" La spéléologie, c'est également prendre conscience de la puissance énergétique du milieu souterrain, en se laissant pénétrer par ce bien-être silencieux. "



Pour les intéressés, la pratique de la spéléologie apporte beaucoup plus que le simple plaisir de parcourir une grotte. C'est également une manière de se ressourcer et de décharger quelques tensions accumulées au rythme de la vie quotidienne. Mais pour le savoir, il faut avoir vécu cette passion, afin d'en apprécier les richesses.

La plupart des gens ne comprendront jamais ce qui nous pousse à descendre sous terre, car pour eux c'est un milieu amorphe, où règne le froid, l'humidité, la boue, et où il n'y a rien d'autre à voir que des pierres… C'est clair que c'est une façon de voir les choses, pourtant la réalité est autrement plus objective! Pour en juger, il faut avoir eu l'occasion de descendre sous terre, autrement qu'en visitant une grotte touristique. Si c'est le cas, les gens découvrent ainsi une face cachée de ce milieu, et pourtant ils n'ont fait que de l'effleurer.

Avec quelques années de pratique, le spéléologue s'adapte toujours mieux à cet élément, mais quelques fois il reprend conscience qu'il ne pourra jamais le maîtriser totalement. Sous terre, l'homme n'est jamais à l'abri d'un incident, ou d'un caprice de l'élément qui l'entoure. C'est Dame Nature qui nous fait ainsi comprendre que c'est elle qui reste la maîtresse des lieux, et qu'il y a certaines règles à observer.

Alors forcément, en 30 années de pratique, mes quelque 800 incursions souterraines ont apporté leurs lots de joies, d'émotions, d'émerveillement, mais aussi quelques moments moins agréables, voire difficiles. Certains de ces souvenirs ont malheureusement disparu ou été enfouis dans un recoin de mémoire, mais d'autres resteront ancrés à jamais.

Voici donc quelques morceaux choisis, histoire de ne pas oublier que notre bonne étoile peut un jour se voiler, voire s'éteindre dans le pire des cas...
En conclusion, chaque expérience nous rend plus fort, si nous sommes capables d'en tirer profit.

Une entrée peut en dissimuler une autre...
Une trémie n'a de danger que pour celui qui veut l'affronter
Le destin en avait décidé autrement
Un éléphant dans un magasin de porcelaine
Quand la féerie tourne à l'enfer
Le cadeau d'anniversaire
Improvisation topo...
Les démons intérieurs
Une bonne tasse
Une jonction mouvementée




Une entrée peut en dissimuler une autre...

En 1981, lors du week-end de Pâques, quelques membres du club avaient profité de ce congé prolongé pour faire un peu de spéléo dans le sud de la France. Nous étions une dizaine, et avions installé nos tentes au bord de l'Hérault. Nous visitions des grottes pendant la journée, mais certains occupaient également leurs soirées en allant s'amuser dans les bars et autres night-clubs de la région…
Le second soir, après un repas au restaurant, la plupart désiraient se coucher ; il ne restait alors que deux courageux, pour effectuer une petite virée nocturne du côté de Montpellier.

De retour au petit matin, nous allions nous coucher au moment où certains se levaient !!! C'est donc en début d'après-midi que nous nous sommes réveillés, et bien sûr il n'y avait plus personne au camp. Nous étions quand même dans la région pour faire de la spéléo, par conséquent l'heure n'était pas trop avancée pour se faire une petite visite ! En feuilletant les documents que nous avions à disposition, nous avons rapidement trouvé un truc sympa : la traversée de la grotte Gennevaux.
Il s'agissait de pénétrer sous terre par un gouffre, parcourir quelques galeries et salles, et ressortir un peu plus loin par une grotte. Cette cavité étant utilisée pour l'initiation, la ballade ne prendrait pas plus d'une heure ; c'était ainsi un but idéal, vu l'heure tardive et notre état encore quelque peu comateux…

Bientôt, nous arrivons sur un petit parking en bordure de route. Selon le descriptif, le gouffre se trouve à une centaine de mètres, et il suffit de suivre quelques marques rouges et blanches. La cavité étant située dans une zone militaire, il était également recommandé de ne pas s'écarter du chemin. Après quelques hésitations sur les multiples sentiers et embranchements, nous arrivons à l'orifice du gouffre, dont la configuration correspondait parfaitement à notre description, à savoir : un puits spacieux de moins de vingt mètres avec un grand chêne pour y placer nos agrès.
Etant donné que ce puits est le seul obstacle nécessitant une corde, nous avons déjà convenu de rappeler celle-ci en bas, afin d'éviter de devoir revenir la récupérer. Dans le même ordre d'idée, nous avons jugé inutile de s'encombrer du matériel de remontée, alors que de toute façon il n'y a qu'un seul rappel, et d'autant qu'il est à l'entrée. De plus, le reste de la visite ne comportait aucune remontée ou difficulté, c'est donc avec un strict minimum que nous visiterons la grotte.

Nous plaçons la corde en double autour de l'arbre, et je descends le premier. En bas, alors que la luminosité s'est quelque peu estompée, un objet frappe immédiatement mon attention : une grosse bougie placée sur un bloc. Il arrive fréquemment que l'on en trouve dans des grottes à caractère facile, devant servir à priori de repère pour certains explorateurs en herbe. Mais généralement, celles-ci sont de petites dimensions car on en trouve souvent plusieurs sur le parcours. Malgré tout, cet objet éveille notre attention, et c'est avec un léger doute que nous jugeons utile de ne pas effectuer immédiatement le rappel de la corde. Nous serons d'ailleurs rapidement fixé, car selon le topo nous sommes au départ d'une pente raide qui doit nous conduire rapidement dans une jolie salle.
Devant nous, il y a effectivement une galerie qui descend, et c'est confiant que nous nous y engageons. Rapidement, les dimensions s'amenuisent, accompagnées d'un peu de glaise… Nous pensons avoir loupé un départ quelconque, et inspectons l'endroit dans de plus amples détails. Au bout d'un moment, c'est le moral à plat que nous revenons à la base du puits.
Il faut nous rendre à l'évidence : cette cavité n'est pas celle que l'on était sensé faire, et nous sommes maintenant comme deux abrutis coincés dans une oubliette !!!
Nous essayons de comprendre notre erreur, car pourtant nous avons suivi scrupuleusement les indications du descriptif, qui par ailleurs concordaient parfaitement jusqu'ici, sauf un léger petit détail : ce n'est pas le bon trou !!!...

Donc pour l'heure, nous sommes dans de sales draps : les parois du gouffre sont verticales, notre matériel de remontée est dans la voiture, et nous n'avons même pas un bout de ficelle permettant de réaliser un prussik (nœud utilisé en montagne, permettant de coulisser sur une corde, mais se bloquant avec le poids). Mais le plus ennuyeux dans l'histoire, c'est que personne n'est au courant de notre présence en ces lieux !!! La région est un vrai gruyère, si les secours doivent inspecter chaque cavité, cela veut dire que nous sommes coincés pour un long… long… long moment !!!

En voyant où la bougie avait été disposée, nous comprenons que c'est sûrement de précédents sauveteurs qui ont eu l'idée de la placer à cet effet. Maigre consolation que la chaleur d'une bougie… pourtant quel réconfort d'avoir un peu de lumière si l'éclairage personnel venait à manquer ; car il est évident que ceux qui effectuent ce genre de petite traversée n'emportent pas du carbure en réserve.
Mais pour l'instant, il est hors de question d'allumer cette chandelle ; cela ne ferait que confirmer que nous sommes résignés à subir notre sort.

Cette situation est tout de même idiote à quelques mètres de la surface, d'autant plus que nous avons eu la présence d'esprit de ne pas rappeler la corde ; mais à quoi bon avoir une corde si on ne peut pas l'utiliser ?
C'est à ce propos que j'eus soudain une pensée : chaque spéléologue sait qu'il est difficile voire impossible de remonter à bout de bras sur une corde spéléo, qui plus est, si celle-ci est en plein vide. Mais dans notre cas, puisque la corde est disposée en double à cause du rappel, ce n'est pas une, mais deux cordes que nous avons face à nous. De plus, même si les parois sont verticales, les 2 brins descendent à fleur de rocher, où il y a suffisamment de quoi poser les pieds.

Je n'avais nulle envie de moisir plus longtemps ici, c'est donc sans hésitation que je m'élançai après m'être débarrassé de tout poids superflu. En montant, j'équilibrai le corps au maximum par rapport aux prises de pieds, afin de soulager l'effort sur les bras. J'étais même surpris de l'excellente prise de main que nous offre une double corde, ce qui en définitive relativisait quelque peu les risques encourus…

Mon équipier quant à lui ne voulut pas jouer les équilibristes, je fis ainsi un aller-retour à la voiture, afin de lui ramener un matériel de remontée.


         



Une trémie n'a de danger que pour celui qui veut l'affronter

Tout le monde connaît le gouffre du Chevrier, faisant partie du réseau de la Combe du Bryon (Vaud / Suisse). Cette cavité est réputée pour ses gros volumes, ainsi qu'une une belle rivière qui parcourt la moitié du gouffre. A l'amont, cette eau sort d'une grosse trémie, consécutive à un effondrement qui a obstrué entièrement la galerie. Quand on voit les dimensions du conduit (4 x 8m), ainsi que le débit de la rivière qui en sort (plusieurs mètres cubes lors des crues), on imagine aisément que la suite du réseau doit être aussi grandiose. Nous avons essayé plusieurs fois de passer au travers en cherchant un passage entre les cailloux, mais ces tentatives frôlaient le suicide, au vu de la taille de certains blocs (plusieurs tonnes), et leur stabilité précaire.

Cette zone est également le point de jonction avec une autre cavité : la Grotte Froide. Nous avons donc passé tout le secteur au peigne fin, afin d'étudier toutes les possibilités pour court-circuiter l'obstacle. Trois diverticules ont retenu notre attention, mais ces derniers étaient également bouchés par des blocs effondrés. Dans deux d'entre eux, un bon courant d'air laissait présager quelques espoirs, tandis que le troisième était parfaitement colmaté. Nous avons donc commencé à désobstruer le plus évident : une petite lucarne de 1 mètre par 50 centimètres, située au pied d'une paroi dans la Grotte Froide.

Afin de bénéficier d'un minimum de sécurité, nous avons confectionné une sorte de long crochet, permettant de déloger les cailloux à distance. Les premières séances n'ont pas vraiment causé d'inquiétude, car nous avions les blocs face à nous, et il suffisait de les retirer pour que derrière il en revienne d'autres. A cet effet, la technique était simple : repérer quel bloc retient les autres, enfiler le crochet dans un interstice, et tirer le tout !!!
Après quelques sorties, il se créa une sorte de petite cheminée derrière la lucarne. Mais pour continuer, il fallait mettre la tête dans le passage, pour placer le crochet au bon endroit… Là, cela commençait à devenir délicat… Il fallait essentiellement de bons réflexes, afin de s'éjecter rapidement !!!…

A mesure que le vide grandissait, il fallait ensuite avoir recours à des crochets plus longs, dont le dernier en date faisait presque 3 mètres. De temps à autre, toute la cheminée se rebouchait… alors il suffisait de recommencer !
Notre technique était certes efficace, mais nécessitait des nerfs d'acier…

Un jour, nous avons dégagé un gros volume dans la cheminée, puis l'heure du repas est arrivée.
Nous étions assis bien tranquillement à quelques mètres, lorsque soudain un bruit terrible nous fit sursauter. Non seulement la cheminée venait de se reboucher, mais ce fut le début d'une réaction en chaîne, qui provoqua un ébranlement quelque part au-dessus de nous, comme si toute la montagne s'était mise en mouvement. Notre première réaction fut de détaler rapidement, car nous avions l'impression que la voûte allait céder. Nous nous sommes donc déplacés un peu plus loin, dans une zone plus accueillante…
A partir de cet instant, et sur près de 30 minutes, nous avons entendu à espacements irréguliers, des grondements de rochers qui devaient rouler quelque part au-dessus de nous. C'était impressionnant, car nous savions que quelque chose se passait, mais nous étions incapables de dire d'où cela provenait.

" La grotte avait parlé, et ne désirait pas qu'on la dérange "

Nous étions donc quitte pour une belle frayeur, et c'est sans regret que nous avons suspendu nos travaux pour la journée.
Pour moi, le message était clair : il devait exister au-dessus un vide colossal, et c'était pour cette raison que toutes les galeries de la zone étaient bouchées par des blocs. Nous étions assurément à deux pas d'une grande découverte peut-être sans précédent… néanmoins une question se posait alors : quelle était la porte d'accès la plus favorable, et surtout laquelle était la moins dangereuse ?...

La lucarne dans la Grotte Froide ne nous motivait plus autrement… c'est donc dans le second diverticule que nous avons porté notre intérêt. Situé à une vingtaine de mètres du précédent, celui-ci se trouvait cette fois dans la partie du Chevrier, proche du boyau de jonction. Là, une petite galerie remontait sur une dizaine de mètres, avant de buter sur une nouvelle lucarne obstruée.
Contrairement au premier chantier, la pente était plus forte, et les derniers mètres se faisaient à quatre pattes. Cette configuration compliquait davantage les opérations, afin de déguerpir à chaque fois que les blocs s'ébranlaient. Le crochet nous rendit à nouveau service, mais le maniement à bout de bras d'une barre de 3 mètres en étant à genoux, ne donnait pas une grande précision dans la manoeuvre. Quand un vide plus conséquent se créait entre les blocs, et qu'il fallait s'approcher trop près de la lucarne, il nous arrivait de placer une charge explosive (charge creuse) au bout d'un bâton, que nous plaquions dans la trémie.

Au fil du temps, nous avons ainsi effectué quelques sorties kamikazes… où les gens n'étaient pas vraiment motivés pour donner un coup de main !!! Il faut également savoir que ce n'est pas tout de faire dégringoler les blocs, il faut ensuite les évacuer pour faire de la place aux suivants. Autrement dit, c'était bien agréable de travailler à plusieurs personnes.

Un jour d'octobre 1996, notre perspicacité fut enfin récompensée. Après avoir retiré les derniers blocs, le goulet était libre et donnait à la base d'une petite cheminée de 4 mètres. Au sommet, je distinguai une continuation de part et d'autre. Notre joie était à son comble, surtout qu'un bon courant d'air nous accompagnait. Seulement cette joie avait un parfum d'amertume, car les parois de la cheminée étaient tapissées de blocs… dont la plupart n'étaient pas vraiment stabilisés.
C'est donc tout en douceur, en étudiant chaque mouvement, que je gravis l'obstacle pour me retrouver un peu plus haut sur un palier, constitué cette fois d'une bonne roche en place, comme on les aime dans ce genre de situation...
De là, c'est avec impatience que je m'engageai dans une fissure spacieuse. Malheureusement, celle-ci se terminait quelques mètres plus loin, dans une petite chambre hermétique. Les chances s'amenuisaient, mais tout n'était pas encore perdu.
De retour au puits, je commençai par poser un spit, car j'avais pris soin d'emporter une échelle souple, afin que le cas échéant, je puisse redescendre sans appui sur les parois.
En face de moi, je distinguai une continuation évidente, mais celle-ci était une fois de plus constituée d'un agglomérat de blocs. Ces derniers étant bien espacés, je remarquai que tout le courant d'air s'y engouffrait, et qu'au delà un vide pénétrable se profilait. Il y avait aussi un petit filet d'eau qui filtrait au travers de la masse, donc tout concordait sur le chemin à suivre, vers une découverte tant espérée…
Cependant, pour attaquer ce nouveau bouchon, il n'était plus question d'utiliser le crochet depuis l'endroit habituel, car il était beaucoup trop éloigné. La seule solution à ce moment, c'était de manier le crochet depuis le palier où je me tenais, avec le risque que les rochers qui vont tomber, rebouchent le passage par lequel j'étais arrivé…! …
Alors que faire ?… … abandonner si près du but, et garder des remords en pensant que d'autres personnes reviendront et franchiront peut-être ce passage ? Pour l'heure, en dépit de toute réflexion, c'était peut-être la solution la plus sensée. Mais il est difficile de porter jugement, car dans ces moments là, après tant d'années de persévérance, on ne voit rien d'autre qu'une voie qui se profile vers la découverte de sa vie !!! Cette euphorie est inexplicable ; c'est comme une drogue, et c'est plus fort que tout …

D'un autre côté, la situation ne paraissait pas si dramatique. Depuis l'endroit où je me tenais, j'étais bien à l'abri car les blocs fileraient directement dans le puits. Au pire qu'est ce que je risquais : être coincé un moment en attendant de déblayer à nouveau le passage !!!
Après avoir bien relativisé la situation, j'ai pris soin de remonter l'échelle souple, et demander qu'on me passe le crochet ainsi qu'un peu de nourriture et boisson, au cas où…


C'est d'un coup sec que je tirais sur le crochet, que j'avais introduit aisément dans l'amas précaire. Il n'en fallait pas autant pour déstabiliser l'ensemble, et c'est dans un fracas impressionnant que tout commença à dévaler. Malheureusement, ce que je voyais était la pointe de l'iceberg… car l'amas rocheux retenait une quantité autrement plus grande, dissimulée derrière. J'étais un spectateur aux premières loges, face à une rivière de rochers filant dans le puits, et totalement impuissant afin d'en limiter le débit. A ce moment, un sentiment malsain m'envahit entièrement… C'est dans ces moments là qu'on aurait envie de se réveiller brusquement, afin de se sortir d'un horrible cauchemar…

De leur côté, les copains étaient très inquiets. Je leur avais dit que quelques blocs allaient tomber, c'était vraiment peu dire par rapport à la quantité de rochers arrivant jusqu'à leurs pieds, et tout ça dans un vacarme déconcertant. Ils me voyaient déjà ensevelis sous des tonnes de cailloux, c'est pourquoi ils s'empressèrent de m'appeler dès que le calme fut revenu.

C'est avec bonheur qu'ils apprirent que j'allais bien. Mais d'où j'étais, les choses se présentaient assez mal… En effet, le puits par lequel j'étais monté était rempli au quart, et face à moi, une petite galerie remontante se prolongeait sur quelques mètres (section de 1 x 1.5 m), pour buter sur un nouveau bouchon beaucoup plus important que le précédant. Cette fois, j'étais conscient d'un danger amplement plus sérieux, qui menaçait à tout instant de prendre le dessus. En conséquence, il fallait agir le plus rapidement possible.

Après avoir expliqué la situation aux copains, je leur demandais d'évacuer les blocs au plus vite, pour que la base du puits se vide à nouveau afin de pouvoir ressortir de mon impasse. De mon côté, il était beaucoup trop dangereux d'aider au fond du puits, car à tout moment des blocs se détachaient du haut, et finissaient leur course au même endroit.
J'étais donc sur mon perchoir, impuissant, à attendre qu'on me libère de mon propre piège...
Malgré le pique-nique que j'avais emporté, j'avais une boule à l'estomac qui m'empêchait d'avaler quoi que ce soit. Mon gros souci, c'était la nouvelle trémie devant moi… … tiendra, tiendra pas ???. J'avais les yeux rivés dessus, afin de détecter le moindre indice de mouvement. De temps à autre, l'eau qui filtrait au travers emportait quelques graviers, qui au passage décollaient des cailloux plus gros, et ainsi de suite… C'était très stressant, et régulièrement je sollicitais les copains pour savoir où ils en étaient, et leur demandais encore d'accélérer la cadence. J'imagine bien qu'ils faisaient le maximum, mais pour moi les minutes paraissaient des heures, et au vu des blocs qui se détachaient régulièrement du bouchon au-dessus de moi, j'avais l'impression que j'en avais pour peu de temps...

Après 20 minutes d'une attente interminable, je n'en pouvais plus. Rester ainsi les bras croisés à attendre que la montagne me tombe dessus ? Que nenni ! Il fallait absolument que je fasse autre chose…
En conséquence, c'est d'un seul bond, en ne prenant même pas la peine de dérouler l'échelle, que je sautais sans réfléchir au bas du puits, afin d'aider à dégager le passage. Je prenais de gros risques à cet endroit, mais en moi j'étais persuadé que chaque seconde comptait.

Soudain, un fracas de roche me fit redresser brusquement ; un bloc de plusieurs kilos venait de s'écraser à côté de moi… Je redoutais alors que d'autres cailloux suivent le même chemin, mais heureusement c'était un rocher isolé. Cet imprévu me fit redoubler d'ardeur, et c'est comme un forcené que je me remis à l'ouvrage. Bientôt une minuscule ouverture me fit retrouver l'espoir... Encore quelques blocs à dégager, et le passage serait suffisant pour m'y introduire, et ainsi échapper à ma geôle.
Finalement, c'est avec soulagement que je franchis le goulet pour rejoindre ainsi mes amis, qui d'ailleurs n'ont jamais été aussi impatients de me voir !!!

*****

Pendant les jours suivants, une petite question me hantait éperdument : si j'avais attendu bien sagement sur mon palier, est-ce que la trémie aurait lâché entre temps ?

La conclusion de cette histoire reste paradoxale :

Un geste inconsidéré m'avait mis dans cette fâcheuse situation, j'avais quand même l'impression qu'un autre m'avait permis de m'en sortir à temps…

Cette idée me fut confirmée quelques semaines plus tard, où de retour sur place j'ai constaté que la trémie avait lâché, en obstruant à nouveau le passage !!!


Cependant, cette expérience n'a finalement pas trop entamé notre moral, puisque depuis nous avons repris le déblaiement. Mais à l'heure actuelle, nous n'avons toujours pas pu accéder à la petite cheminée…



         



Le destin en avait décidé autrement

En cette belle journée d'octobre 1985, j'effectuais la descente des Cascades de Morcles (Valais / Suisse), en compagnie de Pascal et son amie. La visite de cette gorge est relativement technique, car elle comporte une trentaine de cascades de 2 à 111 mètres, réparties sur une dénivellation de 664 mètres.
Le but de la journée était de terminer quelques équipements fixes, dans la partie inférieure du parcours. Pour le franchissement des cascades, la technique généralement utilisée est le rappel avec un "descendeur huit", permettant la descente sur une corde double. En bas de chaque obstacle, il suffit de tirer sur un des brins afin de pouvoir récupérer la corde. Cette technique bien qu'efficace, nécessite l'emploi d'une corde du double de la hauteur de la cascade. Cette condition n'est généralement pas idéale pour de petites équipes, si le trajet comporte des grandes verticales car cela nécessite beaucoup de matériel à transporter. C'est la raison pour laquelle nous utilisons une variante quelque peu différente : le rappel sur noeud.
A cet effet, il faut laisser en fixe une boucle métallique de type "maillon rapide", sur les amarrages de départ. Il faut ensuite introduire dans le maillon l'extrémité de la corde qui va nous servir pour la descente, et faire un gros noeud avec une seconde corde, qui elle-même peut être composée de plusieurs sections appondues. Le noeud ne passant pas dans le maillon, il suffit de descendre sur le tronçon sans noeud, et récupérer le tout en tirant de l'autre brin.
Cette méthode procure 2 avantages : d'abord elle permet d'emporter un minimum de cordes donc un gain de poids, ensuite elle accepte d'utiliser un descendeur simple de type spéléo. A notre avis, il est plus pratique en canyon par rapport à un descendeur huit ; ce dernier à tendance à vriller les cordes, et de plus on risque facilement de le perdre au moment où l'on doit se dégager en étant dans un bassin profond, par le simple fait qu'il faut enlever l'engin de son point d'attache pour pouvoir sortir la corde.

Malgré ces avantages, l'utilisation de cette technique de rappel nécessite une grande attention : il faut bien sûr placer le descendeur sur le bon brin, car sinon il n'y a aucune retenue !!!
Avec des novices, celui qui équipe l'obstacle fait un noeud de chaque côté du maillon, et assure ainsi le blocage des 2 jets de cordes. Lorsque le dernier descend, il suffit alors de défaire le noeud de sécurité. En revanche pour les habitués, cette précaution n'est généralement pas de mise, car le choix de corde est évident, et en cas de doute il suffit de tirer sur le brin de part et d'autre du maillon pour savoir de quel côté la corde se bloque.

Pour revenir à notre histoire, nous sommes tous les trois rassemblés au départ d'une cascade de 18 mètres. Depuis cet endroit, nous ne voyons pas le bas car le rocher fait un bombement au départ. Une main courante fixe permet de rejoindre l'aplomb du vide, où est installé le point de rappel. Habituellement je descends le premier, mais cette fois Pascal désire faire des photos depuis le bas avec des sujets sur la corde. Je suis donc en train de bavarder avec son amie, pendant qu'il se met en place pour la descente.
Face à nous, il installe son descendeur, et au moment où il décroche sa longe d'assurance pour prendre appui sur la corde, nous le voyons brusquement partir à la renverse, puis disparaître dans le vide… …
Les choses se sont passées très vite, et il n'y a pas eu de cri. Mais le sifflement de la corde qui file à toute allure dans le maillon de rappel nous fait prendre conscience du drame qui vient de se produire.
Nos regards se croisent… les yeux exorbités de son amie témoignent du choc émotionnel qui l'envahit… …

Les cascades de Morcles sont réputées pour le côté "impression-vertige", à cause des grands rappels aériens baignés dans les embruns de la rivière, qui serpente dans un cadre grandiose au-dessus de la vallée du Rhône. En contre partie, il n'y a pas l'aspect ludique des canyons habituels, ponctués de sauts, de tronçons à la nage, etc. Ici, sur les 25 rappels obligatoires, il y a seulement 2 cascades où la réception se fait dans un bassin. Pour le reste, il faut se contenter d'un sol encombré de rochers déposés par la rivière au fil des crues.

Donc pour nous, les choses sont peu réjouissantes… Pascal s'est trompé de brin, et vient de partir en arrière pour une chute de 18 mètres, et nous sommes sans nouvelles, car depuis l'endroit où nous sommes nous n'apercevons pas la base de la cascade. Je me précipite alors au départ du rappel, ce qui me permettra de faire face aux conséquences de l'événement qui vient de se dérouler sous nos yeux… …

C'est avec soulagement que j'aperçois Pascal en train de sortir de l'eau, avec près de 50 mètres de cordes en vrac autour de lui… Une chance presque insolente lui a permis d'atterrir dans un bassin de 4 par 3 mètres, dont la profondeur n'excède pas 1 mètre 50 !!!... Avant l'impact, il était miraculeusement positionné à plat sur le dos, amortissant ainsi sa chute au maximum. Il s'en est sorti avec une petite égratignure au front, provoquée par son appareil de photo qu'il avait disposé en bandoulière.

Dans la vie tout peut arriver, pourtant même en dépit de toute évidence, lorsque tout semble perdu : rien n'est impossible…



         



Un éléphant dans un magasin de porcelaine

En octobre 1987, j'étais avec Michel (alias Casel) en train d'effectuer un relevé topographique à la base des falaises de la Combe du Bryon (Leysin / Suisse). Dans le réseau du même nom, nous avions effectué plusieurs remontées en escalade artificielle, il s'avérait qu'une topographie précise de la falaise pourrait se révéler intéressante, car nous pourrions ainsi la reporter sur le plan des galeries supérieures du réseau.

Vers midi, notre but pour la journée arrive à son terme au niveau du grand porche de la grotte de la Source, car il n'est plus possible de suivre la falaise au niveau où nous sommes.
N'ayant jamais parcouru cette grotte, nous nous proposons d'en effectuer la visite après la pause pique-nique.

La cavité comporte de belles formes d'érosion, mais les dimensions sont assez restreintes, nous obligeant à progresser souvent à quatre pattes. Arrivés dans la zone terminale, nous parcourons encore quelques diverticules sans intérêts. Bientôt, la fin d'une petite galerie attire mon attention. Elle est composée d'un amoncellement de graviers, qui obstruent entièrement le passage. Un rapide sondage me confirme que les sédiments sont très mobiles, et qu'une désobstruction est à tenter.
Nous nous mettons à l'ouvrage en dégageant le gravier à la main, et constatons rapidement que la suite obstruée remonte presque à la verticale, car à chaque fois que l'on enlève des cailloux, il en revient derrière…
Au bout de quelques temps, un étroit passage entre le gravier et le plafond est dégagé. Je m'y introduis, et débouche verticalement dans un conduit transversal de belles dimensions. Le goulet que je viens de franchir ne m'inspire guère, car je suis à la base d'une sorte de grand entonnoir composé des mêmes gravats. Michel me rejoint, après avoir reçu toutes les recommandations d'usage quant à la stabilité de l'édifice. Après nous être extraits de ce sablier naturel en prenant appui sur des banquettes de roche en place, nous parcourons de nouvelles galeries qui malheureusement se terminent rapidement. La visite est donc terminée, nous pouvons regagner la sortie.

De retour au passage critique, je demande à Michel de passer le premier. Il me paraissait superflu de réitérer les recommandations de circonstance, je fus donc abasourdi de le voir s'introduire dans le goulet comme si de rien n'était, en gesticulant comme un pantin !!!
Inévitablement, son corps faisant office de bouchon au fond de l'entonnoir, plus il bougeait et plus les caiiloux arrivaient sur lui... …
Etant bien engagé au moment où le gravier s'est mis en mouvement, il réussit en définitive à franchir l'obstacle, mais indubitablement le passage s'était refermé derrière lui…

En étant du mauvais côté, cette situation était pour le moins fâcheuse, car provoquée par une maladresse grotesque… (au propre comme au figuré !!!). Se lamenter n'arrangeait en rien les choses, je me mis alors au travail dans le sablier... …
Je n'étais pas très efficace, car tout ce que je dégageais redescendait à mesure. Heureusement que je n'étais pas seul, puisque Michel creusait également de son côté…

Après une demie heure, je réussis finalement à franchir ce verrou, au prix d'un forcing pur et dur… accompagné de multiples contorsions. J'étais quitte pour une belle frayeur, et depuis ce jour je n'ai jamais remis les pieds dans cette grotte !!!...



         



Quand la féerie tourne à l'enfer

Pratiquant épisodiquement la plongée souterraine, je ne me suis jamais considéré comme un vrai plongeur, car je ne me sens pas capable de plonger en effectuant une "première" dans un siphon. En fait, dès le début, mon but a simplement été d'apprendre les règles de base et de les entretenir, afin de palmer en toute sécurité jusqu'à une profondeur maximum de 15 mètres, pour ainsi franchir des siphons de petite envergure permettant de rejoindre des galeries exondées.

J'ai fait mes débuts en lac, en compagnie d'autres plongeurs spéléos. A l'époque, j'ai eu la chance de participer à un camp de plongée souterraine dans le Lot (France), le paradis des siphons. A cette occasion, j'ai effectué quelques plongées magnifiques, avec en particulier le franchissement d'un siphon de 350 mètres.
Pour le matériel, je disposais presque de tout l'équipement, il me manquait juste un second détendeur avec manomètre !!!... ce n'était pas si grave en soi, car je me débrouillais pour en trouver un en prêt avant chaque immersion.
En plongée souterraine, il faut savoir qu'il est impératif que chaque bouteille dispose de son propre détendeur, ainsi qu'un manomètre afin de pouvoir vérifier la pression restante. En cas de problème sur une bouteille ou un détendeur, il suffit de passer sur l'autre circuit. En revanche, cela nécessite d'équilibrer l'air dans chaque bouteille, en alternant de temps en temps les détendeurs.

En mars 1997, nous avons prévu de plonger dans les 2 petits siphons de la grotte de la Sourde, faisant partie du Réseau de Môtiers (Neuchâtel / Suisse). La semaine précédente, nous sommes allés plonger en lac, histoire de se rafraîchir les idées… mais surtout pour raviver les automatismes inhérents à ce genre d'activité. Après cette immersion, j'avais consommé la moitié de l'air disponible, mais la quantité restante était amplement suffisante pour le projet du week-end, soit un petit siphon de 25 mètres, et peut-être un second au cas où.

Le samedi, nous nous retrouvons à trois au départ du siphon. N'étant jamais venus dans cette grotte, aucun de nous ne connaît l'endroit. Mais le fil d'Ariane débutant au bord d'une vasque, nous fait vite comprendre que nous sommes au bon endroit. Pour mon équipement subaquatique, j'avais pu trouver un second détendeur, mais cette fois je ne dispose pas d'un second manomètre pour contrôler la pression. A priori cela ne me paraît pas dramatique, car ayant contrôlé chaque bouteille auparavant, je sais que la quantité est équilibrée. Donc pendant la plongée, en vérifiant une des deux et en alternant régulièrement, cela ne doit pas poser de problèmes…

D'après la topographie, nous allons franchir un petit siphon de 25 mètres, suivi d'une centaine de mètres de galeries exondées, conduisant à un deuxième siphon de 25 mètres qui communique avec la grotte voisine.

Je m'engage en second dans le siphon, et après les premiers mètres où la visibilité est très réduite par le fait que 3 plongeurs viennent de patauger dans la vasque d'entrée, le voile se lève brusquement sur un univers magnifique. Claude-Alain est en tête, et malgré un fil d'Ariane existant, il déroule un second fil. C'est une règle de sécurité, car nous ne connaissons pas l'état du premier. Roland nous rejoint rapidement, et c'est à trois que nous poursuivons notre route. De temps à autre, Claude-Alain s'arrête pour fixer son fil sur les aspérités du terrain, et nous en profitons pour inspecter les détails de notre environnement. Je remarque au passage qu'il y a beaucoup de lambeaux de vieux fils, qui traînent à gauche et à droite ; preuve qu'il doit y avoir beaucoup de courant lors des crues. Je suis également surpris par la section des galeries, qui atteignent par endroit cinq à six mètres de diamètre.
Par moments, nous avançons à trois de front, ce qui ajoute encore un plus à nos sensations. Le profil des conduits est bien déchiqueté, tout comme le parcours qui serpente un peu dans toutes les directions.
Pour un spéléologue, le fait d'avancer à sa guise au sol comme au plafond, est une sensation unique. De plus, aujourd'hui les conditions sont rêvées : l'eau est d'une limpidité cristalline, puisque nos lampes éclairent sur plusieurs dizaines de mètres. A chaque contour, je suis émerveillé par de nouveaux détails, comme transporté dans un monde irréel…
Vu la totale visibilité, il n'est pas utile de tenir le fil d'Ariane, c'est la raison pour laquelle je le suis à distance, sans le perdre de vue.

A un moment, je me trouve vers le plafond, quand je remarque que Claude-Alain s'est arrêté à quelques mètres en dessous. Il me fait des signes qui indiquent de m'approcher. Je le rejoins gentiment, et maintenant il effectue des va-et-vient avec son doigt, en pointant le fil d'Ariane ; je ne comprends pas où il veut en venir… …
En plongée souterraine, un fil d'Ariane comporte généralement une graduation tous les cinq mètres, ainsi qu'une flèche qui indique toujours la direction de la sortie. C'est pratique pour connaître la distance parcourue, et pour savoir dans quelle direction ressortir au cas où la visibilité deviendrait nulle.

En regardant de plus près… … je lis sur l'étiquette la distance de … 85 mètres !!! … …
Brusque retour à la réalité, l'enchantement de ce paradis liquide fait maintenant place à l'enfer.... Comme ensorcelé dans cet univers féerique, je n'ai pas fait attention au temps qui s'écoulait. Un rapide contrôle sur le seul manomètre que je dispose m'indique qu'il me reste très peu d'air dans la première bouteille. Pour la seconde ?... aucune idée !!! Mais étant donné que j'alternais de temps à autres sur les détendeurs, dans le meilleur des cas c'est de toute façon guère plus…
Par signes, je fais savoir que je retourne au départ. Visiblement, ils n'ont par l'air de se rendre compte de la gravité de la situation, car ils me répondent OK, et reprennent gentiment leur ballade…

Donc j'entame le retour. La tension monte gentiment… … instinctivement, je palme de plus en plus vite, car je sais que le temps joue contre moi. A gauche, à droite, en haut ou en bas, malgré le volume des galeries le parcours est très tortueux. Pour ne pas perdre de temps, je tiens le fil d'une main, car celui-ci emprunte généralement le chemin le plus court.
Soudain, les complications commencent : J'ai de la peine à respirer… … Ce manque d'air est décuplé par le fait que depuis un moment je fournis un effort intense en palmant de toutes mes forces. Il faut me rendre à l'évidence, ma bouteille est vide !!!... Malgré la panique, je réussis à changer de détendeur ; quel bonheur de pouvoir respirer pleinement… Mais cette maigre consolation est éphémère : je viens de passer sur la bouteille dont j'ignore la quantité d'air restante... Maintenant, je sais pertinemment que le compte à rebours définitif a démarré.

A force de palmer, mes muscles commencent à me faire terriblement mal. Nous avons tous en nous une réserve insoupçonnée, et c'est elle qui maintenant me permet de conserver la cadence. Cependant, mon cœur bat de plus en plus vite, et doit sûrement s'approcher de la zone rouge... Mais que faire d'autre en pareille circonstance, sinon palmer et encore palmer ?...

Soudain, l'eau devient trouble… Vu mon état, je ne suis plus apte à comprendre que je me rapproche de la vasque d'entrée. Bientôt, tel au dauphin, j'émerge en trombe de cet univers liquide. Avec soulagement, j'expulse mon détendeur et peut enfin apprécier de pouvoir respirer librement. Décidément, l'homme croit maîtriser tous les éléments, en réalité c'est eux qui jouent avec nous…

Il me fallut un moment pour retrouver les idées claires, et en attendant que les autres reviennent, je me suis posé la question de savoir quelle quantité d'air il me restait encore. Après avoir déplacé le manomètre, j'ai pu constater qu'il me restait 15 bars d'air, soit quelques secondes au rythme où je respirais.

Un peu plus tard, les autres plongeurs firent surface à mes côtés. Ils m'expliquèrent qu'ils avaient réussi à franchir ce verrou liquide, qui accusait une longueur de 145 mètres… Bien sûr, cela changeait quelque peu des 2 petits siphons de 25 mètres qu'indiquait la topographie des lieux !!! Nous en avons déduit qu'au printemps, le volume d'eau est plus conséquent, et ainsi toute la zone se noie pour ne former qu'un seul siphon de 145 mètres.

Depuis ce jour je replonge de temps à autres, mais cette expérience ma fait prendre conscience que dans ce genre d'activité, la marge d'erreur est quasiment nulle. Donc, il faut mettre toutes les chances de son côté, avec du matériel en parfait état, mais surtout du matériel au grand complet !!!

En conclusion, je citerais cette phrase magnifique de Frank Vasseur :

Il y a 2 façons d'aborder la plongée souterraine : comme un défi à la mort, ou comme une expérience de vie



         



Le cadeau d'anniversaire

En ce 27 janvier 2004, il est prévu de continuer l'exploration d'une galerie fraîchement découverte. D'un côté, elle finit sur un vulgaire trou de souris, et de l'autre les derniers explorateurs se sont arrêtés sur rien... Donc tous nos espoirs se portent sur cet endroit, où d'après certaines théories, nous allons droit vers de grandes découvertes...

Malheureusement, après avoir progressé d'à peine quelques pas, la cavité s'arrête brusquement, sans aucune possibilité de continuation. Sur le moment, personne n'ose l'avouer, mais la déception se laisse sentir, car depuis une semaine notre imagination battait son plein, et nous emmenait vers les espérances les plus folles...
Toutefois la partie n'est pas tout à fait perdue, et il reste encore à revoir le "trou de souris", car aujourd'hui nous disposons également d'un matériel de désobstruction.

A l'aide d'une massette, Claudal se bat depuis un bon moment avec une lame de rocher, celle qui nous empêchait justement de continuer il y a quelques jours. Une fois vaincu, il se rend compte qu'au-delà c'est peut-être assez grands pour les souris, mais pas vraiment pour les explorateurs que nous sommes… C'est bien dommage ! Il semblait que cet endroit était l'ultime chance de poursuivre la grotte, nos rêves qui nous hantaient depuis 4 ans n'auront pas spécialement porté de gros fruits, à peine 200 mètres de nouvelles galeries. La réalité est souvent difficile à admettre, après tant d'attente et d'espérance.

Je décide néanmoins de voir la fin de mes propres yeux, et rejoins le terminus de mon coéquipier. Là, la suite est une sorte de grand laminoir encombré de blocs et de gravier, ne laissant effectivement que peu d'espoir. Cependant, pour autant que l'on arrive à creuser le sol et déplacer les gros blocs qui obstruent de toute part, il semble que la hauteur soit suffisante pour ramper. Il n'en fallait pas autant pour me donner le courage de continuer, c'est donc à bouts de bras que je m'active à marteler les pierres, soit pour les casser ou pour les décoller, la plupart se sont cimentées avec les années et le passage de l'eau. J'arrive également à attaquer le sol, composé d'un genre de conglomérat de sédiments durcis.

Après deux heures dans des postures vraiment inconfortables, j'ai réussi à progresser d'une dizaine de mètres. Là, enfin, le plafond se relève gentiment. J'arrive dans une petite chambre où j'ai juste de la place pour me tenir assis. Devant moi, un énorme bouchon de rochers m'empêche de poursuivre. Dans mon dos, la paroi est magnifique, ornée de grandes cupules reluisantes. Sans aucun doute, je suis bel et bien dans l'ancien cours d'une rivière dont l'eau sous pression a façonné les parois. Etant au point bas je présume que la suite se trouve en hauteur, donc au-dessus de cet amoncellement de blocs. D'ailleurs, un léger courant d'air me confirme le chemin à suivre…

Alors que faire !!! ... ...

Il y a quelques années, je m'étais retrouvé dans une bien mauvaise situation face à une trémie, dès lors je m'étais juré de ne plus recommencer !!!... Mais les sages Chinois l'ont compris depuis des millénaires en disant que :

Il est plus facile de déplacer un fleuve que de changer son caractère !!!...

En effet, malgré la crainte, cette sensation lancinante et si désagréable qui nous pince le cœur, il y a en moi quelque chose de bien plus fort qui me pousse à agir. Alors, comment l'expliquer ? De l'inconscience ? Un petit shoot d'adrénaline histoire de prendre sa dose ? Ni l'un ni l'autre ! Je pense plutôt que c'est quelque chose que l'on ressent au fond de nous et qui nous dicte ce qu'il faut faire. La peur est bien sûr omniprésente, mais en la maîtrisant on se sent comme protégé, invulnérable.

Quoi qu'il en soit, je me suis remis à l'ouvrage en déplaçant délicatement les blocs, qui visiblement ne mettaient pas en péril la stabilité de l'édifice. Comme dans la Souricière, le nom donné au boyau que nous venons de franchir, je dois donner quelques coups de massette, les rochers étant scellés les uns aux autres ; il semble que cette zone doit régulièrement se noyer, l'eau chargée de particules de roche a cimenté tout l'ensemble. Cette nouvelle me rassure à peine, le moral n'étant toujours pas des meilleurs... Ne pouvant évacuer les cailloux ailleurs que par la Souricière, je les transmets à Claudal qui les place comme il peut à ses côtés.

Bientôt, je peux me tenir debout entre la paroi et l'amas de rochers. A ce moment, je remarque au-dessus un vide entre les interstices, laissant présager la fin du bouchon. Peut-être une porte sur de nouvelles découvertes merveilleuses et la suite de notre aventure ? Pour le savoir il ne me reste que très peu de choses à enlever, peut-être deux ou trois blocs. Mais cette joie est amère, je suis maintenant ceinturé de cailloux des pieds à la tête. Cet endroit m'oppresse de plus en plus, ma dernière expérience en trémie se rappelle sans cesse à mon bon souvenir. La limite de l'abandon est presque atteinte, bien que je ressente un dénouement proche.

C'est alors qu'une pensée me traverse l'esprit :

Aujourd'hui, par un heureux hasard, c'est le jour de mon anniversaire !!! Ce serait déjà fantastique de découvrir la suite du réseau, cela représenterait de surcroît un merveilleux cadeau d'anniversaire, peut-être même le plus beau que je n'ai jamais reçut ! La spéléologie c'est une partie de ma vie, beaucoup de gens ne comprendront jamais à quel point cette activité me passionne. Dans mon sablier de géant, l'idée du cadeau mettait un peu de baume sur le coeur... mais ce fut surtout le déclic pour me remettre au travail.
Avec quelques coups de marteau, je décolle délicatement les derniers blocs. Heureusement, ils ne sont pas trop lourds, ce qui me permet de les pousser vers le haut et ainsi les dégager hors du passage.

Cette fois le goulet est libre, c'est au ralenti tel un gros crabe que j'émerge de cet amas de rochers. Je vois au-dessus que l'éboulis remonte à 45 degrés, il semble assez stable... D'ici, je peux mieux mesurer l'ampleur de cet éboulement. Je suis dans une petite salle d'effondrement, et tous les cailloux sont venus s'accumuler contre la paroi d'où je suis arrivé.
D'emblée, je pense à nommer l'endroit : "passage de l'Au-delà". C'est bien sûr à double sens, cela résume bien les quelques sensations que j'ai éprouvées.

Claudal me rejoint, et d'un commun accord que nous décidons d'explorer la galerie qui s'offre à nous.
Nous quittons notre petite salle pour suivre un vestibule encombré de nombreux blocs. Le puissant courant d'air que nous avons perdu avant la Souricière est réapparu par une grande fissure, et nous accompagne maintenant dans notre périple. Notre imagination peut à nouveau vagabonder, tous les indices d'une grande échappée jouent en notre faveur.
Ce n'est pas spécialement grand, juste de quoi nous tenir debout, mais notre joie est intense car nous sommes les premiers à parcourir ces lieux. Emotionnellement, ces moments sont très puissants, le paroxysme suprême pour les spéléologues.

Après une étroiture entre les blocs, la galerie vire sur la droite et prend soudain de l'ampleur. Le sol, parfaitement propre composé de sable et de galets, atteste que l'eau a passé par là. Bientôt, quelques concrétions ici et là font leur apparition, et rapidement nous arrivons en vue d'une fenêtre... noire !!! Ce phénomène est généré par le contraste des parois claires avec une surface noire correspondant à un vide que nos éclairages n'arrivent pas à percer. Tout émus, nous arrivons dans une salle où nous stoppons brusquement notre élan…

Un frisson m'envahit des pieds à la tête. Devant nous, une paroi parfaitement lisse se perd dans les hauteurs. C'est un énorme miroir de faille comme je n'en ai jamais vu. Il doit mesurer une quinzaine de mètres de hauteur et s'étend sur une largeur de près de 30 mètres. La surface est recouverte de calcite claire, tranchant avec le noir de ce vide souterrain. Nous sommes à la base d'une grande salle d'effondrement, formée par le rapprochement de deux failles adjacentes. De nombreuses concrétions colorent les parois, dont les teintes s'harmonisent merveilleusement. Certaines défient même les lois de l'apesanteur, principalement à cause du courant d'air léchant les parois. D'autres se sont brisées sous l'effet d'un mouvement terrestre. Il y a aussi des draperies mesurant près de 5 mètres de longueur. Nous ne savons pas où donner de la tête, tellement il y a de choses à regarder ; nous sommes en plein conte de… fées !...

Bientôt, Claudal se penche le long d'une paroi, il a remarqué quelque chose de particulier. Il s'agit d'ossements imbriqués provenant d'une chauve-souris, ce qui en soi est relativement banal. Mais ce qui l'est moins, c'est que l'un des os traverse une bague numérotée, avec le nom du musée propriétaire. Cette trouvaille ajoutait encore un peu de consistance à un plat d'émotion déjà bien garni ! Toutefois, de même qu'il reste toujours un peu de place pour le dessert... et qu'il nous reste encore du temps devant nous, nous décidons de poursuivre notre aventure si palpitante


Au-delà de cette salle, nous avons encore parcouru une superbe galerie dotée d'un concrétionnement très important.

Après cette journée particulière, il y eut d'autres découvertes formidables, mais celle-ci fut assurément la plus intense, depuis mes débuts à la spéléo. Sans oublier qu'également, ce fut le plus beau... cadeau d'anniversaire !!!



         



Improvisation topo...

Sur le massif des Rochers-de-Naye (Vd / Suisse), la grotte du Glacier atteint un développement de près de 5 kilomètres. Ce qui est particulier, c'est que les galeries se développent sur une petite surface, créant ainsi un tel enchevêtrement que par endroits, il y a jusqu'à cinq niveaux superposés.
Dans les années 1970, un plan avait bien été levé, mais celui-ci restait très sommaire pour une cavité de cette envergure. En conséquence, dans le cadre d'un futur inventaire, nous avons décidé de retopographier toute la grotte.
En 1995, lors de l'une de nos multiples séances de topo, j'étais dans un diverticule supérieur de la galerie des Sources, en compagnie de Patrick.

Bientôt, nous rampons dans un petit boyau étroit, où déjà il n'est pas facile d'avancer, ça l'est donc d'autant moins pour dessiner et prendre les mesures. Nous arrivons dans un petit élargissement. De là, la grotte se poursuit en profondeur par un ressaut étroit et incliné, d'environ 2 mètres. Au bas, nous distinguons bien une suite, mais visiblement c'est toujours petit, et cela repart horizontalement. D'après le croquis d'époque que nous avons emporté, nous constatons que notre galerie doit incessamment jonctionner avec un puits d'une vingtaine de mètres. Le courant d'air présent ne fait que nous confirmer cette relation. En revanche, nous ignorons à quelle hauteur nous allons déboucher sur le vide, et surtout de quelle manière... Donc dans mon idée, il est préférable de plonger dans le ressaut, afin d'avoir la tête en avant pour approcher le puits en pleine vision des choses. J'hésite quelque peu à poursuivre la tête en bas, mais de toute façon cela ne sera pas long...

Je bascule le corps en avant, et me laisse glisser gentiment, en me retenant aux quelques aspérités. Rapidement, j'arrive au niveau du boyau, mais je ne peux pas encore distinguer la suite car ma position m'empêche de redresser la tête. A priori ce n'est pas bien grand, mais j'imagine que si d'autres ont déjà passé, cela ne doit pas me poser de problèmes. En conséquence, je me laisse aller complètement, et engage le haut du corps dans ce qui s'avère être plutôt une sorte de petit méandre... ...

En me laissant descendre j'avais encore la planchette à dessin autour du cou, je décide alors de la prendre à la main, ce qui me donnera plus de liberté pour dessiner. Cette fois je vois la suite, mais hélas cette nouvelle ne me réjouis guère !!! ...
En effet, devant moi, les parois se rétrécissent aussitôt, pour ne laisser qu'une dizaine de centimètres de largeur...
Sur le moment, j'ai de la peine à admettre une fin si brutale et inattendue, car d'après l'ancienne topo, la jonction est incontestable. Pourtant, le fait est là : le dessinateur s'est permis une sacrée fantaisie… car d'où je suis je vois très bien que c'est parfaitement impénétrable sur une bonne distance, et il n'y a pas le moindre puits à l'horizon. Si cela se trouve, je suis peut-être même en train de faire de la première !!!…

Pour l'heure je n'ai pas d'autre solution que de reculer, alors forcément je pense déjà au ressaut qui m'attend. Dans le bon sens ce passage aurait été une partie de plaisir, mais à reculons… la tête en bas !!!

Mais avant, puisque de toute façon je suis là... j'ajoute encore quelques détails pour finaliser mon dessin, puis j'entame le retour. Le début ne pose pas trop de problèmes car le haut du corps est encore engagé à l'horizontale. Cela se complique ensuite, car à mesure que je me redresse, tout le poids vient reposer sur les épaules, les coudes, puis les bras. La loi de la pesanteur se fait de plus en plus sentir, et je dois fréquemment me reposer en me coinçant au mieux.
Le sang descendant à la tête procure une sensation désagréable qui n'arrange rien. Heureusement, je ne suis pas seul, et mon coéquipier m'aide fortement en soulageant mon poids, car il me tire par les pieds ou me bloque, pour que je puisse récupérer. D'ailleurs sans lui, il serait impossible d'espérer m'en sortir…

Bientôt, à forces de contorsions, je peux enfin m'extirper de cette oubliette, pour revenir dans la bonne posture... Décidément, cette position est peut-être bonne pour les chauves-souris, mais pas pour les spéléos !!!

Après cette expérience, j'ai pu tirer une nouvelle leçon :

Une topographie, aussi belle soit-elle, n'est souvent pas le reflet de la réalité.

Dans certains cas, elle s'avère être la pure invention de spéléos en panne de mémoire, qui généralement font de la première sans faire de topo, et qui, beaucoup plus tard, se décident quand même à sortir un dessin... en recollant les quelques bribes de souvenirs qui leur restent.



         



Les démons intérieurs

Pendant de nombreuses années, il m'arrivait parfois de me retrouver seul sous terre. En fait, je n'étais pas vraiment seul dans le gouffre ou la grotte, seulement distancé de mes équipiers. Pendant ces instants d'isolement, je me sentais souvent comme épié par quelque chose à mes côtés. On ne peut pas à proprement parler de peur, plutôt une anxiété voire un malaise, en tout cas cela me perturbait. Cette mauvaise compagnie, je la percevais notamment derrière moi, c'est pourquoi il m'arrivait fréquemment de me retourner brusquement, afin de tenter de voir cette " chose ". Evidemment, il n'y avait jamais rien, et c'est justement ce qui me dérangeait, car c'est bien connu : on appréhende toujours ce que l'on ne voit pas.

Un beau jour, j'en ai eu marre, je devais absolument percer le mystère. Dans mon esprit, la meilleure solution était d'y faire face, et pour cela il fallait me retrouver seul dans un endroit totalement isolé de tout. Pendant plusieurs semaines, je me suis préparé psychiquement, et un beau jour du mois de mai 2003 je me suis rendu en montagne du côté de Leysin (Vaud / Suisse). C'est là que s'ouvre le gouffre du Chevrier, faisant partie du réseau de la Combe du Bryon, où il est possible de descendre à 500 mètres de profondeur, ce gouffre ne demandant à peine plus d'une centaine de mètres de cordes à emporter, donc facilement transportable pour une seule personne.

En quelques heures, j'étais au fond du gouffre, dans une petite salle ronde et sablonneuse. Ici, la cavité est parfaitement sèche, pas même une goutte d'eau tombant du plafond, c'est le genre d'endroit où le silence des cavernes prend vraiment toute son ampleur. Pour moi c'était le lieu idéal, je me sentais pleinement retiré du reste du monde. Au bout d'un moment, je me suis assis en tailleur et j'ai éteint mon éclairage…

Dans cette nuit glaçante et profonde… j'ai finalement appelé ce démon qui me pourchassait depuis si longtemps, en lui demandant de se manifester une fois pour toutes ! Cela peut prêter à sourire, mais je ne vous cache pas qu'en ces moments je n'en menais vraiment pas large… Cependant, j'étais préparé, et à ce stade je me devais d'aller jusqu'au bout, à n'importe quel prix.

Sans bouger, je suis resté dans le noir pendant un bon moment, puis j'ai rallumé ma lampe. J'étais d'ailleurs surpris en regardant ma montre, que ma séance " zen attitude " avait duré vingt minutes ! Comme vous pouvez l'imaginer, pendant tout ce temps il ne s'est absolument rien passé, sauf peut-être le plus important, le but même de ma présence : j'avais réussi à dominer un démon intérieur, un truc caché au fond de moi-même, probablement une mauvaise histoire qui me poursuivait depuis l'enfance.

Quoi qu'il en soit, depuis ce fameux jour seul au fond de mon trou… je n'ai plus jamais ressenti cette mauvaise impression. Et cette expérience a été doublement enrichissante, car en solitaire j'ai découvert d'autres sensations que l'on ne peut pas ressentir en étant en groupe. Il m'arrive dès lors de me rendre sous terre en solo, afin de tirer parti de toute la force de l'environnement souterrain.

Cette expérience m'a ainsi appris une nouvelle leçon de la vie :

Même au plus profond des abîmes, on ne trouve rien d'autre que ce que l'on a apporté ; les réponses se trouvent en soi.



         



Une bonne tasse

Le printemps nous amène lentement sa chaleur bienfaitrice, la neige n'est bientôt plus qu'un souvenir. En ce mois d'avril 2004, 3 personnes ont répondu à l'appel de l'exploration : Florian, Michel et votre serviteur.
Dans le réseau des Fées de Vallorbe (Vaud / Suisse), nous regagnons l'aval d'une galerie baptisée Amphibie, à cause des nombreux affluents qu'elle collecte, formant ainsi une rivière de bon débit, actuellement une dizaine de litres à la seconde.

Au point bas du secteur, nous arrivons au carrefour terminal. Ce qui nous intéresse aujourd'hui, c'est une petite galerie qui s'échappe sur le côté, elle absorbe toute l'eau de la rivière. Cet endroit n'a jamais été forcé, il faut dire que les dimensions du conduit n'engagent pas vraiment à poursuivre. En effet, après 3 mètres un rétrécissement de 30 par 60 centimètres ne laisse que 5 centimètres d'air au plafond ! Après quelques hésitations, je m'élance dans l'étroit chenal…

Les pieds en avant, le visage collé sous la voûte, j'avance très lentement ; le courant crée passablement de remous, je ne veux pas encore en rajouter. Je tiens devant moi le casque que j'ai pris soin d'enlever, et j'éclaire contre moi afin de scruter les détails du plafond, car je n'ai pas envie de m'esquinter le visage sur cette râpe naturelle...
J'arrive au point critique où il ne subsiste que quelques centimètres pour respirer. Là, je me rends compte qu'au même endroit mon corps est également immobilisé dans un rétrécissement en largeur. Cela coince sérieusement, j'hésite à nouveau à poursuivre. En gesticulant, j'arrive à changer mon angle de vision, cette fois je distingue que le plafond se relève peu après. Je prends alors une bonne bouffée d'air, je me fais au plus mince, et m'aidant comme je peux aux parois je donne un coup de reins pour me laisser filer dans le courant.

Voilà c'est fait… je suis passé ! Je me retrouve dans un petit élargissement à peine plus grand qu'avant, mais au moins j'ai presque la moitié du corps hors de l'eau. Au-delà, la rivière dévale un petit conduit ovoïde de 50 x 40 centimètres. Il se poursuit à perte de lumière et conserve ses faibles dimensions. Ma curiosité est maintenant satisfaite, ce n'est pas encore aujourd'hui que je déambulerais dans de nouvelles et grandes galeries… Il faudra revenir dans de meilleures conditions, notamment à l'étiage.

Pour le retour, j'appréhende tout de même l'étranglement fatidique. Et c'est d'autant plus vrai, je me rends maintenant compte que les conditions ont changé, pour la simple et bonne raison que je vais évoluer à contre-courant ! C'est le genre de petit détail auquel on ne prend pas garde, mais qui ici apporte une nouvelle tournure à une situation déjà précaire... En effet, dans l'étroiture le corps fait barrage, et bien sûr au niveau du visage face au courant, l'espace déjà minimum s'est encore amoindri.
Alors que faire ? Je ne peux quand même pas passer dans la même position qu'à aller, c'est-à-dire à reculons sans savoir où je vais et comment mon visage va frôler la voûte ?!
Donc à défaut d'autre choix, je vais me lancer face au courant en adoptant la technique employée à l'aller, c'est-à-dire le petit " coup de forcing " pour m'extirper de l'étroiture.

Malheureusement, une fois en place dans le rétrécissement, le petit coup de reins n'a pas suffi à me débloquer et mon corps est toujours coincé. La tête sous l'eau, je reconnais que ce fut l'instant de panique… il est des moments où l'on a plus le temps de réfléchir.

D'un second coup de reins, ma tête est venue chercher l'air du plafond, et en m'agrippant de toutes mes forces j'ai brutalement réussi à m'extirper de ce satané goulet !
Le nez tout griffé, toussant comme un perdu après la bonne tasse que je venais d'ingurgiter… j'étais quitte pour une belle frayeur. Pour Florian à mes côtés, qui a assisté à mes déboires sans pouvoir m'aider, on peut s'imaginer qu'il a eu également sa part d'inquiétude…
Quelqu'un disait un jour que celui qui ne risque rien devient esclave, on peut bien sûr polémiquer longuement sur le sujet. Je pense finalement que tant que chacun a le libre choix d'entreprendre une action, personne ne peut porter un jugement du moment que le geste n'engage que la personne concernée. Nous avons tous des raisons qui nous poussent à entreprendre certaines choses, libre à chacun.



         



Une jonction mouvementée

Nous sommes en 2008. Cela fait plus de 2 ans que nous désobstruons la Baume des Follatons, un gouffre du canton de Vaud dans le Jura suisse, dont l'intérêt est vif puisqu'il s'ouvre presque à l'aplomb du réseau des Fées, qui développe actuellement plus de 12 kilomètres de galeries. Cet écheveau ne possède qu'un seul accès, donc une nouvelle entrée apporterait un gain de temps appréciable, mais également une économie d'effort pour nous rendre dans la zone d'exploration, située actuellement à 5 kilomètres de l'extérieur.
Il y a 4 mois, notre ardeur à la désobstruction a enfin été récompensée, un bouchon vertical de 10 mètres de terre et d'éboulis a été vaincu. Dès lors, quelques sorties ont permis d'explorer une cavité intéressante, mais à plusieurs reprises nous avons dû faire parler la poudre, remettant chaque fois en question nos sempiternels espoirs de jonction.

Après la pause estivale propice aux escapades vacancières, en ce début de septembre il est temps de revenir nous occuper de notre trou ! Depuis près d'un mois, date de la dernière sortie, je n'ai cessé de garder à l'esprit la vision terminale du gouffre, le départ d'un goulet entre des rochers colmatés, avec un bloc assez important obstruant le passage.
Derrière, un nouvel obstacle vertical semble pénétrable. Le haut d'un méandre ou d'un puits ? Ou simplement une sorte d'oubliette où seuls l'eau et le courant d'air peuvent s'échapper ? Etrangement, pour cette fois je ne me suis pas pris au jeu d'imaginer toutes les possibilités qui peuvent se présenter. A force de s'égarer dans de faux pronostics, j'ai préféré me laisser porter au gré du temps qui s'écoule, sans me poser de question, pour simplement constater ce que la nature nous réservera le moment venu. Car à ce petit jeu il n'y a aucun doute, Dame Nature est la championne du monde pour fausser toutes les hypothèses possibles et imaginables…

Aujourd'hui, 5 personnes ont répondu à l'appel de l'aventure, soit Bertrand, Etienne, Michel, Marc et Pierre. C'est autour d'un petit café que nous faisons la connaissance de Michel, dernier venu dans le team d'exploration. Hormis Bertrand qui l'a croisé une fois au local du club, c'est la première fois que nous le voyons ! Sans avoir été prévenu de sa présence aujourd'hui… j'ai quelques soucis de partir en exploration avec une personne que je ne connais pas. Le gouffre possède son lot de passages techniques propres à décourager les moins téméraires, je suis quand même embarrassé par cette situation ; il serait dommage de compromettre nos objectifs. Cependant, à l'écoute de ses années de pratique souterraine dans sa région natale des Cévennes (France), ainsi que quelques visites de classiques en Suisse romande, il semblerait que les techniques de corde ne lui posent pas de problème.

Sur le parc à quelques minutes de l'entrée du gouffre, c'est sous la pluie que nous nous équipons. La météo ne va pas s'arranger pour la journée, alors autant s'en faire tout de suite une raison ! Certains se consolent en disant qu'il faut se dépêcher d'aller dans le gouffre pour se mettre à l'abri, pourquoi pas ?!…

Nous dévalons les puits du gouffre qui sont étonnamment secs en rapport au temps qu'il fait dehors. Bientôt, toute l'équipe se retrouve au bas du puits de la Peur, le terme de la dernière journée d'exploration, à une profondeur d'environ 140 mètres. Ici, c'est avec plaisir que j'apprends que Michel n'a eu aucune difficulté pour descendre, alors tant mieux !

Sans perdre un instant, nous attaquons le dégagement du bloc qui mit fin à la dernière exploration. A l'aide d'une corde placée péniblement autour du caillou, il nous faudra une bonne dizaine de minutes pour le bouger petit à petit et l'extraire du goulet. Cette fois la voie est libre, il ne tient qu'à nous de poursuivre notre périple. Au départ du passage, Bertrand donne encore quelques coups de massettes pour arrondir certains angles récalcitrants, mais n'étant pas autrement décidé à plonger dans cette sorte de boîte aux lettres, il préfère céder sa place à quelqu'un de plus grêle. Je m'enfile alors dans le pierrier et parvins sans peine au seuil de l'obstacle vertical, celui qui nargue mes pensées depuis un mois. Là, c'est avec bonheur et soulagement que je vois que la suite se présente sous la forme d'un petit ressaut d'environ 3 mètres, dont les proportions prennent de l'ampleur à mesure de la descente. J'avais l'appréhension d'une zone exiguë qui aurait sans doute signé l'arrêt des festivités, nous allons pouvoir encore apprécier le vin enivrant de l'exploration. Cependant, la direction que prend notre couloir n'est pas ce que l'on désire de mieux, cela va même à l'opposé de nos profonds désirs, à savoir une des galeries du réseau des Fées, située à moins d'une cinquantaine de mètres. En revanche, depuis le début de l'exploration du gouffre le courant d'air n'a jamais été aussi fort qu'en ce moment, donc dans tout le cas il va bien nous conduire quelque part dans le réseau convoité. Nous sommes tous persuadés que la jonction est proche, même si depuis quelques sorties nous avons un peu l'impression que les Follatons et les Fées se sont unis pour contrer nos avances…

Sans hésiter, je sombre tête en bas dans ce fourreau de pierre, pour aussitôt me rétablir dans la bonne position. Revenu au sommet du ressaut, j'ai cette fois beaucoup plus de liberté pour enlever encore quelques blocs afin d'élargir le passage pour les suivants. Bientôt, Bertrand s'engage les pieds en avant, et au vu de la rapidité à laquelle il franchit l'obstacle, ce n'est maintenant qu'un simple ralentissement. Au bas du R3, une jolie marmite s'est creusée dans la roche en place, attestant le lent travail de l'eau au fil des millénaires. Les gens arrivent à tour de rôle, et après le quatrième équipier je n'ai pas d'autre alternative que de poursuivre notre route pour libérer de la place. Un nouveau ressaut est ainsi franchi, plus vertical que le précédent, mais ne posant pas de difficulté à désescalader. Nous arrivons alors dans une petite chambre au sol revêtu d'une couche d'argile. Là, nous recoupons une petite rivière d'un demi-litre à la seconde sortant d'un méandre à moitié inondé, et qui poursuit sa route dans un laminoir où l'eau a la fâcheuse idée d'en occuper toute la largeur… Le puissant courant d'air suit le même chemin et ne fait que confirmer la marche à suivre ! Au-delà, avec le peu que l'on distingue sans devoir se mouiller, nous savons que le passage se prolonge dans les mêmes conditions sur au moins quelques mètres.

Avec ce nouvel obstacle, on peut vraiment dire que ce gouffre nous a gratifiés de toutes les difficultés ! Un bouchon de 10 mètres de terre et d'éboulis pour commencer, des étroitures verticales, des passages en puits ou en méandre qui sont boueux à souhait, une grosse trémie instable, et voici maintenant qu'il nous invite au bain rafraîchissant ! Actuellement, nous ne sommes bien sûr pas équipés pour la circonstance, et c'est justement ce qui nous tracasse.

Cela fait maintenant 5 minutes que notre groupe est en discussion pour trouver la solution, le bon compromis entre l'exploration et la topographie. Nous savons qu'en franchissant le passage aquatique les topographes ne pourront pas lutter bien longtemps contre le froid et mener à bien leur besogne. Il reste alors la possibilité de s'arrêter ici et lever la topo sur une vingtaine de mètres, jusqu'à la fin actuelle du dessin. Mais tout de même, devoir se contenter de 10 mètres d'exploration pour la journée en étant peut-être à deux doigts de réaliser une jonction avec les Fées ? Et tout cela parce que l'on n'a pas envie de se mouiller au risque de grelotter durant quelques heures ? Pour ma part, le choix devenait aussi limpide que l'eau du ruisseau, d'autant que celui-ci s'échappe maintenant perpendiculairement à la direction initiale, augmentant ainsi les probabilités de se diriger dans la direction idéale.

Finalement, je m'engage sans discuter dans le laminoir. C'est sur un tapis de glaise molle que j'avance à plat ventre. L'eau s'insinue gentiment dans la combi, les gants et les bottes. La sensation est peu agréable, mais à la longue on s'y fait…
Heureusement, le plafond se relève après 3 mètres de reptation. La hauteur passe à 1,5 mètre pour une largeur d'un mètre. Un nouveau virage à angle droit me ramène cette fois dans la direction recherchée, maintenant tout concorde à merveille, la conquête du Graal arrive dans la dernière ligne droite ! L'excitation me gagne intensément, j'explique aux autres que le passage aquatique est très bref et que les dimensions reprennent de l'ampleur. Bertrand me rejoint en poussant le kit avec le matériel topo, que je récupère sitôt à ma portée. Tous deux, nous poursuivons la galerie sur une quinzaine de mètres. Là, à l'orée d'un bel élargissement, le ruisseau s'engouffre intégralement d'ans une perte. Nous arrivons à la base d'une cheminée. Devant nous, la galerie continue dans les mêmes proportions que celles après la baignade, à la différence que, et cela pour notre plus grand plaisir, avec l'eau en moins ! Je propose à Bertrand d'attendre ici pendant que je vais essayer de rapatrier le solde des copains. Je sens que la jonction est en passe de se concrétiser, j'aimerais bien que l'on puisse en profiter tous ensemble.

Revenu au passage aquatique, je donne les dernières nouvelles quant à la galerie sèche qui file droit vers les Fées. Michel est convaincu et s'engage dans l'eau. Derrière lui, Etienne et Marc ne suivent pas. J'insiste en prétextant que je ressens dur comme roche que la jonction est proche, mais rien à faire, ils sont tout autant bornés que moi ! En descendant, Marc a eu quelques soucis pour franchir le pincement final du méandre Blanche Glaise et les 7 Gouilles, au débouché du puits de la Peur. Dès lors, il n'arrive pas à penser à autre chose que ce passage au retour, avec peut-être d'autres complications plus sévères à la clé. J'imagine que Etienne ne désire pas le laisser seul, c'est pourquoi ils décident de remonter conjointement.

De retour vers la cheminée où j'étais sensé retrouver Bertrand et Michel, il n'y a plus personne !

J'y crois pas !... ...

Moi qui essaye comme un diable de regrouper toute la meute, c'est tout le contraire, c'est la débandade ! Je m'engage alors dans la galerie qui file devant moi, à la poursuite des éclaireurs se la jouant égocentriques le temps d'un moment ! Il faut dire que l'appât de l'exploration est déjà éloquent, si en plus on y ajoute l'attrait d'une jonction évidente, la tentation semble avoir été si forte qu'elle a balayé toute morale…

Cela fait maintenant une centaine de mètres que je progresse à quatre pattes sur un lit d'argile relativement dur. La galerie serpente dans tous les sens et je serai actuellement incapable de dire dans quelle direction je vais. Les dimensions n'ont pas changé depuis le début, grossièrement moins de 1,5 mètre au carré. Les traces que je suis dans la glaise me relèguent inévitablement au rang de pisteur, et vu la distance parcourue je commence sérieusement à douter de la jonction. J'arrive alors à un carrefour avec 2 conduits similaires, où il y a des traces de part et d'autre. Bientôt, une lumière se reflétant dans un bassin m'indique que Bertrand et Michel approchent. Après les réprimandes de circonstance... Bertrand, un peu confus, m'explique qu'il a débouché dans un méandre transversal sans aucune trace de passage, vu l'absence totale de sédiments.
Dans mes pensées, cette information ne fait pas de doute, il a débouché dans le réseau des Fées quelque part dans le méandre qui zigzague au dessous de la galerie Merlin. J'en connais seulement une partie, celle que nous empruntons pour shunter la fin de la galerie Merlin, assez argileuse. Cependant, Bertrand a peut-être aussi débouché dans l'amont de ce méandre, reconnu sur quelques dizaines de mètres seulement. Bien que nous avons déjà plusieurs heures à passer à la topographie de ce qui a déjà été découvert aujourd'hui, je ne vais bien sûr pas quitter les lieux sans savoir si la jonction est consumée, et à quel endroit ?

Le trio repart donc en direction du méandre et débouche rapidement dans celui-ci. Les dimensions sont vraiment importantes, environ 1,5 mètre de large pour 5 à 6 mètres de haut. Je n'arrive pas encore à être catégorique quant à la jonction, pourtant j'en suis intimement persuadé. Au vu des dimensions, nous ne pouvons être que dans le fameux méandre sous la galerie Merlin. Pour en être fixé, il suffit de prendre à l'aval où nous allons forcément la recouper. Après 10 mètres de parcours, un grand coude à gauche m'interpelle. Je reconnais parfaitement l'endroit où l'eau a creusé un petit chenal étroit à l'intérieur du virage, tandis que nous progressons sur une banquette supérieure.

Ma joie est profonde... Après plus de 2 ans d'acharnement à tenter de percer le mystère de la Baume des Follatons, nous avons enfin réussi à fusionner avec le réseau des Fées. Une nouvelle entrée au cœur du dédale, un accès direct au jardin des délices, le paradis suprême et très convoité des explorateurs de la région. Pour l'heure, j'imagine que Marc et Etienne seraient comblés en ces lieux, surtout que pour arriver jusqu'à nous il n'y a pas d'autre difficulté que de ramper quelques mètres dans l'eau. Bertrand, ayant quelques remords après sa petite échappée solitaire, se propose d'emblée d'aller chercher la paire manquante, en espérant seulement qu'ils n'ont pas encore attaqué la remontée des puits. En attendant que tout ce petit monde revienne, j'emmène Michel du côté de la galerie des Epées qui débute à quelques mètres de là, afin de lui montrer l'allure de ce vaste collecteur temporaire.

Après une dizaine de minutes, revenus au débouché de la galerie du Graal, fraîchement nommée pour des raisons évidentes, Bertrand arrive au même moment, tout essoufflé après un aller-retour de plus de 200 mètres à quatre pattes, de surcroît sur les chapeaux de roue ! Il nous informe que Marc et Etienne ont entamé la remontée des puits, mais ils ont quand même pris connaissance de la bonne nouvelle.
Maintenant, Bertrand est très inquiet, car le débit de la petite rivière que l'on croise le temps d'un bain forcé a selon lui augmenté sensiblement de débit. En sachant qu'il pratique la spéléologie depuis moins d'une année, je ne m'inquiète d'aucune façon, je sais bien que quand le doute plane en côtoyant une rivière, on a toujours l'impression que le débit grossit. Mais finalement, trempés comme nous sommes, je me dis aussi que de toute façon nous n'allons pas faire du bon travail si l'on s'obstine à perdurer en ces lieux. Je propose alors d'entamer le retour, non sans faire au préalable un petit détour par la cheminée Merlin. Arrivés dans cette cheminée d'une quinzaine de mètres où un petit ruisseau arrive du plafond et coule le long d'une grande coulée stalagmitique brunâtre, nous nous plaisons à nous rappeler que depuis 4 mois, date à la laquelle nous avons franchit le bouchon de blocs à l'entrée des Follatons, nous avons souvent pensé à déboucher dans le réseau à cet endroit. C'était le plus proche en distance, mais surtout le plus propice puisqu'il n'y a pas d'autres cheminées dans le secteur.

Soudain, Bertrand s'exclame qu'il vient d'entendre une arrivée d'eau surgissant à proximité. Mes problèmes d'audition ne me permettent pas de le contredire, néanmoins, avec les propos qu'il tenait il y a peu au sujet du débit de la rivière qui avait augmenté, je commence à croire qu'il n'avait pas été victime de son imagination… Je sais également que nous sommes dans un des points bas du réseau, collectant les eaux de crues. Par ailleurs, au printemps 2007, une partie du matériel que nous laissons sur place d'une sortie à l'autre avait été emporté par une crue, et c'est justement à 50 mètres d'ici que nous avons retrouvé une partie des affaires… Bref, la zone où nous sommes est franchement malsaine, alors dans le doute il faut vraiment décamper au plus vite !

D'un pas alerte, nous sommes sur le chemin du retour. Dans la galerie du Graal, je franchis un bassin avec de l'eau jusqu'aux genoux, alors qu'à l'aller au même endroit, cela ne dépassait pas la hauteur des bottes… Arrivé à la petite bifurcation où j'avais retrouvé il y a peu mes coéquipiers, une nouvelle rivière débouche de l'autre galerie alors qu'elle était parfaitement sèche à l'origine. Eh bien mes amis, nous sommes dans de beaux draps !... En y réfléchissant, l'instant confirmé de la jonction a également déclenché le déluge, car c'est à partir de ce moment que les ruisseaux ont subitement grossi. Peut-être que les Fées et les Follatons n'ont pas digéré leur union et le manifestent à leur façon ?!...

Toujours est-il que la tension de chacun monte en flèche, la progression à quatre pattes dans la galerie du Graal prend des allures de compétition ! Arrivés au passage aquatique surnommé "le Mouille-cravate", c'est de la folie furieuse ! A l'origine, nous nous plaignions d'un petit ruisselet qui nous obligeait à ramper dans 3 centimètres d'eau, maintenant c'est une rivière déchaînée de 10 centimètres de profondeur qui nous balaye la figure ! Le franchissement étant assez limite, l'euphémisme de dire que l'on a eu chaud est peut-être quelque peu déplacé ! Arrivés à la base du puits de la Peur nous sommes enfin soulagés. Il reste certes quelques puits peut-être ruisselants à remonter, mais trempés comme nous sommes, je ne vois pas trop ce qui pourrait nous arriver de pire ? Et pourtant...

Après avoir mangé seulement quelques bricoles pour ne pas devoir le regretter avec l'effort de la remontée, Michel commence l'ascension de la corde pendant qu'avec Bertrand nous essorons nos chaussettes... Michel n'a pas l'air très à l'aise dans ses mouvements, mais peut-être que c'est par manque d'habitude. En second, Bertrand s'élève d'un mouvement plus alerte, il faut dire qu'avec l'entraînement de ces derniers mois il évolue presque dans son propre jardin !
Pour ma part, je sais qu'en étant le dernier la remontée ne sera pas rapide, alors dès que la corde devient libre je ne suis pas du tout pressé d'emboîter le pas de mes coéquipiers, d'autant que nous avons convenu de ne pas nous attendre entre les puits.

Dans le méandre Blanche Glaise, les passages répétés de personnes et kits franchement mouillés ont laissé des séquelles, on se croirait en train de ramper dans un marécage visqueux ! Arrivé dans la grande trémie sous la salle de la Cathédrale, la randonnée tourne au cauchemar ! L'eau coule de partout et l'escalade entre les blocs se fait presque à l'aveuglette sous une cascade d'embruns. Il y a deux minutes je pestais dans le méandre sur la quantité de boue nous recouvrant entièrement en l'espace d'une dizaine de mètres, en regardant maintenant ma combinaison j'ai l'impression de sortir tout droit d'une machine à laver !

Ici, c'est la même eau qui alimente la rivière au départ de la galerie du Graal, donc en ayant rampé juste avant dans ce cours d'eau très en colère on peut aisément s'imaginer ce qui s'abat actuellement sur nos épaules ! Au sortir de la trémie, Bertrand vient m'accueillir, car il commençait à s'inquiéter de mon retard. Michel est déjà engagé dans le puits suivant, d'une hauteur de 22 mètres. L'attente est donc de mise, il faudra s'y faire car nous sommes encore à près de 120 mètres de profondeur. Avec Bertrand, nous constatons que cette nouvelle remontée de corde va être aussi arrosée que dans la trémie, nous avons quand même quelques soucis pour la sortie du puits où il faut franchir une étroiture verticale d'environ 3 mètres.
Heureusement il n'en sera rien, l'eau commence à se répandre juste sous le passage. Arrivé au sommet de ce puits, je retrouve Bertrand et Michel qui patientent gentiment ; Marc et Etienne sont juste au-dessus. En fait, ces derniers se trouvaient dans les puits au moment où la crue s'est déclenchée, ils n'ont pas voulu poursuivre en pensant venir nous prévenir de sortir au plus vite. Finalement, ils se sont rendu compte que redescendre dans la tourmente s'était s'exposer à de nouveaux risques, alors ils ont préféré nous attendre. Lorsqu'ils nous ont entendus approcher, c'est avec soulagement qu'ils ont repris le chemin de la sortie.

A mes côtés, Michel a vraiment mauvaise mine. Son visage est blanc comme un drap et il tremble de manière exagérée ; mais j'imagine bien que c'est indépendant de sa volonté. Il me reste un litre de thé chaud que j'ai à peine entamé, il est vrai que jusqu'ici nous n'avons pas vraiment pris le temps de nous arrêter ! Après quelques gorgées, la corde devient libre et Michel préfère démarrer sans attendre l'ascension du P37. Ce puits est un peu moins arrosé que le précédent, mais en tout cas pas suffisamment pour s'en réjouir ! L'eau provient du haut de la cheminée qui a l'air de se perdre dans les hauteurs astrales. Après 20 mètres de remontée, un fractionnement permet de se décaler gentiment des embruns, et l'on s'élève ensuite dans une cheminée parallèle aboutissant au goulet des Aveugles, une nouvelle étroiture verticale permettant de sortir du puits. C'est le genre de passage où généralement les gens ronchonnent, il faut avancer par des petits à coups sur les bloqueurs, l'espace n'étant pas suffisant pour lever les genoux. Mais en ce moment, c'est paradoxalement une grande joie de fournir quelques efforts supplémentaires afin récupérer un peu de cette chaleur qui nous fait défaut, mais surtout, le plus appréciable, se retrouver dans un endroit totalement sec.

J'arrive au bas du P20, le puits de la Douche. Comme son nom l'indique, nous savons depuis quelques semaines que ce puits est passablement actif par temps de pluie, ce qui veut dire qu'actuellement je n'aurai pas besoin de remettre une nouvelle pièce dans le lavage automatique… Et c'est vraiment peu dire, car justement la rivière suit exactement le chemin de la corde… Cependant, à seulement une cinquantaine de mètres sous la surface, le moral s'en porte déjà beaucoup mieux, alors finalement, un peu plus ou un peu moins d'eau quelle différence ?

Arrivé au sommet de ce puits, je vois Bertrand qui s'engage dans la dernière longueur, et j'ai le plaisir de retrouver Marc qui est en attente. De bon coeur, malgré qu'il grelotte, il a préféré céder sa place aux suivants pour qu'ils ressortent au plus vite. Il m'explique les détails de leur équipée, et notamment la grande inquiétude à notre sujet lorsqu'ils ont vu ces déluges d'eau s'abattre dans les puits. Il me parle également de Michel, qui au bas du puits de la Douche n'était toujours pas réchauffé malgré la remontée du puits de 37 mètres. Il tremblait toujours comme une feuille, et Marc lui a également fait boire un peu de thé chaud avant le nouveau tronçon de corde, la nouvelle rincée !

Un peu plus tard, tout le monde est enfin sorti du trou. Il pleut toujours à verse, mais maintenant c'est presque un plaisir de sentir de l'eau chaude nous couler dessus...
Chacun de nous a le sourire aux lèvres, c'est peut-être en repensant à notre aventure aux multiples rebondissements. Comme dans toutes les nouvelles cavités, il faut toujours un certain temps pour comprendre et évaluer les dangers, nous venons aujourd'hui d'en faire les frais sans que personne ne puisse imaginer ne serait-ce qu'un instant, que ce gouffre draine autant d'eau sur une si petite distance. Espérons que notre expérience servira pour d'autres et évitera peut-être une prise de risque aux plus audacieux.

Le livre de l'exploration de ce gouffre se referme, mais avec un nouvel accès en plein coeur du réseau des Fées, il a engendré de nouvelles pages blanches, l'aventure continue...





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