouvoir m'aider, on peut s'imaginer qu'il a eu également
sa part d'inquiétude
Quelqu'un disait un jour que celui qui ne risque rien devient esclave, on
peut bien sûr polémiquer longuement sur le sujet. Je pense finalement
que tant que chacun a le libre choix d'entreprendre une action, personne ne
peut porter un jugement du moment que le geste n'engage que la personne concernée.
Nous avons tous des raisons qui nous poussent à entreprendre certaines
choses, libre à chacun.
Nous sommes
en 2008. Cela
fait plus de 2 ans que nous désobstruons la Baume des Follatons, un
gouffre du canton de Vaud dans le Jura suisse, dont l'intérêt
est vif puisqu'il s'ouvre presque à l'aplomb du réseau des Fées,
qui développe actuellement plus de 12 kilomètres de galeries.
Cet écheveau ne possède qu'un seul accès, donc une nouvelle
entrée apporterait un gain de temps appréciable, mais également
une économie d'effort pour nous rendre dans la zone d'exploration,
située actuellement à 5 kilomètres de l'extérieur.
Il y a 4 mois, notre ardeur à la désobstruction a enfin été
récompensée, un bouchon vertical de 10 mètres de terre
et d'éboulis a été vaincu. Dès lors, quelques
sorties ont permis d'explorer une cavité intéressante, mais
à plusieurs reprises nous avons dû faire parler la poudre, remettant
chaque fois en question nos sempiternels espoirs de jonction.
Après
la pause estivale propice aux escapades vacancières, en ce début
de septembre il est temps de revenir nous occuper de notre trou ! Depuis près
d'un mois, date de la dernière sortie, je n'ai cessé de garder
à l'esprit la vision terminale du gouffre, le départ d'un goulet
entre des rochers colmatés, avec un bloc assez important obstruant
le passage.
Derrière, un nouvel obstacle vertical semble pénétrable.
Le haut d'un méandre ou d'un puits ? Ou simplement une sorte d'oubliette
où seuls l'eau et le courant d'air peuvent s'échapper ? Etrangement,
pour cette fois je ne me suis pas pris au jeu d'imaginer toutes les possibilités
qui peuvent se présenter. A force de s'égarer dans de faux pronostics,
j'ai préféré me laisser porter au gré du temps
qui s'écoule, sans me poser de question, pour simplement constater
ce que la nature nous réservera le moment venu. Car à ce petit
jeu il n'y a aucun doute, Dame Nature est la championne du monde pour fausser
toutes les hypothèses possibles et imaginables
Aujourd'hui,
5 personnes ont répondu à l'appel de l'aventure, soit Bertrand,
Etienne, Michel, Marc et Pierre. C'est autour d'un petit café que nous
faisons la connaissance de Michel, dernier venu dans le team d'exploration.
Hormis Bertrand qui l'a croisé une fois au local du club, c'est la
première fois que nous le voyons ! Sans avoir été prévenu
de sa présence aujourd'hui
j'ai quelques soucis de partir en
exploration avec une personne que je ne connais pas. Le gouffre possède
son lot de passages techniques propres à décourager les moins
téméraires, je suis quand même embarrassé par cette
situation ; il serait dommage de compromettre nos objectifs. Cependant, à
l'écoute de ses années de pratique souterraine dans sa région
natale des Cévennes (France), ainsi que quelques visites de classiques
en Suisse romande, il semblerait que les techniques de corde ne lui posent
pas de problème.
Sur
le parc à quelques minutes de l'entrée du gouffre, c'est sous
la pluie que nous nous équipons. La météo ne va pas s'arranger
pour la journée, alors autant s'en faire tout de suite une raison !
Certains se consolent en disant qu'il faut se dépêcher d'aller
dans le gouffre pour se mettre à l'abri, pourquoi pas ?!
Nous
dévalons les puits du gouffre qui sont étonnamment secs en rapport
au temps qu'il fait dehors. Bientôt, toute l'équipe se retrouve
au bas du puits de la Peur, le terme de la dernière journée
d'exploration, à une profondeur d'environ 140 mètres. Ici, c'est
avec plaisir que j'apprends que Michel n'a eu aucune difficulté pour
descendre, alors tant mieux !
Sans
perdre un instant, nous attaquons le dégagement du bloc qui mit fin
à la dernière exploration. A l'aide d'une corde placée
péniblement autour du caillou, il nous faudra une bonne dizaine de
minutes pour le bouger petit à petit et l'extraire du goulet. Cette
fois la voie est libre, il ne tient qu'à nous de poursuivre notre périple.
Au départ du passage, Bertrand donne encore quelques coups de massettes
pour arrondir certains angles récalcitrants, mais n'étant pas
autrement décidé à plonger dans cette sorte de boîte
aux lettres, il préfère céder sa place à quelqu'un
de plus grêle. Je m'enfile alors dans le pierrier et parvins sans peine
au seuil de l'obstacle vertical, celui qui nargue mes pensées depuis
un mois. Là, c'est avec bonheur et soulagement que je vois que la suite
se présente sous la forme d'un petit ressaut d'environ 3 mètres,
dont les proportions prennent de l'ampleur à mesure de la descente.
J'avais l'appréhension d'une zone exiguë qui aurait sans doute
signé l'arrêt des festivités, nous allons pouvoir encore
apprécier le vin enivrant de l'exploration. Cependant, la direction
que prend notre couloir n'est pas ce que l'on désire de mieux, cela
va même à l'opposé de nos profonds désirs, à
savoir une des galeries du réseau des Fées, située à
moins d'une cinquantaine de mètres. En revanche, depuis le début
de l'exploration du gouffre le courant d'air n'a jamais été
aussi fort qu'en ce moment, donc dans tout le cas il va bien nous conduire
quelque part dans le réseau convoité. Nous sommes tous persuadés
que la jonction est proche, même si depuis quelques sorties nous avons
un peu l'impression que les Follatons et les Fées se sont unis pour
contrer nos avances
Sans
hésiter, je sombre tête en bas dans ce fourreau de pierre, pour
aussitôt me rétablir dans la bonne position. Revenu au sommet
du ressaut, j'ai cette fois beaucoup plus de liberté pour enlever encore
quelques blocs afin d'élargir le passage pour les suivants. Bientôt,
Bertrand s'engage les pieds en avant, et au vu de la rapidité à
laquelle il franchit l'obstacle, ce n'est maintenant qu'un simple ralentissement.
Au bas du R3, une jolie marmite s'est creusée dans la roche en place,
attestant le lent travail de l'eau au fil des millénaires. Les gens
arrivent à tour de rôle, et après le quatrième
équipier je n'ai pas d'autre alternative que de poursuivre notre route
pour libérer de la place. Un nouveau ressaut est ainsi franchi, plus
vertical que le précédent, mais ne posant pas de difficulté
à désescalader. Nous arrivons alors dans une petite chambre
au sol revêtu d'une couche d'argile. Là, nous recoupons une petite
rivière d'un demi-litre à la seconde sortant d'un méandre
à moitié inondé, et qui poursuit sa route dans un laminoir
où l'eau a la fâcheuse idée d'en occuper toute la largeur
Le puissant courant d'air suit le même chemin et ne fait que confirmer
la marche à suivre ! Au-delà, avec le peu que l'on distingue
sans devoir se mouiller, nous savons que le passage se prolonge dans les mêmes
conditions sur au moins quelques mètres.
Avec
ce nouvel obstacle, on peut vraiment dire que ce gouffre nous a gratifiés
de toutes les difficultés ! Un bouchon de 10 mètres de terre
et d'éboulis pour commencer, des étroitures verticales, des
passages en puits ou en méandre qui sont boueux à souhait, une
grosse trémie instable, et voici maintenant qu'il nous invite au bain
rafraîchissant ! Actuellement, nous ne sommes bien sûr pas équipés
pour la circonstance, et c'est justement ce qui nous tracasse.
Cela
fait maintenant 5 minutes que notre groupe est en discussion pour trouver
la solution, le bon compromis entre l'exploration et la topographie. Nous
savons qu'en franchissant le passage aquatique les topographes ne pourront
pas lutter bien longtemps contre le froid et mener à bien leur besogne.
Il reste alors la possibilité de s'arrêter ici et lever la topo
sur une vingtaine de mètres, jusqu'à la fin actuelle du dessin.
Mais tout de même, devoir se contenter de 10 mètres d'exploration
pour la journée en étant peut-être à deux doigts
de réaliser une jonction avec les Fées ? Et tout cela parce
que l'on n'a pas envie de se mouiller au risque de grelotter durant quelques
heures ? Pour ma part, le choix devenait aussi limpide que l'eau du ruisseau,
d'autant que celui-ci s'échappe maintenant perpendiculairement à
la direction initiale, augmentant ainsi les probabilités de se diriger
dans la direction idéale.
Finalement,
je m'engage sans discuter dans le laminoir. C'est sur un tapis de glaise molle
que j'avance à plat ventre. L'eau s'insinue gentiment dans la combi,
les gants et les bottes. La sensation est peu agréable, mais à
la longue on s'y fait
Heureusement, le plafond se relève après 3 mètres de
reptation. La hauteur passe à 1,5 mètre pour une largeur d'un
mètre. Un nouveau virage à angle droit me ramène cette
fois dans la direction recherchée, maintenant tout concorde à
merveille, la conquête du Graal arrive dans la dernière ligne
droite ! L'excitation me gagne intensément, j'explique aux autres que
le passage aquatique est très bref et que les dimensions reprennent
de l'ampleur. Bertrand me rejoint en poussant le kit avec le matériel
topo, que je récupère sitôt à ma portée.
Tous deux, nous poursuivons la galerie sur une quinzaine de mètres.
Là, à l'orée d'un bel élargissement, le ruisseau
s'engouffre intégralement d'ans une perte. Nous arrivons à la
base d'une cheminée. Devant nous, la galerie continue dans les mêmes
proportions que celles après la baignade, à la différence
que, et cela pour notre plus grand plaisir, avec l'eau en moins ! Je propose
à Bertrand d'attendre ici pendant que je vais essayer de rapatrier
le solde des copains. Je sens que la jonction est en passe de se concrétiser,
j'aimerais bien que l'on puisse en profiter tous ensemble.
Revenu
au passage aquatique, je donne les dernières nouvelles quant à
la galerie sèche qui file droit vers les Fées. Michel est convaincu
et s'engage dans l'eau. Derrière lui, Etienne et Marc ne suivent pas.
J'insiste en prétextant que je ressens dur comme roche que la jonction
est proche, mais rien à faire, ils sont tout autant bornés que
moi ! En descendant, Marc a eu quelques soucis pour franchir le pincement
final du méandre Blanche Glaise et les 7 Gouilles, au débouché
du puits de la Peur. Dès lors, il n'arrive pas à penser à
autre chose que ce passage au retour, avec peut-être d'autres complications
plus sévères à la clé. J'imagine que Etienne ne
désire pas le laisser seul, c'est pourquoi ils décident de remonter
conjointement.
De
retour vers la cheminée où j'étais sensé retrouver
Bertrand et Michel, il n'y a plus personne !
J'y
crois pas !... ...
Moi qui essaye comme un diable de regrouper toute la meute, c'est tout le
contraire, c'est la débandade ! Je m'engage alors dans la galerie qui
file devant moi, à la poursuite des éclaireurs se la jouant
égocentriques le temps d'un moment ! Il faut dire que l'appât
de l'exploration est déjà éloquent, si en plus on y ajoute
l'attrait d'une jonction évidente, la tentation semble avoir été
si forte qu'elle a balayé toute morale
Cela
fait maintenant une centaine de mètres que je progresse à quatre
pattes sur un lit d'argile relativement dur. La galerie serpente dans tous
les sens et je serai actuellement incapable de dire dans quelle direction
je vais. Les dimensions n'ont pas changé depuis le début, grossièrement
moins de 1,5 mètre au carré. Les traces que je suis dans la
glaise me relèguent inévitablement au rang de pisteur, et vu
la distance parcourue je commence sérieusement à douter de la
jonction. J'arrive alors à un carrefour avec 2 conduits similaires,
où il y a des traces de part et d'autre. Bientôt, une lumière
se reflétant dans un bassin m'indique que Bertrand et Michel approchent.
Après les réprimandes de circonstance... Bertrand, un peu confus,
m'explique qu'il a débouché dans un méandre transversal
sans aucune trace de passage, vu l'absence totale de sédiments.
Dans mes pensées, cette information ne fait pas de doute, il a débouché
dans le réseau des Fées quelque part dans le méandre
qui zigzague au dessous de la galerie Merlin. J'en connais seulement une partie,
celle que nous empruntons pour shunter la fin de la galerie Merlin, assez
argileuse. Cependant, Bertrand a peut-être aussi débouché
dans l'amont de ce méandre, reconnu sur quelques dizaines de mètres
seulement. Bien que nous avons déjà plusieurs heures à
passer à la topographie de ce qui a déjà été
découvert aujourd'hui, je ne vais bien sûr pas quitter les lieux
sans savoir si la jonction est consumée, et à quel endroit ?
Le
trio repart donc en direction du méandre et débouche rapidement
dans celui-ci. Les dimensions sont vraiment importantes, environ 1,5 mètre
de large pour 5 à 6 mètres de haut. Je n'arrive pas encore à
être catégorique quant à la jonction, pourtant j'en suis
intimement persuadé. Au vu des dimensions, nous ne pouvons être
que dans le fameux méandre sous la galerie Merlin. Pour en être
fixé, il suffit de prendre à l'aval où nous allons forcément
la recouper. Après 10 mètres de parcours, un grand coude à
gauche m'interpelle. Je reconnais parfaitement l'endroit où l'eau a
creusé un petit chenal étroit à l'intérieur du
virage, tandis que nous progressons sur une banquette supérieure.
Ma
joie est profonde... Après plus de 2 ans d'acharnement à tenter
de percer le mystère de la Baume des Follatons, nous avons enfin réussi
à fusionner avec le réseau des Fées. Une nouvelle entrée
au cur du dédale, un accès direct au jardin des délices,
le paradis suprême et très convoité des explorateurs de
la région. Pour l'heure, j'imagine que Marc et Etienne seraient comblés
en ces lieux, surtout que pour arriver jusqu'à nous il n'y a pas d'autre
difficulté que de ramper quelques mètres dans l'eau. Bertrand,
ayant quelques remords après sa petite échappée solitaire,
se propose d'emblée d'aller chercher la paire manquante, en espérant
seulement qu'ils n'ont pas encore attaqué la remontée des puits.
En attendant que tout ce petit monde revienne, j'emmène Michel du côté
de la galerie des Epées qui débute à quelques mètres
de là, afin de lui montrer l'allure de ce vaste collecteur temporaire.
Après
une dizaine de minutes, revenus au débouché de la galerie du
Graal, fraîchement nommée pour des raisons évidentes,
Bertrand arrive au même moment, tout essoufflé après un
aller-retour de plus de 200 mètres à quatre pattes, de surcroît
sur les chapeaux de roue ! Il nous informe que Marc et Etienne ont entamé
la remontée des puits, mais ils ont quand même pris connaissance
de la bonne nouvelle.
Maintenant, Bertrand est très inquiet, car le débit de la petite
rivière que l'on croise le temps d'un bain forcé a selon lui
augmenté sensiblement de débit. En sachant qu'il pratique la
spéléologie depuis moins d'une année, je ne m'inquiète
d'aucune façon, je sais bien que quand le doute plane en côtoyant
une rivière, on a toujours l'impression que le débit grossit.
Mais finalement, trempés comme nous sommes, je me dis aussi que de
toute façon nous n'allons pas faire du bon travail si l'on s'obstine
à perdurer en ces lieux. Je propose alors d'entamer le retour, non
sans faire au préalable un petit détour par la cheminée
Merlin. Arrivés dans cette cheminée d'une quinzaine de mètres
où un petit ruisseau arrive du plafond et coule le long d'une grande
coulée stalagmitique brunâtre, nous nous plaisons à nous
rappeler que depuis 4 mois, date à la laquelle nous avons franchit
le bouchon de blocs à l'entrée des Follatons, nous avons souvent
pensé à déboucher dans le réseau à cet
endroit. C'était le plus proche en distance, mais surtout le plus propice
puisqu'il n'y a pas d'autres cheminées dans le secteur.
Soudain,
Bertrand s'exclame qu'il vient d'entendre une arrivée d'eau surgissant
à proximité. Mes problèmes d'audition ne me permettent
pas de le contredire, néanmoins, avec les propos qu'il tenait il y
a peu au sujet du débit de la rivière qui avait augmenté,
je commence à croire qu'il n'avait pas été victime de
son imagination
Je sais également que nous sommes dans un des
points bas du réseau, collectant les eaux de crues. Par ailleurs, au
printemps 2007, une partie du matériel que nous laissons sur place
d'une sortie à l'autre avait été emporté par une
crue, et c'est justement à 50 mètres d'ici que nous avons retrouvé
une partie des affaires
Bref, la zone où nous sommes est franchement
malsaine, alors dans le doute il faut vraiment décamper au plus vite
!
D'un
pas alerte, nous sommes sur le chemin du retour. Dans la galerie du Graal,
je franchis un bassin avec de l'eau jusqu'aux genoux, alors qu'à l'aller
au même endroit, cela ne dépassait pas la hauteur des bottes
Arrivé à la petite bifurcation où j'avais retrouvé
il y a peu mes coéquipiers, une nouvelle rivière débouche
de l'autre galerie alors qu'elle était parfaitement sèche à
l'origine. Eh bien mes amis, nous sommes dans de beaux draps !... En y réfléchissant,
l'instant confirmé de la jonction a également déclenché
le déluge, car c'est à partir de ce moment que les ruisseaux
ont subitement grossi. Peut-être que les Fées et les Follatons
n'ont pas digéré leur union et le manifestent à leur
façon ?!...
Toujours
est-il que la tension de chacun monte en flèche, la progression à
quatre pattes dans la galerie du Graal prend des allures de compétition
! Arrivés au passage aquatique surnommé "le Mouille-cravate",
c'est de la folie furieuse ! A l'origine, nous nous plaignions d'un petit
ruisselet qui nous obligeait à ramper dans 3 centimètres d'eau,
maintenant c'est une rivière déchaînée de 10 centimètres
de profondeur qui nous balaye la figure ! Le franchissement étant assez
limite, l'euphémisme de dire que l'on a eu chaud est peut-être
quelque peu déplacé ! Arrivés à la base du puits
de la Peur nous sommes enfin soulagés. Il reste certes quelques puits
peut-être ruisselants à remonter, mais trempés comme nous
sommes, je ne vois pas trop ce qui pourrait nous arriver de pire ? Et pourtant...
Après
avoir mangé seulement quelques bricoles pour ne pas devoir le regretter
avec l'effort de la remontée, Michel commence l'ascension de la corde
pendant qu'avec Bertrand nous essorons nos chaussettes... Michel n'a pas l'air
très à l'aise dans ses mouvements, mais peut-être que
c'est par manque d'habitude. En second, Bertrand s'élève d'un
mouvement plus alerte, il faut dire qu'avec l'entraînement de ces derniers
mois il évolue presque dans son propre jardin !
Pour ma part, je sais qu'en étant le dernier la remontée ne
sera pas rapide, alors dès que la corde devient libre je ne suis pas
du tout pressé d'emboîter le pas de mes coéquipiers, d'autant
que nous avons convenu de ne pas nous attendre entre les puits.
Dans
le méandre Blanche Glaise, les passages répétés
de personnes et kits franchement mouillés ont laissé des séquelles,
on se croirait en train de ramper dans un marécage visqueux ! Arrivé
dans la grande trémie sous la salle de la Cathédrale, la randonnée
tourne au cauchemar ! L'eau coule de partout et l'escalade entre les blocs
se fait presque à l'aveuglette sous une cascade d'embruns. Il y a deux
minutes je pestais dans le méandre sur la quantité de boue nous
recouvrant entièrement en l'espace d'une dizaine de mètres,
en regardant maintenant ma combinaison j'ai l'impression de sortir tout droit
d'une machine à laver !
Ici,
c'est la même eau qui alimente la rivière au départ de
la galerie du Graal, donc en ayant rampé juste avant dans ce cours
d'eau très en colère on peut aisément s'imaginer ce qui
s'abat actuellement sur nos épaules ! Au sortir de la trémie,
Bertrand vient m'accueillir, car il commençait à s'inquiéter
de mon retard. Michel est déjà engagé dans le puits suivant,
d'une hauteur de 22 mètres. L'attente est donc de mise, il faudra s'y
faire car nous sommes encore à près de 120 mètres de
profondeur. Avec Bertrand, nous constatons que cette nouvelle remontée
de corde va être aussi arrosée que dans la trémie, nous
avons quand même quelques soucis pour la sortie du puits où il
faut franchir une étroiture verticale d'environ 3 mètres.
Heureusement il n'en sera rien, l'eau commence à se répandre
juste sous le passage. Arrivé au sommet de ce puits, je retrouve Bertrand
et Michel qui patientent gentiment ; Marc et Etienne sont juste au-dessus.
En fait, ces derniers se trouvaient dans les puits au moment où la
crue s'est déclenchée, ils n'ont pas voulu poursuivre en pensant
venir nous prévenir de sortir au plus vite. Finalement, ils se sont
rendu compte que redescendre dans la tourmente s'était s'exposer à
de nouveaux risques, alors ils ont préféré nous attendre.
Lorsqu'ils nous ont entendus approcher, c'est avec soulagement qu'ils ont
repris le chemin de la sortie.
A
mes côtés, Michel a vraiment mauvaise mine. Son visage est blanc
comme un drap et il tremble de manière exagérée ; mais
j'imagine bien que c'est indépendant de sa volonté. Il me reste
un litre de thé chaud que j'ai à peine entamé, il est
vrai que jusqu'ici nous n'avons pas vraiment pris le temps de nous arrêter
! Après quelques gorgées, la corde devient libre et Michel préfère
démarrer sans attendre l'ascension du P37. Ce puits est un peu moins
arrosé que le précédent, mais en tout cas pas suffisamment
pour s'en réjouir ! L'eau provient du haut de la cheminée qui
a l'air de se perdre dans les hauteurs astrales. Après 20 mètres
de remontée, un fractionnement permet de se décaler gentiment
des embruns, et l'on s'élève ensuite dans une cheminée
parallèle aboutissant au goulet des Aveugles, une nouvelle étroiture
verticale permettant de sortir du puits. C'est le genre de passage où
généralement les gens ronchonnent, il faut avancer par des petits
à coups sur les bloqueurs, l'espace n'étant pas suffisant pour
lever les genoux. Mais en ce moment, c'est paradoxalement une grande joie
de fournir quelques efforts supplémentaires afin récupérer
un peu de cette chaleur qui nous fait défaut, mais surtout, le plus
appréciable, se retrouver dans un endroit totalement sec.
J'arrive
au bas du P20, le puits de la Douche. Comme son nom l'indique, nous savons
depuis quelques semaines que ce puits est passablement actif par temps de
pluie, ce qui veut dire qu'actuellement je n'aurai pas besoin de remettre
une nouvelle pièce dans le lavage automatique
Et c'est vraiment
peu dire, car justement la rivière suit exactement le chemin de la
corde
Cependant, à seulement une cinquantaine de mètres
sous la surface, le moral s'en porte déjà beaucoup mieux, alors
finalement, un peu plus ou un peu moins d'eau quelle différence ?
Arrivé
au sommet de ce puits, je vois Bertrand qui s'engage dans la dernière
longueur, et j'ai le plaisir de retrouver Marc qui est en attente. De bon
coeur, malgré qu'il grelotte, il a préféré céder
sa place aux suivants pour qu'ils ressortent au plus vite. Il m'explique les
détails de leur équipée, et notamment la grande inquiétude
à notre sujet lorsqu'ils ont vu ces déluges d'eau s'abattre
dans les puits. Il me parle également de Michel, qui au bas du puits
de la Douche n'était toujours pas réchauffé malgré
la remontée du puits de 37 mètres. Il tremblait toujours comme
une feuille, et Marc lui a également fait boire un peu de thé
chaud avant le nouveau tronçon de corde, la nouvelle rincée
!
Un
peu plus tard, tout le monde est enfin sorti du trou. Il pleut toujours à
verse, mais maintenant c'est presque un plaisir de sentir de l'eau chaude
nous couler dessus...
Chacun de nous a le sourire aux lèvres, c'est peut-être en repensant
à notre aventure aux multiples rebondissements. Comme dans toutes les
nouvelles cavités, il faut toujours un certain temps pour comprendre
et évaluer les dangers, nous venons aujourd'hui d'en faire les frais
sans que personne ne puisse imaginer ne serait-ce qu'un instant, que ce gouffre
draine autant d'eau sur une si petite distance. Espérons que notre
expérience servira pour d'autres et évitera peut-être
une prise de risque aux plus audacieux.
Le
livre de l'exploration de ce gouffre se referme, mais avec un nouvel accès
en plein coeur du réseau des Fées, il a engendré de nouvelles
pages blanches, l'aventure continue...